Publié le Samedi 4 juillet 2009 à 21h36.

La casse de l'éducation 

Les « réformes » libérales du gouvernement s'attachent au démantèlement du service public d'éducation. De la maternelle à l'université. 

 

Revigoré par les élections européennes, le gouvernement et Sarkozy continuent leurs contre-réformes de l’éducation: mise en place de la « masterisation » dans les universités, ouverture des établissements le week-end et pendant les vacances; répression syndicale sans précédent; diminution programmée du nombre de personnels et d’enseignants (34000 suppressions de postes); « réforme » du lycée à venir; accord avec le Vatican… Il s’agit de détruire le service public d’éducation, d’adapter la formation des jeunes aux besoins immédiats du patronat, de formater les jeunes, de diminuer le coût de la main-d’œuvre…

Cette année déjà, la révolte a grondé: mobilisation des lycéens en décembre; dix-sept semaines de grève dans les universités avec blocages, ronde des obstinés, cours hors les murs… Dans le premier degré: il y a eu des actes de désobéissance et de fortes mobilisations lors des journées d’actions interprofessionnelles (avec des taux de grévistes souvent supérieurs à 60%). Tout cela pour aboutir au fiasco du 13 juin: les directions syndicales n’ont pas voulu relier les mobilisations dans un mouvement d’ensemble  montant en puissance avec un calendrier d’action resserré. L’action des équipes combatives et des militants anticapitalistes n’a pas pesé suffisamment.

Il faut rompre avec cette stratégie qui refuse l’affrontement avec le gouvernement et construire dans les assemblées générales et leurs coordinations un mouvement d’ensemble sur des mots d’ordre unifiants: refus des contre-réformes de l’éducation et des suppressions de postes, augmentation des salaires, amélioration des conditions de travail pour une école démocratique…

Destruction programmée de la maternelle 

Le gouvernement a permis à des collectivités locales ou à des entreprises de se porter candidates pour ouvrir des jardins d’éveil. Ces structures, ni crèche, ni école, ouvertes aux enfants de 2 à 3 ans, pourront s’implanter dans les maternelles, sans personnels éducatifs qualifiés. Avec des taux d’encadrement inférieur (une professionnel pour «huit à douze  enfants», au lieu de huit aujourd’hui en crèche), elles seront payées par les communes, les CAF et… les parents! Avec les réductions de postes, en dix ans, la proportion des enfants de 2 à 3 ans accueillis gratuitement en maternelle est passée de 35 à 20%, soit 14000 enfants par an laissés à la porte de la maternelle. D’ici 2012, le gouvernement veut ouvrir 8000 places en jardins d’éveil et, à terme, 16000 places supplémentaires. Les débats à l’UMP sur le report de 3 à 5 ans de l’âge de scolarisation de droit, comme les déclarations de Darcos contre les enseignants de maternelle («bons à changer des couches») montrent les intentions de la droite: supprimer la maternelle permet le transfert de ses enseignants vers l’élémentaire et, malgré la hausse du nombre d'élèves, de continuer à supprimer des postes… 

Collège unique remis en cause 

Bien qu’il n’ait pas été, cette année, l’objet d’attaques frontales, le collège est néanmoins « réformé » en profondeur. Les possibilités d’orientation avant la fin de la troisième se sont multipliées. La mise en place de stages en entreprise dès la quatrième, la création des troisièmes DP6 (« découverte professionnelle »), dans lesquelles les élèves, moyennant le sacrifice d’une langue vivante, consacrent six heures de leur temps à préparer leur orientation professionnelle et à «découvrir le monde de l’entreprise », la possibilité de faire des troisièmes en alternance ou «pré-apprentissage» dès 14 ans constituent des entailles au principe de collège unique, conçu pour permettre à tous de s’instruire et de se promouvoir. Les évaluations en CM2 permettront sans doute de sélectionner rapidement le mauvais élève qui devra se contenter du socle commun et être orienté à la fin de la cinquième vers la voie professionnelle. Croulant sous des dispositifs d’aide dite «individuelle», il n’aura plus accès aux enseignements qui sortent du cadre scolaire pour faire l’objet de l’accompagnement éducatif – non obligatoire – (pratiques artistiques et sportives, mais aussi pratique de l’oral en anglais…). Le collège unique, pensé comme coûteux et inutile par le gouvernement, est ainsi grignoté de l’intérieur. 

Démantèlement de l'aide personnalisée 

A la rentrée 2008, deux heures d’enseignement ont été supprimées pour l’ensemble des élèves afin de mettre en place l’aide personnalisée. Conséquences de cette contre-réforme: annualisation d’une partie du temps de travail pour les enseignants, suppression de 3000 (9000 sur trois ans) postes d’enseignants formés pour intervenir auprès des  élèves en difficulté (réseaux d’aide), allongement de la journée de travail pour certains élèves. Cette mesure, que le gouvernement présente comme bénéficiant aux élèves en difficulté, est un leurre. La difficulté ne se traite pas en allongeant le temps de travail de l’élève ou en rabâchant les cours précédents. Avec l’aide des parents, les enseignants ont décidé de refuser la mise en place de l’aide personnalisée (AP) afin d’imposer l’arrêt des suppressions de postes d’enseignants spécialisés et d’imposer d’autres moyens pour les élèves en difficulté. Dès le début de l’année, un mouvement de « désobéïsseurs »1 a commencé à voir le jour. Mais, en l’absence d’un soutien des directions des syndicats majoritaires dans la profession et d’un appel clair à la résistance de tous, ce mouvement est resté isolé et les enseignants subissent sanctions et retraits de salaires. 

