Alors que les Indignés se mobilisaient partout dans le monde, les dirigeants du G20 se réunissaient pour proposer des solutions à la crise qui permettent d’entretenir le système capitaliste comme avant. Le 15 octobre, tandis que les Indignés défilaient dans plusieurs centaines de villes du monde entier, les ministres des Finances des pays du G20 se réunissaient à Paris. D’un côté, les manifestants disaient « non au profit » et réclamaient une « démocratie réelle ». De l’autre, les dirigeants exhibaient fièrement deux rustines censées résoudre la crise : « l’adoption de la réforme ambitieuse de la gouvernance économique de l’Union européenne » et l’engagement de mettre « des ressources adéquates » à disposition du FMI.
Pour mieux comprendre, revenons quelques mois en arrière. En mai 2010, face à la flambée des taux d’intérêt des titres grecs, les dirigeants européens avaient mis en place un fonds européen de soutien financier (FESF) conditionné à des plans d’austérité et au paiement d’un taux d’intérêt élevé. Il avait été demandé au FMI de contribuer à l’élaboration et la surveillance de ces plans de rigueur. Le recours à cette institution et à son funeste savoir-faire visait à convaincre les propriétaires de capitaux que l’on saurait imposer à des pays d’une zone de change fixe les recettes qui avaient été appliquées au Brésil et à l’Argentine.
Mais en allant chercher le FMI, et en lui livrant les États en difficulté, l’Union européenne (UE) a signifié qu’elle n’existait pas réellement, que seuls les États existent. Et cette gestion de la crise n’a fait que conforter les spéculateurs dans leur analyse : l’UE ne prévoit pas de transfert fédéral (le budget représente seulement 1 % du PIB contre 25 % aux États-Unis) tout en interdisant le financement public auprès de la Banque centrale (article 123 du Traité) et même la solidarité entre les États membres (article 125). L’UE sert essentiellement à placer les États dans une dépendance totale vis-à-vis des marchés financiers. La spéculation n’a d’ailleurs pas tardé à reprendre. L’Irlande puis le Portugal en ont fait les frais.
Certes, les dix-sept Parlements des pays de la zone euro ont fini par voter la mise en œuvre des décisions prises aux sommets européens des 11 mars et 21 juillet 2011. Mais de quoi s’agit-il ? Augmenter la taille du FESF à hauteur de 440 milliards d’euros, c’est seulement prendre acte de l’approfondissement de la crise européenne. Et ce plafond deviendrait insuffisant si un nouveau pays venait à se retrouver dans l’incapacité de lever des fonds à des taux raisonnables. Autoriser le FESF à racheter des titres de la dette souveraine sur le marché de l’occasion ? Cela permettra à la Banque centrale européenne (BCE) de ne plus avoir à le faire et de renouer avec une politique monétaire orthodoxe.
C’est du moins ce que pensait Jürgen Stark, membre du directoire de la BCE. Cet été, il expliquait aussi que « si par exemple le FESF rachète sur le marché secondaire des obligations grecques aux prix actuels très bas, alors le secteur privé participe implicitement aux frais, parce qu’il ne récupère pas l’intégralité du nominal de ses titres. Tant que les investisseurs vendent leurs obligations de manière volontaire, que le FESF les paye en liquide et les garde jusqu’à maturité, je ne vois personnellement pas de risque d’événement de crédit ». Fastoche. Mais en septembre, Jürgen Stark, s’apercevant qu’il s’agissait d’un conte de fées, a démissionné de la BCE.
Car dans la crise réelle, c’est la BCE qui a racheté des titres espagnols et italiens cet été. Et elle continuera à le faire. En effet, si les États alimentant le FESF devaient augmenter leur contribution, ils deviendraient la cible d’attaques spéculatives et devraient alors eux-mêmes recourir au FESF... Par ailleurs, les banques privées craignent pour leur bilan. Comme l’expliquait récemment le directeur d’un fonds de placement, « même les gérants ont aujourd’hui une visibilité faible des bilans des banques. Les arguments donnés pour les apprécier ne sont jamais tangibles ». Après les banques, les notes des assureurs pourraient être dégradées, a prévenu l’agence Standard & Poor’s. Et les banques américaines pourraient être indirectement affectées par un défaut, même partiel, d’un État européen dans la mesure où elles ont vendu des assurances contre un tel « événement de crédit ». C’est pourquoi le secrétaire américain au Trésor a répété son souhait de voir les dirigeants européens créer « un pare-feu contre une contagion encore plus grave ».
Aucune des mesures prises ne s’attaque aux causes de la crise. Rien contre la sur-accumulation immobilière. Rien contre les excédents commerciaux allemands qui nourrissent les déficits et l’endettement des pays périphériques. Et la crise se dénoue par le chômage et la régression sociale plutôt que la remise à plat du système financier. Le 8 octobre 2011, les confédérations patronales française, allemande et italienne ont lancé un appel pour « une Union politique et économique plus étroite » fondée sur un nouveau traité créant « les conditions pour des finances publiques solides et une économie compétitive ». Telle est la feuille de route que vont s’efforcer de suivre les dirigeants européens. À nous d’en proposer une autre, à l’échelle du continent.
Philippe Légé