La destruction massive du vivant qui s’accélère tous les jours vient bousculer nos luttes et nos revendications. Dans ce cadre, la prise en compte de l’ensemble du vivant dans la lutte contre l’exploitation et les oppressions renforce nos analyses mais peut aussi créer des fractures qu’il est nécessaire de discuter.
Végétalisation de l’alimentation, souffrance animale, soin au vivant humain et non humain, préservation de la biodiversité... le NPA s’inscrit pleinement dans ce débat. Dans cet objectif, ce texte propose de revenir sur la réalité de l’élevage industriel, sur la possibilité de l’élevage paysan et d’esquisser les lignes d’un programme en matière agricole et alimentaire.
L’élevage dominant : l’élevage industriel
Marx écrivait au 19e siècle, au début de l’industrialisation de l’agriculture, que le capitalisme ne se développe qu’en sapant en même temps « la terre et le travailleur ». Aujourd’hui nous devons élargir ces deux termes aux travailleuses d’une part et à l’ensemble du vivant, dont évidemment les animaux.
Ce système appréhende les animaux à la fois comme moyen de travail exploitable et comme une marchandise à valoriser pour créer de la valeur et des profits. Si les animaux sont exploités pour produire différentes matières et aliments (cuir, laine, graisse, produits laitiers...) c’est surtout sur la viande que porte l’offensive du lobby de l’élevage industriel, qui s’appuie sur l’image de vigueur et de force, dans une approche viriliste où la viande devient un symbole de la masculinité. Il place la viande au centre de l’alimentation, en vantant sa valeur nutritionnelle, en particulier son apport en protéines indispensables à l’organisme. La viande est ainsi hyper valorisée au détriment des végétaux appréhendés comme une nourriture de second choix, pour les « écolos bobos des villes ».
La logique capitaliste appliquée aux activités agricoles ou de pêche implique d’organiser la production pour en tirer de plus en plus de profits, Elle aboutit à installer les élevages dans des super-structures1 hors sol, gérées selon des méthodes industrielles et concentrationnaires. Ce système ultra-productiviste fait fi de la souffrance des bêtes qui n’ont pas la place de bouger et dont la vie est écourtée pour les besoins du marché. L’abattage est réalisé dans des conditions de cruauté intense, où les travailleuses et travailleurs des abattoirs subissent une pression et une souffrance au travail énormes.
De plus, ces élevages « intensifs » ont un impact environnemental destructeur : le méthane, puissant agent du réchauffement climatique (l’élevage est responsable d’environ 14,5 % des émissions mondiales de GES), le gaspillage d’eau et sa pollution (les déjections animales et les effluents d’élevage contaminent les nappes phréatiques, les cours d’eau et contribuent à leur eutrophisation), la désertification (un des premiers moteurs de la déforestation, notamment en Amazonie, au Cerrado brésilien ou en Indonésie.).
Dans le monde, 70 % de la surface agricole est utilisée pour nourrir du bétail, soit directement soit en produisant des céréales pour les nourrir. L’agro-industrie de la viande est un des moteurs principaux de la déforestation pour faire de la monoculture de céréales. Au lieu de nourrissent directement des humains, ces céréales et l’eau nécessaires à leur culture nourrit du bétail pour ensuite nourrir des humains. Alors que plus de 2,5 milliards de personnes dans le monde n’ont pas les moyens de se nourrir suffisamment et sainement, la sortie de l’élevage industriel est une nécessité à la fois sociale, écologique et en défense des animaux.
Par ailleurs, dans notre pays, produire 1 kg de bœuf est devenu bien plus cher en raison du coût de l’énergie : l’électricité a quasi doublé, le gazole coûtait plus de 2€ le litre en 2022. Partout en Europe, la question de la rémunération est en jeu. Aujourd’hui dans certaines filières, les prix payés aux agricultrices et agriculteurs par les groupes de l’agrobusiness sont souvent inférieurs aux coûts de production. Sans parler des importations massives favorisées par les accords de libre-échange (UE, Mercosur...) qui accélèrent la concentration du capital... et produisent des GES (transports). L’essentiel de la production et de la distribution est dans les mains de multinationales sans scrupules, pour lesquelles les animaux et les plantes ne sont que des produits spéculatifs.
En outre, la concentration de milliers de bêtes, souvent issues d’une même espèce, favorise les zoonoses : la grippe aviaire pour les volailles, la DNC (dermatose nodulaire contagieuse) ou l’ESB (encéphalopathie spongiforme bovine) pour les bovins... Ces maladies virales ou bactériennes se propagent à grande vitesse, déciment les troupeaux et menacent la santé humaine par la transmission alimentaire. Ce schéma absurde se répète : une zoonose se déclare dans un élevage, des milliers de bêtes sont abattues, le cheptel est reconstitué dans les mêmes conditions, d’où nouvelle zoonose, nouvel abattage... le cycle infernal et morbide se poursuit.
De son côté, l’INRA poursuit ses recherches. Si de nombreuses expérimentations et innovations peuvent être utiles (médecine...) et inoffensives (création de végétaux nouveaux...), combien de découvertes sont dirigées par l’obsession productiviste ? Les OGM (organismes génétiquement modifiés) en sont un exemple. Il s’agit de transformer les animaux pour les rendre plus productifs en agissant sur la génétique, comme ces truies rallongées, pour avoir plus de mamelles afin d’allaiter plus de petits. La loi capitaliste s’infiltre y compris dans la science qui est loin d’être neutre.
