Les banques françaises continuent de s’ébrouer dans les paradis fiscaux afin de doper leurs bénéfices et de réduire leurs impôts.
Les organisations CCFD-Terre solidaire, Oxfam France, le Secours Catholique - Caritas France, en partenariat avec la Plateforme Paradis fiscaux et judiciaires, viennent de publier un rapport particulièrement édifiant complété d’annexes très utiles. Intitulé « En quête de transparence. Sur la piste des banques françaises dans les paradis fiscaux », ce rapport nous livre une synthèse précise et documentée des activités des cinq plus grandes banques françaises dans les paradis fiscaux et judiciaires.
Souvenons-nous : le 24 septembre 2009, Nicolas Sarkozy déclarait : « il faut en finir avec les paradis fiscaux. » Quatre ans après, le 18 juillet 2013, le gouvernement de son successeur, autoproclamé « adversaire du monde de la finance », accouchait dans la douleur d’une loi abusivement baptisée « de séparation et de régulation des activités bancaires » qui créait « une obligation de publication annuelle par les banques et les grandes entreprises d’information concernant leur activité pays par pays. » Preuve que les paradis fiscaux n’ont pas disparu. À défaut de mettre un terme aux paradis fiscaux, cette loi permet toutefois d’en cerner quelques rouages et de rendre publiques depuis 2014 un certain nombre de données et d’informations.
En 2015, la publication par les banques dans leur document de référence annuel de l’intégralité de leur reporting (compte rendu d’activité) pays par pays portant sur leurs activités de 2014, aboutit à ce constat édifiant : « À l’international, alors que les banques françaises réalisent 1/3 de leurs bénéfices dans les paradis fiscaux, ceux-ci ne représentent que 1/4 leurs activités internationales déclarées, 1/5 de leurs impôts et 1/6 de leurs employés. »
C’est arrivé près de chez vous !
Le retraitement des données bancaires met à jour des enseignements fort instructifs. S’il prospère dans des ailleurs lointains et exotiques, tels les îles Caïmans ou les Bermudes, le séjour paradisiaque se pratique aussi près de chez nous.
Ainsi, il ressort qu’après la France et les États-Unis, le Luxembourg cher à Jean-Claude Junker, est le 3e pays où les banques françaises comptabilisent le plus de bénéfices. Une fiscalité avantageuse, avec notamment l’exonération des dividendes étrangers perçus par les holdings luxembourgeoises dès lors qu’elles détiennent 10 % de participation dans une filiale, n’est probablement pas étrangère à ce pouvoir d’attraction du duché.
L’Irlande n’est pas mal non plus dans le genre. Là, les activités de la Société Générale dégagent 18 fois plus de bénéfices que dans les autres pays et 76 fois plus qu’en France. Paradis fiscal, l’Irlande est aussi un paradis patronal où le salarié du Groupe BPCE est 31 fois plus productif qu’un salarié moyen de cette banque. Au pays du trèfle, des exonérations fiscales et une réglementation très souple, permettant notamment aux banques de faire prospérer en toute immunité leurs activités très lucratives de financements structurés sans avoir à supporter de taxes, constituent de sérieuses incitations à l’exil.
Les activités réalisées dans les paradis fiscaux le sont quasiment toutes par des banques de financement et d’investissement. Les banques de détail n’y ont qu’une présence négligeable car les paradis fiscaux sont spécialisés dans des activités de marché risquées, de gestion de fortune et de banque privée.
Le rapport met en lumière la réalité crue des paradis fiscaux, faite d’évasion et de fraude fiscale, d’activités financières risquées exercées sans contrôle dans la plus grande opacité. Cette situation scandaleuse ne rend que plus actuelle et légitime la proposition de socialisation de l’intégralité du système bancaire avancée dernièrement dans un article collectif intitulé « Que faire des banques ? », dont une des mesures préconisée consiste précisément à interdire aux banques toute transaction avec un paradis fiscal.
Patrick Saurin