L’Enseignement supérieur subit ces dernières semaines une offensive majeure sur plusieurs fronts, qui fragilise l’ensemble de la communauté universitaire, sape ses fondements jusqu’à la menacer dans son rôle et ses missions. Ces attaques s’appuient sur une conception néolibérale des universités déjà à l’œuvre dans les réformes précédentes, mais qui se révèle dans la conjoncture pour ce qu’elle est : l’ultime tentative pour détruire dans l’Enseignement supérieur ce qu’il reste de public, gratuit et ouvert à touTEs les bachelierEs.
LPR : cap au pire
La Loi de programmation de la recherche (LPR), combattue dès l’automne dernier par l’ensemble de la communauté universitaire — fait rare —, directeurs de laboratoires, présidents des sections du CNRS et de la Commission permanente du CNU, Conférences des présidents d’université, et du Conseil économique, social et environnemental, a pourtant été adoptée le 20 novembre dernier. Limitation drastique de l’autonomie de la recherche, remise en cause du statut de fonctionnaire, mise en concurrence et marchandisation des savoirs : la LPR va au-delà des pires craintes exprimées partout depuis un an. La voie est ouverte vers un contrôle accru du politique et des entreprises sur les orientations de la recherche par une recherche par projet, et une précarisation des équipes avec la multiplication des contrats courts, ce qui va contribuer à accentuer les inégalités et la concurrence entre collègues, laboratoires et disciplines en contrevenant aux principes mêmes de la science.
Cela s’accompagne en effet d’un affaiblissement des financements pérennes au profit du financement via l’Agence nationale de la recherche. La suppression du CNU, garant du cadre national des recrutements et du principe de la collégialité et de la reconnaissance par les pairs, met à mal l’un des piliers du fonctionnement de l’ESR, accentue l’arbitraire à l’embauche et renforce l’autonomie des universités, dont on mesure déjà l’échec depuis dix ans, de fusion en fusion, créant des monstres bureaucratiques déshumanisés et voués à la faillite, où la démocratie interne est rendue impossible par la présence grandissante de personnalités extérieures dans les CA et les contraintes budgétaires invraisemblables qui sont imposées par le gouvernement. La logique néolibérale d’appels à projets mettra fin à la recherche sur le temps long et fragilisera le travail des chercheurEs, notamment en sciences humaines. Tout converge donc pour parachever la destruction de l’université publique qui s’aligne ainsi sur la logique entrepreneuriale.
Ces dernières semaines, l’hostilité à l’égard de l’Enseignement supérieur a pris les accents abjects du racisme chez certains ministres qui, sous couvert de lutte contre le terrorisme, ont jeté des accusations en « islamo-gauchisme », préparant le terrain à une criminalisation de la communauté universitaire. Ainsi, les libertés académiques ont été assujetties « au respect des valeurs de la République » — quelles valeurs ? — ce qui représente une étape dans la marche vers un État autoritaire dont les traits se dessinent clairement à travers le dispositif global des réformes gouvernementales. Les occupations des facs, pourtant élément crucial des répertoires d’action historiques des mouvements étudiantEs pour défendre les libertés, relèveront désormais du pénal, avec l’incarcération (jusqu’à 3 ans) des étudiantEs rebelles et la menace d’expulsion des étudiantEs étrangers.
Facs fermées : étudiantEs abandonnés, personnels méprisés
Ces derniers mois, de confinement en confinement, on mesure combien l’université a été également l’objet d’un traitement particulier où les choix pris n’ont obéi que de très loin à une logique sanitaire. Premières à fermer, dès le mois de mars, et malgré une reprise souvent dégradée à la rentrée, les universités ont subi de nouveau les mesures de confinement à la fin octobre et ne seront autorisées à rouvrir au mieux qu’à la mi-février, quinze jours après les lycées, deux mois et demi après les magasins et les églises. Ces choix sont incompréhensibles et ne sont justifiés en rien par des questions de santé publique. Alors que le gouvernement a laissé ouverts les grands centres commerciaux où s’entassent les clients appelés à consommer, les universités sont traitées avec le même mépris témoigné par ce pouvoir à l’égard de la jeunesse. C’est qu’aux yeux du gouvernement, l’enseignement n’a pas de valeur. La théorie de l’homo œconomicus, réduisant la totalité de la vie sociale à ses aspects mercantiles, est désastreuse. Ce déconfinement n’est pas qu’un point symbolique. La généralisation des cours en distanciel et leur prolongation arrange le gouvernement qui y voit une bonne manière d’empêcher les rassemblements et les contestations, de justifier à terme la fermeture – ou la non-ouverture – de postes d’enseignantE, voire de rendre inutiles les campus.
