Mettre en avant les échanges internationaux comme explication principale au chômage en France est une stupidité ou une escroquerie politique. Ce qui ne signifie pas que les capitalistes n’utilisent pas la liberté des échanges et les disparités sociales pour exploiter encore plus les salariéEs...
À l’occasion de cette campagne présidentielle, une musique protectionniste se fait entendre dans divers secteurs politiques, de l’extrême droite à la gauche. Les positions des uns et des autres ne sont pas identiques. Ainsi, nous n’assimilons pas le « protectionnisme-chauvinisme » du Front national et le « protectionnisme solidaire » inscrit dans le programme de la France insoumise. Mais il y a dans les discours pour le grand public un fond commun : rejeter sur la concurrence extérieure la responsabilité des destructions d’emplois et des fermetures d’usines. Situation d’autant plus grave que cette chanson n’est pas sans écho chez les travailleurEs.
En réalité, un grand nombre d’emplois se trouvent dans des activités non soumises à la concurrence étrangère ou seulement de façon marginale. C’est le cas des services publics et privés (administrations, santé, banques, commerce, etc.) et du bâtiment-travaux publics. Si l’emploi y baisse, c’est en raison de décisions des dirigeants publics ou privés de ces secteurs. La question de l’impact des échanges extérieurs sur l’emploi concerne avant tout l’industrie (ainsi que les centres d’appel, des services informatiques, etc.).
Externalisation, filialisation, délocalisation
Fondamentalement, ce qui pèse avant tout sur l’emploi, c’est la course effrénée du capital aux gains de productivité et au profit dans un contexte où la demande est déprimée par la compression des salaires. C’est cette course qui l’amène aussi bien à externaliser et à filialiser certaines activités à des entreprises françaises où les salariéEs sont moins payés qu’à délocaliser à l’étranger.
Tous les travaux économiques sérieux montrent que les délocalisations représentent une part limitée des suppressions d’emplois industriels. Une étude de l’INSEE chiffre à 20 000 en 3 ans le nombre de suppressions directes de postes en France dues à des délocalisations opérées entre 2009 et 2011. Même si on double ce chiffre pour tenir compte des emplois chez les sous-traitants et fournisseurs, c’est beaucoup moins que les pertes d’emplois durant la période. Ceci ne signifie pas que cette part ne soit pas lourde de conséquences dans certains secteurs (textiles, chaussures…), surtout si on tient compte des importations à faible prix réalisées par l’entremise des chaînes de distribution. Limitées ou pas, ces pertes d’emplois sectoriels ont des conséquences dramatiques pour les travailleurEs concernés.
Trump roule des mécaniques
Le protectionnisme peut lui aussi s’accompagner de suppressions d’emplois et de baisse de salaires au nom du « patriotisme » et de la mystification selon laquelle patrons et ouvriers seraient dans le même bateau.
Trump peut rouler des mécaniques, les annonces qu’il fait sont marginales par rapport aux suppressions d’emplois et aux transferts de production de l’industrie américaine. D’ailleurs il s’agit souvent de projets déjà dans les cartons... Comme le déclare ironiquement le patron de Renault-Nissan, Carlos Goshn : « Quand un groupe annonce un investissement de plusieurs milliards de dollars, c’est qu’il y a travaillé depuis longtemps ».
S’opposer à la logique capitaliste
La mondialisation, l’internationalisation des productions, sont consubstantiellement liées à la phase actuelle du capitalisme. Mais il ne faut pas en déduire une impuissance de la politique, comme Lionel Jospin, Premier ministre socialiste, qui en 1999 s’était borné à déclarer « l’État ne peut pas tout » face à des licenciements massifs chez Michelin... Au contraire, un gouvernement des travailleurEs appuyé sur la mobilisation sociale pourrait s’opposer à la logique capitaliste. Mais pour cela, il faudrait une vraie volonté politique (et pas du baratin) et des appels à la solidarité nationale.
Face aux vendeurs d’illusion, notre réponse est la lutte pour défendre pied à pied les emplois, et partager le travail sans aucune baisse des salaires. Si une entreprise doit fermer ou être dépecée, que l’État intervienne sans aucune indemnisation pour les actionnaires. Au-delà, une France débarrassée du capital devra se poser le problème d’un développement sans interférence des pressions du marché international et en collaboration avec les pays qui auraient fait les mêmes choix, tout en menant bataille pour l’harmonisation des droits sociaux de tous les travailleurEs du monde (soutenant leurs luttes).
Henri Wilno