« Si l’on commence à jeter des cailloux sur les premiers de cordée, c’est toute la cordée qui dégringole » déclarait Macron le 15 octobre dernier. La question est de savoir qui sont les « premiers de cordée » et qui ils entraînent.
Plusieurs études récentes synthétisent des évolutions fondamentales dans la situation des salariéEs des pays capitalistes développés. La période d’après la Seconde Guerre mondiale, jusqu’aux années 1970, a vu, avec des différences entre pays, les inégalités de salaires reculer et l’accès de la grande masse des salariéEs à des nouveaux droits et garanties, et à une protection sociale. À l’époque, pour reprendre l’expression de Macron, les « premiers de cordée » en France du point de vue des salariéEs, c’étaient les travailleurEs de Renault : les acquis qu’ils réussissaient à arracher par leur luttes étaient ensuite (avec des retards et des inégalités) étendus à la plupart des salariéEs, à l’instar des 3e et 4e semaines de congés payés.
Depuis les années 1980, au contraire, les écarts entre salariéEs se creusent de manière continue. Ils prennent deux formes. D’abord, l’augmentation des écarts de salaires, par le biais des inégalités de revalorisation ou de la progression du temps partiel. Ensuite, le risque de chômage et de précarisation qui frappe toujours davantage les moins qualifiés. Les études montrent aussi que la structure des emplois évolue.
Il y a un grand bouleversement du monde du travail. Les analyses dominantes l’attribuent exclusivement au changement technologique (l’informatisation) et au commerce international. Nul doute que ces facteurs soient utilisés pour déstructurer le salariat. Mais il n’y a pas de fatalité : le rapport de forces social influence ces évolutions, et de salutaires freins hérités de la période antérieure subsistent.
Ainsi en France, en comparaison d’autres situations, et ce malgré son insuffisance, le salaire minimum a soutenu les bas salaires. Le rôle des branches a aussi contribué à limiter les inégalités de salaires entre entreprises dans un secteur. Ce n’est pas un hasard si les ordonnances Macron s’attaquent aux branches et si l’idée d’une réforme du SMIC commence à circuler. Ce n’est pas un hasard non plus si, depuis des années, patronat et gouvernement visent à déstructurer les secteurs susceptibles de jouer les « premiers de cordée » des luttes sociales. Les « premiers de cordée » que Macron aime à vanter prospèrent, eux, sur la dégringolade des autres.