Alors que le candidat-président attendait sereinement de franchir la ligne d’arrivée au second tour de l’élection présidentielle, le récent rapport du Sénat, révélant les dépenses publiques faramineuses liées au recours à des cabinets de conseil privés de la part du gouvernement en place, devient un sujet politique central dans la campagne.
L’affaire McKinsey, du nom du cabinet de conseil US auquel le gouvernement a eu largement recours et qui n’a payé aucun impôt sur les sociétés depuis au moins dix ans, dévoile en effet un projet de dissolution de l’État et de ses missions d’intérêt général au profit des intérêts privés.
McKinsey : une affaire avant tout politique
La commission d’enquête du Sénat relève l’opacité des règles de passation des marchés publics et parle d’un recours « tentaculaire » de l’État aux cabinets de conseil.
Les chiffres, tenant compte d’un échantillon de 44 agences et issus d’une étude spéciale de la direction du Budget, sont effrayants. Les dépenses de conseil de l’État ont plus que doublé en passant de 379 millions en 2018 à 893 millions d’euros en 2021. En pleine crise sanitaire et alors que les fermetures des lits d’hôpital se poursuivaient, les cabinets de conseil privés se goinfraient d’argent public.
Deux poids deux mesures : on réduit l’argent quand il va aux populations (plans sociaux, délocalisations, déréglementations, réduction des masses salariales, perte du pouvoir d’achat, plans d’austérité dans l’école et la santé…) et on dépense un « pognon de dingue » pour engraisser des cabinets de conseil stratégique.
Si Macron, ne pouvant pas cacher sa fébrilité, se défend derrière la prétendue « légalité » de ces prestations, la question reste éminemment politique.
Opacité et jeux d’influence
Pour la mission de McKinsey sur l’avenir du métier d’enseignant (496 800 euros pour un colloque finalement annulé), le cabinet demande expressément que son nom n’apparaisse pas dans les documents tandis que, dans le cadre de certaines prestations rendues pour le ministère de la Santé et de la Solidarité, le cabinet apposait lui-même le tampon de l’administration !
Un autre élément d’opacité est constitué par la dynamique régulière et automatique de l’échange entre les cabinets de conseil et le pouvoir qui comprend également l’offre de mission gratuite (pro bono). Les deux principaux bénéficiaires de ces interventions pro-bono sont l’Elysée, pour les sommets Tech for good (McKinsey), Choose France (Boston Consulting Group) et l’initiative Scale-up Europe (Roland Berger), et Bercy, sur l’attractivité économique de la France (McKinsey) et les études sectorielles sur la filière aéronautique (Deloitte), les véhicules électriques (Sia Partners) ou l’industrie (Roland Berger et KPMG).
Une enquête récente de Mediapart indique que cette stratégie s’est notamment déployée en offrant des prestations pro bono à Emmanuel Macron lorsqu’il était ministre de l’Économie (2014-2016). Au même moment, plusieurs membres du département « secteur public » de McKinsey ont participé, toujours dans le cadre de missions gratuites, au lancement d’En Marche1.
Cela est d’autant plus problématique car les cabinets sont à l’initiative d’études et analyses qui visent à influencer les politiques publiques sur lesquelles ils vont ensuite tirer des profits à partir de missions rémunérées. Cela inflige une double peine à la population : celle de l’orientation néolibérale des politiques propulsées par ces cabinets et celle du pillage des caisses publiques au moyen du transfert des richesses au privé.
L’enquête jette aussi le doute, confirmé par la commission d’enquête du Sénat, sur la qualité et la rigueur des travaux facturés à l’État dans le cadre des missions de conseil stratégique ce qui se heurte à la rhétorique macroniste autour du primat du privé en matière d’innovation et d’efficience.
Derrière le scandale, un véritable projet idéologique
Si toute campagne électorale qui se respecte s’accompagne désormais de ses affaires et de leurs stratégies de médiatisation, celle-ci semble être particulièrement intéressante car révélatrice d’une politique, d’une idéologie et d’une conception spécifique de l’État portées par le macronisme.
Que reste-t-il en effet de l’État et de son rôle de régulateur quand des cabinets de consulting privés en orientent les politiques, établissent les modalités de mise en œuvre du démantèlement de ses services et en aspirent les ressources ?
Cette affaire rend explicite l’imbrication de l’État et du capital, la façon dont le marché s’immisce dans l’ensemble des sphères de l’État et de la société en imposant partout ses propres lois.
Ce n’est pas étonnant d’ailleurs que, pour Macron et les siens, cela va de soi, c’est tout à fait normal car ce système s’inscrit dans le projet idéologique de la start-up nation où l’État fusionne avec l’entreprise capitaliste.
Ils ont beau voler nos slogans, ils ne pourront jamais s’approprier complètement notre force, celle du travail, de la production sociale des richesses et du collectif. Plus que jamais, nos vies valent plus que leurs profits !
- 1. Sarah Brethes et Antton Rouget, « Prestations offertes et jeux d’influence : révélations sur McKinsey et Emmanuel Macron », Mediapart, 31 mars 2022.