C’est une drôle de rentrée qui se prépare dans les écoles, collèges et lycées. Alors que le déni sur la situation sanitaire se poursuit, le meurtre odieux de Samuel Paty occupe le premier plan. Et au nom de la liberté d’expression, l’urgence de Blanquer, c’est de cadrer le plus strictement possible les pratiques des profs.
Le ministre a commencé à préciser les modalités de la journée de rentrée, qui sera donc bien largement, voire totalement, consacrée à un retour sur l’attentat de Conflans-Sainte-Honorine. Il y aura trois temps : d’abord un temps de concertation au sein de l’équipe enseignante, puis un débat en classe avec les élèves autour de la liberté d’expression, et enfin une minute de silence suivie de la lecture de la lettre de Jean Jaurès aux institutrices et instituteurs.
Ce premier temps banalisé, s’il permet réellement une discussion entre collègues, pour confronter les ressentis, les analyses et les attentes, est plutôt bienvenu. Mais outre qu’il est indispensable qu’il soit étendu au premier degré, ce qui n’est pour l’instant pas prévu, il ne faudrait pas qu’il serve en fait à la hiérarchie pour dérouler des instructions très précises et contraignantes sur la manière dont chaque enseignantE devra organiser cette journée avec ses élèves.
Tout est à craindre en effet de ce gouvernement et de ce ministre passé maître dans l’art de l’antiphrase : quand il dit « confiance », il institue la suspicion généralisée contre les enseignantEs. Et quand il prétend défendre la liberté pédagogique, c’est pour chasser les mauvais petits soldats de la laïcité, celles et ceux qui en refusant de céder à l’islamophobie ambiante, se rendent coupables, au mieux de « lâcheté », au pire de « traîtrise ».
Rhétorique guerrière pour mieux diviser
Il est d’ailleurs frappant de voir comme ce vocabulaire militaire s’est imposé dans un débat qui concerne l’école. C’est le cas notamment avec l’expression « hussards noirs », un vocable poussiéreux et détestable qui assimile l’enseignantE au soldat se battant pour sa patrie. N’oublions pas que l’héritage des « hussards », de l’école de la troisième république, c’est aussi d’avoir préparé toute une génération à se faire tuer dans les tranchées de la Première Guerre mondiale, au nom d’une idéologie nationaliste mortifère.
Il est donc tout à fait paradoxal qu’au moment où se déploie ce discours sur une éducation nationale « en guerre », on invoque la figure de Jean Jaurès, connu pour son engagement pacifiste. Et au-delà de cette récupération scandaleuse, l’école ne mérite-t-elle pas mieux que des références datant de plus d’un siècle ?
Contre tous les éditorialistes réactionnaires qui voient dans l’émotion légitime autour du meurtre de Samuel Paty, l’occasion de défendre leur vision passéiste de l’éducation, il faut continuer à défendre un projet d’émancipation des jeunes. Faire vivre la liberté d’expression et la liberté pédagogique, en ne rentrant pas dans le jeu de ceux qui veulent utiliser les caricatures de Charlie Hebdo comme une provocation, une revanche contre des élèves jugés responsables.
Faire vivre la liberté d’expression, c’est aussi affirmer qu’elle concerne d’abord les élèves, et que quels que soient les écarts de langages, les questions maladroites ou les hésitations qui apparaîtront le lundi 2 novembre, la dénonciation auprès des autorités de l’éducation nationale n’est pas une solution.
Blanquer et son idéologie guerrière : poubelle !
Blanquer entend faire la guerre, non seulement à l’« islamisme », mais à toutes celles et ceux qui ne partagent pas sa vision islamophobe de la laïcité, à celles et ceux qui luttent pour l’émancipation, contre toutes les formes d’oppression, celles et ceux qui se reconnaissent dans le concept d’intersectionnalité. Cette guerre n’est pas celle des profs. Il s’agit non seulement de ne pas rentrer dans ce jeu, mais aussi de dire enfin « stop » à un ministre qui puise son idéologie dans la fange de l’extrême droite.