La crise, c’est aussi la guerre de classes. Et dans cette guerre se joue la situation des salariéEs dont divers indicateurs statistiques montrent la détérioration.
Deux chiffres concernant la France sont tombés depuis le début de l’année, et ont été montés en épingle par le gouvernement. D’abord 110 000 chômeurs de moins en catégorie A (chômeurs sans aucune activité)... mais cette baisse s’est accompagnée d’une hausse des contrats précaires : depuis début 2016, le nombre d’inscrits en catégories B et C, qui exercent une activité réduite, mais continuent de chercher du travail, a augmenté de plus de 130 000 personnes. Autre chiffre : plus de 190 000 emplois créés dans les entreprises, mais là-dessus, il y a près de 70 000 intérimaires (la proportion de CDD et de temps partiel n’est pas encore disponible).
Recul du CDD à temps plein
Ces chiffres français s’inscrivent dans la tendance de l’Union européenne : plus de temps partiel, plus de précarité. Ainsi, entre 2008 et 2015, l’emploi total dans l’Europe des 27 a baissé de 3,9 millions de personnes, mais ce chiffre est le résultat de deux mouvements de sens contraire : un recul de 7,6 millions de l’emploi à temps plein et une hausse de 3,7 millions de l’emploi à temps partiel. En Espagne, la part de temps partiel parmi les salariés est ainsi passée de 11,4 % à 15,6 %, et pour près des deux tiers (63,4 %), il s’agit d’un temps partiel subi. L’emploi des femmes recule moins que celui des hommes durant la crise (les emplois industriels plus fréquemment occupés par des hommes ont été plus touchés), mais cette « préservation » des emplois féminins se fait au prix d’un temps partiel croissant.
Le CDI à temps plein recule pour toutes les catégories de salariés, sauf pour les 20 % les mieux payés. Pour les autres catégories, quand il y a progression des emplois, c’est sous forme de CDD et de temps partiel.
Quant au salaire réel, il a clairement baissé en Grèce (de 17 %), Hongrie, Grande-Bretagne et Portugal et stagné en Autriche, en Italie et en Espagne. Dans les autres pays, notamment en France, le salaire réel a augmenté, mais il ne faut pas en tirer un diagnostic sur la situation des salariés en général : raisonner sur le salaire moyen fausse le diagnostic car celui-ci est tiré vers le haut si les salaires élevés augmentent plus vite ou si les bas salaires sont plus frappés par les suppressions d’emplois (ce qui est le cas). Autre limite, ces salaires ne tiennent pas compte de l’impact du temps partiel, or celui-ci a augmenté...
Pas de fatalité aux reculs sociaux
Ces évolutions ne sont pas le produit de la fatalité. Au nom de la crise et prétendument pour lutter contre le chômage, les mesures adoptées dans les différents États membres de l’UE ont toutes été dans le même sens : modification du temps de travail et déréglementation de l’utilisation des contrats atypiques (CDD, intérim), précarisation accrue des contrats de travail, simplification des conditions de licenciement, réduction et gel des salaires, affaiblissement des systèmes d’assurance chômage…
À travers la crise se joue donc une recomposition globale au détriment des salariéEs. Quand ceux-ci s’avisent de lutter, le bâton n’est jamais bien loin : ainsi, l’observatoire syndical européen note ce qu’il appelle le « recours à une force excessive » contre les manifestantEs. Les manifestations contre la loi El Khomri l’ont assez bien illustré...
Henri Wilno