Les 4 et 5 juin, les pays du G7 ont adopté le principe d’un taux d’imposition minimal des sociétés à 15%. Simple gesticulation ou reflet des contradictions du capitalisme US ?
Sous l’impulsion des États-Unis, les ministres des Finances des pays du G7 (les sept plus importants « vieux » capitalismes, c’est-à-dire sans la Chine, l’Inde et la Russie) ont posé deux principes. D’abord, un taux d’imposition minimal sur les bénéfices à 15%. Ensuite, pour essayer de pallier les pratiques des multinationales qui déclarent une large part de leurs bénéfices où cela leur est le plus profitable et non là où elles fabriquent ou vendent, un système de droits d’imposition est projeté qui permettrait en principe à tous les pays où ces entreprises sont présentes d’avoir droit à des recettes fiscales. Ce qui n’est pas encore fixé, c’est le seuil à partir duquel ces multinationales relèveraient du système ou y échapperaient. La mise en œuvre de ces décisions pourrait, si elle se fait, prendre des années. Elles doivent d’abord être discutées en juillet prochain au sein du G20 (qui inclut notamment la Chine) puis donner lieu à des négociations qui seront longues.
« Nous avons gagné » ?
Malgré ces incertitudes, à la sortie du G7, les sept ministres se sont félicités d’un « accord historique ». Et le ravissement a débordé au-delà : « Nous avons gagné car nous avons fini par faire triompher l’idée d’un impôt mondial », s’est félicité Jean-Luc Mélenchon…
Au-delà de ces discours, la réalité, telle qu’elle peut être décryptée, notamment par divers économistes et les ONG comme Oxfam, ATTAC, etc., est beaucoup moins rose. En fait, le seuil de 15% correspond à la fiscalité moyenne payée par les géants US du numérique, qui ont su se faire entendre de l’administration Biden dans les discussions internes aux USA avant le G7. Il est plus faible que le taux supporté par les PME dans la plupart des pays. Beaucoup d’organisations redoutent déjà que le taux de 15% ne devienne la norme dans les tous les pays, obligeant les gouvernements à s’aligner les uns après les autres sur ce chiffre. Il est aussi possible que certaines des grandes entreprises visées se divisent en unités théoriquement indépendantes. Enfin, les marchés boursiers du monde entier ne sont pas émus et semblent penser qu’il est peu probable que les profits des entreprises après impôt changeront beaucoup.
On pourrait donc penser que l’on se trouve pour l’essentiel en face d’une mise en scène visant à donner un semblant de satisfaction au mécontentement des peuples qui en ont assez de payer tandis que les fortunes des dirigeants des grandes entreprises s’envolent.
Biden a besoin de fonds
C’est largement le cas, mais s’arrêter à ce niveau serait insuffisant pour comprendre les discours de Biden en faveur d’une hausse des impôts sur les grandes entreprises aux États-Unis et au niveau international. Biden a pour ressort principal le maintien de la place de l'impérialisme US face à une Chine qui se renforce sur tous les plans : économique, technologique et militaire. La nouvelle administration démocrate comprend sans doute plus ou moins que le néolibéralisme des 40 dernières années, même avec plus de protectionnisme et de dépenses militaires à la Trump, ne suffit pas. Il faut des infrastructures avec des ponts qui ne risquent pas de s'effondrer, des programmes scientifiques, etc.. Ainsi le Sénat (avec les voix républicaines) vient d’adopter un projet de loi de 250 milliards de dollars en faveur de la recherche. Un peu plus de programmes sociaux seraient également nécessaire, en direction des Afro-américains mais aussi des blancs de la base de Trump.
Pour financer tout cela, il faut des fonds et donc au moins mettre fin à la course à la baisse des impôts sur les entreprises et les plus riches, engagée aux États-Unis depuis la présidence Reagan (1981-1989). La dette extérieure a progressé de 4700 à 27 900 milliards de dollars entre février 2020 et février 2021, et représente 130% du PIB. Jusqu'à présent, son financement n'a pas posé de problème mais, même si on est loin du niveau du Japon et si la part des créanciers étrangers (et notamment de la Chine) a baissé, on imagine mal que soient financés seulement par la dette des milliers de milliards de dollars de dépenses supplémentaires. D'où les annonces de hausses des impôts émises par Biden, par ailleurs de plus en plus rognées du fait des Républicains et de la droite des Démocrates.
« Reconstruire un monde meilleur »
De plus, Biden sent aussi les limites du « America first » si les USA sont seuls. Il veut restaurer un camp occidental sous direction US. Il a donc renoué avec le « multilatéralisme » et s’est lancé dans des concertations sur divers sujets. Au sommet des chefs d’État du G7 (qui s’est tenu les 12 et 13 juin après la réunion des ministres des Finances), les USA ont annoncé une grande initiative sous le label « Reconstruire un monde meilleur », visant à contrer la Chine.
Le projet de taxation minimale sur les multinationales a un caractère largement mystificateur. Mais il constitue aussi un aspect (non central) de la politique de Biden qui voudrait reconstituer un « bloc bourgeois » plus stable à l'intérieur et un bloc occidental à l'extérieur pour renforcer les États-Unis face au reste du monde. Ce n'est pas gagné. Et il ne faut pas se faire d’illusion sur les objectifs de Biden : Mélenchon a déjà été cité mais la palme revient à Fabien Roussel qui a déclaré qu’il avait « l’impression que Joe Biden a pris sa carte au PCF ».