Pour toutes ces raisons, la sécurité alimentaire devient un enjeu majeur auquel il faut apporter des solutions. L’élevage industriel est une des manifestations révoltantes du capitalisme extractiviste, qui réduit les animaux à des machines à produire.
L’élevage paysan
Nous nous opposons à l’agro-industrie productiviste, en particulier à la production animale industrielle dont il est urgent de sortir. Il s’agit de sortir l’agriculture de la logique productiviste, extractiviste du capitalisme. Nous défendons une agriculture paysanne pour satisfaire les besoins et prendre soin des agro-écosystèmes, avec des paysan·nes nombreux aux conditions de vie et de travail épanouissantes. Nous participons aux luttes écosociales qui mettent en avant ces revendications et nous nous nous retrouvons côte à côte avec divers collectifs et organisations, notamment Les Soulèvements de la Terre et la Confédération Paysanne.
Dans ce cadre, nous soutenons l’élevage paysan.
Difficile à définir en une phrase, l’élevage paysan comprend néanmoins des caractéristiques communes :
— conditions de vie en plein air et environnement respectant au mieux le bien-être animal ;
— cheptels limités, de quelques bêtes à quelques dizaines ;
— durée de vie plus longue pour les animaux ;
— filières en lien avec le circuit court local, distribution par vente directe qui dépasse le cadre de la ferme, ouvre sur la société et assure un meilleur revenu aux éleveuses et éleveurs ;
— préservation de la biodiversité : une grande partie des prairies sur la planète dépend aujourd’hui de l’élevage et ces prairies sont essentielles dans un contexte de chute importante d’espèces, voire de disparitions. Il faut garder la campagne vivante ;
— développement du modèle « polyculture-élevage » à petite échelle, modèle vertueux et plus autonome ;
— production naturelle de fumure et des engrais organiques dont le sol a besoin, ce qui permet de se passer de la chimie qui empoisonne les paysans, l’environnement et rend les terres infertiles voire stériles ;
— des fermes diversifiées avec plusieurs activités pour être moins vulnérables aux changements climatiques et créer des modèles liés aux territoires adjacents, respectueux des travailleuses et des travailleurs et créateurs d’emplois.
En ce sens, l’élevage paysan renforce : l’autonomie des fermes et des paysans, la logique de répartition territoriale des ateliers agricoles, le lien travail/biodiversité, la pérennité des fermes, la qualité des produits et le développement social local.
Nos propositions
Notre espèce, Homo sapiens, n’est pas à part. Elle doit veiller à sa vie, sa survie, tout en préservant au maximum son environnement dont les animaux et les végétaux font partie. L’élevage paysan, qui intègre plusieurs dimensions sociales, économiques et environnementales de l’activité intégrée de production est un moyen d’y parvenir. C’est pourquoi nous défendons :
— la forte diminution de la consommation de viande dont les effets négatifs sur le réchauffement climatique et sur la santé sont démontrés, compensée par une plus grande végétalisation des repas, ce qui abaisserait le coût de la nourriture et favoriserait l’installation de nombreux maraichers non issus du monde agricole : la justice alimentaire est aussi notre combat ! Cette évolution est tout à fait viable, comme l’a démontré le NPA en tendant vers la végétalisation de l’alimentation dans ses événements publics, notamment à l’Université d’été ;
— un élevage qui respecte le bien être animal et l’éleveuse et de l’éleveur ;
— la suppression de l’utilisation de la chimie nécessaire à l’agriculture intensive par l’utilisation des engrais organiques naturels issus de l’élevage ;
— le développement des techniques de l’agroécologie qui redonne sa vie aux sols, diversifie les paysages et diminue drastiquement les pollutions des sols, de l’eau et de l’air ;
— l’arrêt de l’industrialisation de l’élevage, de la concentration d’animaux dans des espaces réduits, y compris dans leur transport ;
— le non-abatage systématique des troupeaux quand un individu est malade ;
— la fin de mise en culture d’espèces végétales pour les méthaniseurs plutôt que pour l’alimentation humaine et/ou animale ;
— un moratoire sur tous les projets de «fermes-usines», y compris dans la pêche et dans l’aquaculture qui participent à la destruction d’écosystèmes marins (baisse des stocks et d’espèces de poissons) ;
— le développement de coopératives, de fermes à taille réduite, l’aide à l’installation (acquisition du foncier) de petites exploitations, le soutien à un aménagement du territoire et des paysages ;
— des mesures pour améliorer les conditions de travail des femmes (très représentées dans l’élevage), des conditions de travail dignes pour les salariéEs des abattoirs (pas d’abattage intensif à la chaîne), le maintien du salaire lors des fermetures d’abattoirs et des reconversions nécessaires, voire la possibilité d’abattage à la ferme.
— la promotion et des aides pour l’élevage bio afin de favoriser une alimentation saine, pour toutes les bourses, dans le cadre d’une Sécurité sociale alimentaire ;
— le développement de la coordination, la solidarité, l’action commune au niveau international pour refuser la mise en concurrence imposée entre les paysans, éleveurs et salariés des filières de différents pays ;
— la collaboration par-delà les frontières pour développer les techniques agropastorales, les méthodes de gestion et de distribution respectant tous ces principes, notamment à travers des organisations comme Via Campesina.
Telles sont les principales propositions que nous devons porter dans les mouvements sociaux pour esquisser les grandes lignes d’un programme féministe, écologique, anticapitaliste, internationaliste, en cohérence avec le Manifeste écosocialiste de la Quatrième Internationale.
- 1. En 2023, 60 % des animaux étaient concentrés dans seulement 3 % des fermes d’élevage en France (plus de 200 millions de bêtes) selon Greenpeace.