« Ce à quoi on assiste, c’est à un jeu de poker menteur ultra-spéculatif ». C’est ainsi que Laurent Pinatel, de la Confédération paysanne, explique la pénurie de beurre dans les grandes surfaces et les difficultés d’approvisionnement des artisans et petits industriels de la filière.
De leur côté, les producteurEs de lait affiliés à la FNSEA multiplient les interventions dans les grands supermarchés pour expliquer aux consommateurEs, qui s’inquiètent de voir les rayons vides, que tout cela est une question de prix, les éleveurEs n’en pouvant plus de travailler à perte alors qu’industriels et distributeurs refusent de payer le juste prix.
Les effets de la suppression des quotas laitiers
Les éleveurEs ont parfaitement raison lorsqu’ils récusent l’argument de l’augmentation du prix du lait. Certes le prix est reparti à la hausse, mais c’est après les fortes baisses enregistrées en 2015 et 2016, et le niveau actuel reste inférieur à celui de 2014. On se souvient que l’effondrement, au-dessous des coûts de production, avait provoqué des manifestations auxquelles le ministre de l’Agriculture comme la Commission européenne avaient répondu en conseillant aux éleveurEs de limiter leur production, avec des aides à l’appui et des mesures de stockage de la poudre de lait.
Pour résumer, la Commission européenne a, avec l’accord des gouvernements nationaux, supprimé en 2015 les quotas laitiers, qui adaptaient l’offre à la demande, pour complaire aux industriels qui allaient profiter de la surproduction pour tirer à la baisse le prix de la matière première. Mais, face à la levée des fourches, elle a encouragé la maîtrise de la production, sous une forme bien moins organisée et sans aucun souci de la qualité et de la variété des produits mis sur le marché. Il ne s’agit pas de mythifier les quotas : ils n’ont pas empêché des milliers d’exploitations de disparaître, mais ils avaient au moins assuré une certaine stabilité des prix.
Des politiques collectives sont nécessaires
Il est exact que la production de matières grasses a baissé alors que la demande augmentait. Mais c’était couru d’avance. À titre individuel l’éleveurE, confronté en amont à une hausse des coûts de production sur laquelle il n’a pas la main et, en aval, aux prix trop bas imposés par les laiteries – elles mêmes pressurées par l’agro-industrie – fait des choix économiques à son échelle, pour préserver ses revenus : si la production de lait à plus forte teneur en matières grasses génère des dépenses supplémentaires non couvertes par le prix de vente, il ne fera pas ce choix. L’adéquation de la production – en quantité et en qualité – aux besoins de la population suppose des politiques collectives, une planification débattue par les agriculteurEs, les salariéEs des filières et les consommateurEs.
Mais, comme le soulignent tous les syndicats agricoles, les aléas de la production ne suffisent pas à expliquer la flambée du prix du beurre et une pénurie dont beaucoup pensent qu’elle est organisée à la fois par du stockage et une priorité donnée aux marchés à l’exportation, plus rémunérateurs. Les froncements de sourcil du ministre, ses propos rassurants et quelques mesurettes ne régleront rien. L’alimentation est un besoin fondamental dont la satisfaction ne peut être garantie qu’en la sortant des griffes du capitalisme, en socialisant l’industrie et la grande distribution.
Gérard Florenson