Entre deux interventions policières, la Zad continue à vivre, à tisser les solidarités et négocier son avenir. [NB : cet article a été rédigé avant qu'un jeune manifestant soit grièvement blessé, le 22 mai, par l'explosion d'une grenade.]
Le dimanche 20 mai résonnaient sur la Zad les chants et les cris des chantiers collectifs : 600 personnes venues en renfort pour semer, planter, nettoyer, reconstruire. Même l’hélicoptère de la gendarmerie s’était fait discret. Après une nouvelle semaine d’intervention policière massive, la vie reprend : « Flics ou pas, il faut semer, soigner les bêtes, tenir les lieux publics. Si une certaine hésitation se fait parfois sentir au moment de mettre les graines en terre, elle est vite balayée par cette certitude que les blindés n’ont su faire vaciller : nous resterons là. » Car celles et ceux qui ont été expulsés n’ont pas quitté la Zad pour autant. D’occupantEs contre le projet d’aéroport, ils et elles sont depuis longtemps devenues habitantEs de la Zad.
Une situation contrastée
Pour beaucoup, la victoire contre l’aéroport est amère, comme si la Zad était sur le point de s’éteindre. Ce serait oublier que, malgré ses 2 000 gendarmes lourdement équipés – la plus grosse opération policière depuis Mai 1968 – l’État n’est pas allé jusqu’à détruire entièrement la Zad. La Chambre d’agriculture est toujours tenue à l’écart, et 15 projets agricoles se sont vus proposer une Convention d’occupation précaire. La droite régionale ne s’y est pas trompée : « Dans le fond, au-delà de la mise en scène de la force brute, la vérité crue de cette opération c’est que l’État va donner des terres aux zadistes et qu’ils vont rester. » La vérité c’est que les négociations continuent avec les mouvement.
Si d’autres projets agricoles sont ajournés au mois d’octobre car installés sur des terres revendiquées par des agriculteurs historiques, la porte n’est fermée pour aucun, même les projets artisanaux ou culturels. Le mouvement est parvenu à subvertir le cadre individuel des projets, en en montrant l’interdépendance : « Sur un même champ, le verger plante des arbres en bordure, le groupe céréales effectue une rotation de sarrasin et l’année suivante c’est le groupe patates qui met en terre ses tubercules ». L’État, lui, ne semble pas avoir de calendrier au-delà des dernières expulsions.
Les affrontements physiques entre policiers et occupantEs de la Zad auront profondément divisé le mouvement contre l’aéroport : le grand rassemblement annuel n’aura pas lieu.
Et les lignes de partage traversent chaque composante. Car si pour certains, les occupantEs devraient partir ou ne rester que sous statut d’exploitant agricole, beaucoup d’autres souhaitent ou travaillent au quotidien pour que la Zad demeure cette expérience militante, sociale, agricole et économique exceptionnelle. Que chacunE puisse y travailler, ou simplement y vivre. Une petite utopie en marche. D’où les appels des agronomes à laisser se poursuivre l’expérience, ou celui des cinéastes à filmer pour soutenir la lutte.
Tisser nos solidarités
C’est que la Zad a su tisser des solidarités au fil des années. Le 20 mai, dans le grand champ près du Lama fâché détruit, des chasubles de la CGT et des drapeaux de Solidaires participaient aux semailles de sarrasin. Des postiers de Rennes (voir page 8) sont venus remercier la Cantine solidaire de la Zad. Autant pour la chaleur humaine que pour les petits-déjeuners servis chaque matin.
Car celles et ceux qui la fréquentent, ne serait-ce que le temps d’un rassemblement, le savent : la Zad dégage une ambiance particulière, où les rapports sociaux sont plus simples, comme si chacun quittait son rôle habituel. Comme toutes les grandes luttes, elle marque les individus, et apporte la certitude que l’on peut vivre différemment.
C’est pourquoi nombreux seront celles et ceux qui viendront ici à nouveau, semer du sarrasin et cultiver le champ des possibles.
Bertrand Achel
Les citations sont extraites de « Tank, on est là », un texte éclairant d’habitantEs de la Zad : https://zad.nadir.org/spip.php ?article5809