L’apprentissage, c’est-à-dire la formation en alternance en vue de l’obtention d’un diplôme, est l’une des responsabilités des conseils régionaux. Ce secteur, dans les mains du patronat et d’organismes privés, reçoit de l’argent public sans contrôle. Il était navrant d’entendre, sur la chaîne parlementaire (LCP), vendredi 12 mars, Jean-Paul Huchon et Valérie Pécresse débattre avec pugnacité de leurs mérites respectifs pour augmenter le nombre des jeunes orientés vers l’apprentissage dans la région Île-de-France (la meilleure selon Huchon). Ce débat essentiel sur l’apprentissage, nous aurions aimé l’avoir avec le PCF, le PG, les Verts et le PS qui gèrent les régions. On sait que la droite a saccagé l’enseignement professionnel, en adaptant la formation aux besoins immédiats du patronat et en excluant un nombre croissant de jeunes du service public d’éducation. Or, les conseils régionaux n’ont pas combattu cette politique, ils l’ont au contraire accompagnée. Ils auraient dû par exemple utiliser leurs moyens pour reprendre la majorité des BEP supprimés dans le cadre de l’enseignement public1. L’apprentissage est le mode de formation préféré du patronat. Cela se sait et se comprend, il dispose d’une main-d’œuvre à très bon marché (25 % du Smic pour un apprenti en première année), en attente de diplôme et donc obéissante. Encore faut-il que les apprentis aient pu trouver par eux-mêmes une entreprise car beaucoup d’entre eux, sortis du système scolaire, sont laissés à l’abandon et la crise économique rend cette recherche encore plus difficile. Mais pour quelle formation ? Sans généraliser, car les cursus scolaires de l’apprentissage vont du niveau CAP à celui d’ingénieur, la formation « sur le tas » est tributaire du bon vouloir du patron, du choix du maître d’apprentissage, de ses compétences et des objectifs parfois contradictoires fixés à l’apprenti dans l’activité de l’entreprise et dans son cursus scolaire. Cette formation est étroitement liée à l’activité de l’entreprise, ce qui peut rendre difficile d’en changer après l’obtention du diplôme. Et que dire des jeunes en pré-apprentissage dès l’âge de quinze ans (une semaine en entreprise, une semaine en CFA2), trop tôt déscolarisés, qui, après avoir trouvé une entreprise, ont souvent pour principale activité le maniement du balai. L’apprentissage c’est aussi tout un ensemble complexe d’organismes privés profitant ou gérant des financements publics. Les CFA sont très majoritairement privés et sous contrôle direct du patronat. Ils reçoivent des régions des centaines de millions d’euros de subventions alors que les lycées d’enseignement professionnel (LEP) publics sont souvent sous-équipés et sous encadrés. Dans le même temps, le gouvernement favorise l’apprentissage par des aides financières aux entreprises (primes à l’embauche, exonération de charges et aides à la formation).Les mécanismes de financement des CFA font aussi intervenir le versement par toutes les entreprises de la taxe d’apprentissage (TA). La collecte de cette taxe est très coûteuse en prospection et très inégale en redistribution. En 2007, 1 143 millions d’euros ont été reçus par les CFA soit une taxe moyenne de 1 669 euros par apprenti. Les fonds publics – la TA est un impôt – constitués par cette collecte ne vont pas toujours vers les CFA, les sommes collectées sont en effet gérées par des organismes privés dans une certaine opacité avant d’être redistribuées au patronat de la formation. Pour mener une politique vraiment sociale, les conseils régionaux de gauche devraient créer de véritables services publics régionaux de la formation professionnelle qui donneraient la priorité aux LEP publics sur l’apprentissage, mèneraient une politique d’intégration des CFA dans ces services publics régionaux en prenant des dispositions pour y intégrer leurs personnels, dans la fonction publique territoriale par exemple. La collecte et la distribution de la TA ne doivent pas être laissées à des organismes privés, elle devrait être assurée par les conseils régionaux. Dans l’immédiat, ceux-ci doivent réévaluer et contrôler les organismes privés de gestion et s’assurer que la TA est bien dirigée vers les CFA. L’élaboration des budgets de fonctionnement des CFA doit être faite en concertation avec les conseils régionaux et ceux-ci devraient participer aux conseils d’administration des CFA. Pierre Sandrini
1. Depuis la « réforme » de Sarkozy du bac pro, seulement quatre spécialités de BEP ont été conservées. Les sections de CAP, sur deux ans après la troisième, continuent d’exister, en parallèle avec les sections de bac pro en trois ans. Elles peuvent permettre à des jeunes ayant un niveau scolaire suffisant d’obtenir un bac pro en quatre ans. 2. Centre de formation par l’apprentissage.