1. Voir http://resistancepedagogique.blog4ever.com/blog/index-252147.html et lire page 2. 

Attaques contre le secteur professionnel 

Le secteur professionnel s’est trouvé dans la ligne de mire du gouvernement, avec la mise en place d’une vaste « réforme » visant à généraliser la préparation du bac pro en trois années et à déqualifier à terme le BEP. Initialement, le parcours, échelonné sur quatre années, avait été conçu pour mieux préparer des élèves, souvent en échec scolaire, en les amenant au bout de deux ans à un BEP puis, dans un deuxième temps, en les préparant au bac. Cette « réforme », qui permet de diminuer le nombre de postes, constitue une véritable attaque idéologique. Actuellement, 50% seulement des élèves sortent du lycée pro avec le bac en poche. Avec une formation en trois ans, on peut présager un taux d’échec en forte augmentation, ainsi que l’arrivée sur le marché du travail d’une main-d’œuvre moins diplômée, moins qualifiée, véritable réserve de précaires pour le patronat. Le secteur pro subit également de plein fouet l’introduction de nouvelles techniques de management, venues du privé et appliquées dans le secteur public. Les personnels se voient imposer une annualisation de leur temps de travail et une soumission accrue aux chefs d’établissement, qui disposent désormais d’un volant de 30% d’heures à distribuer à leur guise. Economies budgétaires, rentabilisation des personnels et dévaluation des diplômes sont désormais les maîtres mots de la politique gouvernementale. 

« Réforme » des lycées, le retour

La contre-réforme des lycées, annoncée en octobre 2008, prévoit une réduction considérable des horaires, la disparition de certaines matières, l’individualisation des parcours, remettant en cause le BAC comme diplôme national, et le renforcement de l’autonomie des établissements. Si le socle commun (lire, écrire, compter) est prévu pour tous, le reste des enseignements serait revu à la baisse ou privatisé (via des cours particulier). Même l’orientation deviendrait privée… Ceci augmentera les inégalités sociales et territoriales. La « réforme » apparaît d’emblée comme le moyen d’habiller la pénurie et de justifier les suppressions de postes. La polémique s’étend et aboutit à une forte mobilisation, mais sans appel à la reconduction de la part des syndicats, signataires des seize points de convergence. L’année dernière, rapidement, les lycéens se sont mobilisés à la grande inquiétude du gouvernement, qui redoutait le « syndrome grec ». Si bien que, le 15 décembre, le ministre de l'Education nationale, Xavier Darcos, a annoncé le report de sa « réforme ». Mais c’est pour mieux revenir, cette année, avec le rapport Descoings, publié en juin, et surtout le rapport Apparu, qui avance une politique d’austérité conforme à l'orientation gouvernementale. Leur objectif est d’en finir avec le lycée actuel avant mai 2012. L’annonce de l’expérimentation de la contre-réforme dans 123 lycées, dès la rentrée, conforte l’idée que le gouvernement veut passer en force. 

Universités en lutte 

Il y a cinq mois, le 22 janvier, l’université s’arrêtait… Tout au long d’une quinzaine de semaines, ce mouvement inédit a solidifié une rare unité entre enseignants, chercheurs, personnels Biatos, étudiants, et a inventé ses formes de lutte: manifestations massives et festives, cours hors les murs, « printemps des chaises », « ronde infinie des obstinés », blocages des campus… Parti de la révolte des enseignants-chercheurs contre la casse de leur statut et la mise à mal de leur liberté de recherche, et aussi du refus d’une « réforme » inepte de la formation des enseignants, le mouvement a vite contesté la loi LRU qui organise la concurrence entre les universités et ses personnels. Dès la seconde coordination nationale des universités, il a pris pour mot d’ordre « le savoir n’est pas une marchandise, l’université n’est pas une entreprise!». La conscience qu’il fallait sauvegarder le caractère de service public de l’enseignement supérieur et de la recherche a soudé ce mouvement. Le mouvement a contraint les ministres de l'Enseignement supérieur et de l'Education nationale, Valérie Pécresse et Xavier Darcos, à manœuvrer. Il a peut-être évité qu’ils aillent encore plus loin… Mais il n’a pas réellement écorné la logique des contre-réformes. La volonté d’une convergence des luttes n’a pas été relayée par les organisations syndicales et l’élargissement du mouvement, «de la maternelle à l’université », n’a pas eu lieu… 

Masterisation, piège à… 

La déclaration finale du sommet de Lisbonne de l’an 2000, signée par Jospin et Chirac, jetait les bases des politiques européennes de destruction de toute forme de service public d’éducation. Il aura fallu attendre Sarkozy pour que cette politique s’applique avec brutalité. Jusqu’alors, les enseignants des premier et second degrés devaient passer un concours de recrutement un an après la licence (bac+4), et bénéficiaient d’une année de formation en IUFM, avec le statut de fonctionnaire stagiaire et la rémunération afférente. Ces cinq années de formation universitaire auraient dû se solder par la délivrance d’un master (bac+5)… Mais Xavier Darcos a concocté une «réforme» scandaleuse: concours pendant le master 2 (cinquième année après le bac), qui supprime le stage rémunéré et les IUFM; obligation d’obtenir un master pour être nommé professeur… Au nom du faux argument d’élever le niveau de recrutement, il s’agit de faire disparaître, à terme, la fonction publique d’Etat et d'embaucher des contractuels de droit privé à la merci des chefs d’établissement. Les universitaires n’ayant pas fait remonter les maquettes des nouveaux masters, Xavier Darcos a été contraint de ne pas appliquer entièrement son dispositif pour 2010… mais il est passé en force au comité technique paritaire (CTP) ministériel, avec la complicité de la direction du Snes, qui espère une hypothétique «revalorisation» des quelques enseignants qui seront désormais titulaires.