Les ministres des Finances des 28 États membres de l’Union européenne ont adopté mardi 5 décembre une liste de « juridictions non coopératives », autrement dit de paradis fiscaux.
Sa première limite est de de ne pas concerner les membres de l’UE. Et pourtant, plusieurs pays de l’Union sont des maillons du système d’évasion fiscale international. Dans un rapport publié à la veille des décisions européennes, l’ONG Oxfam a précisé que quatre pays européens « au moins » mériteraient de figurer sur cette liste : l’Irlande, le Luxembourg, Malte et les Pays-Bas. Se pose la question des dépendances de la couronne britannique (comme Jersey, les Bermudes, les îles Caïmans, l’île de Man…) ou d’autres États-membres (Danemark, France…). De plus, certains États hors UE ont été avertis qu’ils risquaient de figurer sur la liste mais qu’ils pouvaient y échapper sous réserve d’engagements. Certains sont des paradis fiscaux notoires. On verra ce que valent leurs engagements…
Mais admettons que cette liste couvre les principaux paradis fiscaux : à quoi servira-t-elle ? Quelles mesures seront prises contre ceux qui utilisent ces paradis fiscaux, c’est-à-dire les banques, les grandes entreprises et les grandes fortunes « bien de chez nous » ? L’UE est-elle prête à rendre illégales ces pratiques ? L’UE est-elle prête à avancer vers un cadastre financier qui permettrait de déterminer les avoirs des capitalistes ? Ce cadastre est techniquement faisable comme le souligne l’économiste Gabriel Zucman : « C’est quelque chose qui est concret et qui existe déjà. Il existe des registres financiers, même s’ils sont parcellaires. Mais ce qui est hallucinant, c’est qu’ils appartiennent à des entreprises privées et ne sont pas utilisables par d’autres. Il suffit de les fusionner, de les améliorer et d’en transférer la gestion à une puissance publique ». Poser ces questions, c’est y répondre. L’Union européenne capitaliste n’est prête à aucune mesure véritable qui attenterait à la libre circulation des capitaux tandis que se déchaine une concurrence fiscale qui nivèle par le bas l’imposition des sociétés.
Pour que le secret du monde de la finance soit enfin mis en cause, il faudra autre chose qu’une liste : il faudra changer la société, il faudra que « la tortilla se vuelva » (l’omelette se retourne) – pour reprendre l’image du chanteur Victor Jara, supplicié par les militaires chiliens en 1973.
Henri Wilno