Publié le Mercredi 7 octobre 2020 à 15h07.

Thomas Piketty : une critique illusoire du capital, d’Alain Bihr et Michel Husson

Page 2/Syllepse, 196 pages, 10 euros.

Thomas Piketty a successivement publié deux livres monumentaux (au moins par leur nombre de pages) : le Capital au 21e siècle et, plus récemment, Capital et idéologie. Ses critiques de la propriété et des inégalités lui ont valu des attaques acerbes à droite mais n’en font pas pour autant un penseur susceptible de renouveler la réflexion sur le socialisme.

Piketty ne comprend pas ce qu’est le capitalisme

Le livre d’Alain Bihr et Michel Husson résume les thèses de Piketty et les confronte à un marxisme non dogmatique. Piketty accorde un rôle déterminant aux évolutions idéologiques, tandis que les rapports de production, les rapports entre les classes et les rapports sociaux dans leur ensemble sont réduits à un « contexte » dans lequel se déploient les affrontements idéologiques. Ainsi, dans chaque société, c’est l’idéologie qui déterminerait les inégalités. Si, en Europe et aux États-Unis, on a assisté à partir de la fin des années 1920 à la montée d’un capitalisme plus organisé et plus « social », qui a ensuite été systématisé de la fin de Seconde Guerre mondiale aux années 1970, ce n’est pas, pour Piketty, du fait des impasses du capitalisme, des luttes sociales… mais parce que les idées auraient évolué.
Les auteurs soulignent à juste titre que Piketty ne comprend pas ce qu’est le capitalisme, un système économique particulier fondé sur l’exploitation de la force de travail, et qu’il le réduit à un « propriétarisme ». Piketty s’intéresse donc avant tout aux rapports de distribution et aux inégalités de revenu et de patrimoine, inégalités que l’on peut mesurer (il y a d’ailleurs fortement et utilement contribué par son travail statistique).

« Socialisme participatif » ?

Pour saper le pouvoir des propriétaires et ses conséquences nuisibles, soutient Piketty, l’essentiel est de s’attaquer à l’idéologie qui le justifie, ce qui permettra d’imposer des réformes. Il préconise ainsi un bouleversement, au profit des salariéEs, des mécanismes de décision dans les entreprises, ainsi que des mesures fiscales pour empêcher la concentration des richesses et une dotation financière minimale accordée à tous les individus. Cela conduirait à un « socialisme participatif ». Bihr et Husson en soulignent les limites et le fait que ce programme réformiste ne permettrait pas une sortie du capitalisme. Son « socialisme » vise en fait à en compenser les « excès » sans remettre en cause les rapports sociaux de production qui en sont la base.

Piketty est devenu une « star » de l’économie. Dans le contexte actuel, pourquoi ne pas utiliser certains de ses arguments dans la bataille impitoyable avec les capitalistes et leurs laquais politiques et intellectuels ? Mais autre chose est de s’illusionner sur sa vision du monde et les perspectives qu’il trace. Le livre de Bihr et Husson est un instrument fort utile pour ne pas tomber dans ce piège.

On lira enfin avec intérêt la postface du livre qui intègre la crise du coronavirus et souligne que, plus que jamais, il faut abandonner la recherche d’« alternatives astucieuses » (ce qui ne veut pas dire renoncer à l’élaboration programmatique) car ce sont en fait des affrontements majeurs qui se profilent.