Malgré l’échec, cet automne, des tentatives de mobilisation contre l’introduction de la sélection en licence, l’élaboration ces dernières semaines de motions ou de pétitions par lesquelles une fraction sans cesse croissante de la communauté universitaire demande le retrait ou le report de la réforme montre que le gouvernement n’a pas encore gagné la partie et qu’il existe des possibilités de construire le rapport de forces nécessaire pour le faire reculer.
Le projet de loi Vidal sur l’introduction de la sélection en licence n’a pour le moment pas suscité une opposition à la hauteur de ce qui constitue pourtant une attaque majeure contre les classes populaires, qui vont se trouver massivement écartées de l’accès à l’enseignement supérieur.
Rapports de forces dégradés
Cette situation est la conséquence de la dégradation des rapports de forces qui se traduit dans les universités par l’affaiblissement des organisations syndicales et la diffusion croissante des idées réactionnaires et néolibérales. Elle est aussi le fruit des erreurs des organisations syndicales qui, à l’exemple de l’Unef et du -SNESup, ont accepté en 2006-2007 l’introduction de la sélection en master, au motif qu’il valait mieux la négocier avec un gouvernement de gauche que d’attendre que la droite le fasse, ce qui n’a évidemment abouti qu’à encourager Macron à aller un peu plus loin en s’attaquant désormais à la licence.
La discussion en cours du projet de loi au Parlement a toutefois permis à la communauté universitaire de prendre conscience de l’ampleur du recul en cours. Au-delà de la sélection, le projet de loi prévoit par exemple la disparition de la compensation entre les unités d’enseignement, ce qui se traduira mécaniquement par une très forte augmentation de l’échec des étudiantEs. Il permet aussi de mettre en place des filières différenciées en licence, ce qui va très vite aboutir à l’ouverture de plusieurs licences de droit, avec en haut du panier une licence en trois ans ouverte aux meilleurEs lycéenEs, qui se verront proposer une voie royale vers l’accès aux masters, et en bas de l’échelle une licence en quatre ou cinq ans dans laquelle les étudiantEs les moins performants seront contraints à s’inscrire.
Attaques contre les diplômes
Les nouvelles licences en quatre ou cinq ans, qui risquent de se multiplier dans les années à venir, n’offriront qu’un diplôme dévalorisé qui ne permettra pas à leurs titulaires d’entrer dans les masters désormais sélectifs. En s’attaquant ainsi au principe même du diplôme, l’actuel projet de loi constitue une étape majeure dans la déréglementation néolibérale de l’enseignement supérieur, condition nécessaire à la mise en place d’un véritable marché de la formation. Le gouvernement ne fait pas mystère de sa volonté de mettre à terme en place des droits d’inscription différenciés, la dérégulation du cadre national des diplômes constituant le préalable nécessaire à l’augmentation massive des frais de scolarité qui reste dans le viseur de tous les néolibéraux.
De plus en plus de voix commencent à prendre conscience de l’ampleur de la menace, ce qui s’est récemment traduit par la multiplication des motions appelant le gouvernement à retirer ou à ajourner sa réforme. L’arrogance du pouvoir n’a en effet pas de limite, puisque le ministère a imposé aux lycées et aux universités de mettre en place la nouvelle procédure sélective en licence avant même que la loi ne soit votée. Dès le 15 janvier, le ministère va ainsi ouvrir, en lieu et place d’admission post bac (APB), la nouvelle plateforme « parcoursup » d’entrée en licence, qui établit une procédure sélective alors que la loi qui en constitue le fondement juridique est toujours en discussion au Parlement et ne pourra être promulguée avant le printemps prochain.
Des motions à la mobilisation ?
Ces conditions ont amené nombre de départements ou de composantes à s’indigner et à afficher leur refus de mettre en place une réforme encore dépourvue de tout fondement légal, ce qui constitue une position démocratique de bon sens susceptible de rallier de larges milieux. Particulièrement intéressant est le succès qu’a rencontré la pétition lancée en décembre par l’Association des sociologues enseignantEs du supérieur, dans la mesure où il démontre qu’il existe des forces disponibles pour construire une mobilisation susceptible de faire reculer le gouvernement.
Bien évidemment, une telle perspective ne pourra se construire par le simple moyen de pétitions, de motions ou de refus individuels ou collectifs de mettre en place la réforme. Seule une mobilisation massive des enseignantEs et de la jeunesse peut en effet construire le rapport de forces suffisant pour reculer le gouvernement. Cela suppose de ne pas perdre de temps et de profiter de la rentrée de janvier pour faire déboucher ces motions et pétitions sur le mouvement de lutte indispensable pour sauver ce qui peut aujourd’hui rester du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Laurent Ripart