On commence à mesurer les ravages de cette situation. L’enseignement à distance ne dégrade pas seulement les conditions de travail, il est pédagogiquement un non-sens quand on sait combien la socialisation des connaissances est indispensable aux apprentissages. Les étudiantEs, dernierEs parmi les dernierEs de cordée, subissent de plein fouet ces mesures dans tous les aspects de leur vie. Ils et elles peinent à suivre des cours par manque d’ordinateur ou parce que les connexions ne le permettent pas. Le décrochage, le découragement, l’atomisation et la fragilité psychique et existentielle se généralisent. Ils et elles vivent ce confinement comme un enfermement, où est devenue impossible toute vie sociale – si essentielle dans leur construction intellectuelle et sensible. La misère déjà grande chez beaucoup d’étudiantEs est partout présente : le confinement a touché de plein fouet des celles et ceux qui ne vivaient que de petits boulots, et dont beaucoup se nourrissent désormais dans des cantines solidaires.
Des solutions existent pourtant, qui permettraient de renouer avec les cours en présence, seuls garants d’un enseignement digne de ce nom, et avec une vie sociale qui permettrait aux étudiantEs de reprendre pied. Jauge à 50% permettant la distance sanitaire ; gel et masques distribués gratuitement ; systèmes de ventilation ; tests systématiques des enseignantEs et des étudiantEs cas contacts ; protection des personnels fragiles, notamment administratifs qui sont souvent oubliés et laissés à leur sort ; recrutement d’enseignantEs pour mettre fin aux surcharges des salles et dédoubler les cours…
Les personnels administratifs subissent aussi de plein fouet les conséquences des fermetures : la distance les isole et impose une charge de travail plus importante encore. L’université est une activité essentielle et à ce titre, elle doit pouvoir ouvrir dans le respect des mesures sanitaires, en protégeant les plus vulnérables.
Chaque crise impose des choix ; les arbitrages faits révèlent les logiques profondes à l’œuvre.
« Il n’est pas facile d’avoir 20 ans », avait osé Macron. Non, ce qui est difficile, c’est de subir ce mépris à 20 ans : c’est d’être abandonnés par les pouvoirs publics parce qu’on a 20 ans.
Et maintenant ?
Il n’est pas trop tard pour empêcher la promulgation de la funeste LPR. Les mobilisations restent vives et les cadres de coordinations nationaux efficaces malgré la fermeture des campus. Mi-novembre l’opération Écrans Noirs avait mis à l’arrêt de nombreux cours en ligne. Continuons à nous fédérer, à construire partout des fronts communs pour s’opposer à cette destruction réglée de l’ESR public. Pour cela, il faut reprendre possession de nos campus et nous réunir étudiantEs, enseignantEs et personnels des universités en assemblée générale – dans le respect des gestes qui nous protègent bien sûr – avec la ferme intention de défendre nos libertés et nos droits.
Formons des cortèges ESR dans les manifestations à venir, descendons dans la rue à l’appel de l’intersyndicale le 10 décembre pour la réouverture des universités avec les moyens nécessaires.
Démontrons l’inanité de leurs fermetures, pour redonner la possibilité aux étudiantEs de sortir de leur détresse, de reprendre le chemin des salles de cours et de leur vie, et pour les personnels administratif, celui des labos et des services.
Exigeons des postes et des moyens, pérennes et conséquents, dans ce contexte d’autant plus essentiel.
Défendons l’indépendance de la recherche académique qui va de pair avec la liberté de se mobiliser, de s’exprimer, de lutter.