Le 14 février, le président argentin Javier Milei a utilisé son compte Twitter/X pour promouvoir $LIBRA, une cryptomonnaie récemment créée. Le tweet — immédiatement relayé par sa sœur Karina (secrétaire générale de la présidence et figure clé de La Libertad Avanza, le parti présidentiel) ainsi que par une armée d’« influenceurs » proches du gouvernement — a permis de propulser l’actif numérique.
La monnaie, qui a débuté sa cotation à 0,000001 USD, a atteint en quelques heures un pic vertigineux de 4,5 USD, avant de s’effondrer en quelques minutes lorsque ses créateurs ont liquidé les réserves, encaissant 80 millions de dollars et laissant plus de 45 000 investisseurs avec des pertes équivalentes.
La pyramide libertarienne
Ce schéma, une fraude Ponzi classique déguisée en innovation financière, ne serait pas particulièrement remarquable dans l’univers des arnaques crypto — endémiques dans les marchés dérégulés que Milei lui-même idéalise — si ce n’était pour un détail crucial : l’instrumentalisation de la fonction présidentielle pour donner de la crédibilité à l’escroquerie. La participation active de Milei et de son entourage a transformé ce qui aurait pu constituer un délit mineur en un acte de corruption institutionnalisée, où l’appareil d’État est mis au service d’un pillage.
C’est ici que réside la gravité de l’affaire : le Président n’est pas un complice accidentel, mais un acteur indispensable de la fraude. Son soutien public a fait office de garantie pour des milliers de jeunes libertariens — base électorale du gouvernement — qui ont investi leurs économies, convaincus par la confiance que leur inspirait Milei.
Justice sélective
Les conséquences judiciaires avancent à deux vitesses. En Argentine, le gouvernement — protégé au Congrès par le soutien du Parti radical et du parti Propuesta republicana de l’ex-président Mauricio Macri — a bloqué même la création d’une commission d’enquête, dans un épisode qui montre avec clarté la corruption politique. Puis le sénateur qui a présenté le projet de commission d’enquête a plus tard voté contre ! En même temps, la justice locale (alliée des élites) traite la plainte avec une lenteur calculée pour favoriser son abandon.
Le véritable risque judiciaire pour Milei émerge aux États-Unis : un tribunal fédéral a accepté l’affaire et regroupe déjà 300 plaignantEs, ouvrant la voie à un procès aux conséquences potentiellement graves pour le président en exercice. Ce scénario met en lumière une paradoxale ironie : la même globalisation financière que le libertarisme célèbre pourrait devenir son piège, en internationalisant les responsabilités pénales.
Vers un point de bascule ?
Le scandale révèle l’hypocrisie d’un projet qui prêche le « minimalisme étatique » tout en utilisant ses ressources symboliques (et, soupçonne-t-on, matérielles) à des fins d’enrichissement privé. Mais son importance stratégique est plus grande encore : il met à nu le point faible du libertarisme, dont la rhétorique anti-élite entre en contradiction avec une pratique de concentration du pouvoir et des richesses.
La question cruciale est de savoir si les forces opposées — syndicats, mouvements sociaux et une opposition politique fragmentée — sauront capitaliser sur ce mécontentement. Le risque, face à leur dispersion actuelle, est que le gouvernement parvienne à réorienter le récit vers sa cible favorite : « la caste qui cherche à éliminer un leader disruptif ».
La fenêtre d’opportunité est étroite, mais bien réelle : le discours libertarien présente des fissures. Transformer cette faille en une brèche dépendra de la capacité à articuler non seulement la dénonciation, mais aussi une alternative crédible.
L’histoire montre que même les consensus les plus solides peuvent s’effondrer lorsque les masses populaires entrent en mouvement.
Nicolas Menna