Publié le Dimanche 3 mai 2020 à 21h18.

« Si 600 écoles parisiennes disent “on ne veut pas retourner travailler”, ça aura un poids »

Un professeur des écoles et syndicaliste raconte l’absurdité du protocole de sécurité et les premières actions de refus du retour en classe le 11 mai.

Blanquer et Macron laissent entendre que le retour à l’école se fera sur la base du volontariat, qu’en est-il ?

Pour les enfants oui, mais pas pour les enseignants. Pour ces derniers, il faut une attestation soit d’un médecin pour soi-même, soit pour garder quelqu’un dans son entourage qui serait en danger, ou encore avoir un enfant en bas-âge qu’on ne peut pas mettre à l’école.

Les collègues sont inquiets de revenir, ils cherchent une excuse pour ne pas revenir travailler, mais pour l’instant d’un point de vue très individuel. Des collègues ne veulent pas revenir car ils ont des enfants asthmatiques – il y en a plein de nos jours, avec la pollution, qu’ils s’occupent d’un proche fragile… L’intersyndicale parisienne a communiqué pour refuser la reprise du 11, mais les actions sont devant nous. Pour l’instant, chaque fonctionnaire se retrouve dans la position de désobéir au ministre de façon individuelle.

C’est une situation inédite. On est supposé suivre les élèves et les parents, sans cadre réglementaire, et là on nous demande de faire la bascule dans l’autre sens : reprendre nos classes et tous les élèves qui se présenteraient à l’école, sur la base du nombre de personnes présentes. Dans mon école, il y a au moins 1/3 des personnels qui ne viendront pas.

Donc, il n’y plus de classe, plus de cohérence pédagogique. Dans mon école, 50% des parents ont répondu qu’ils n’enverraient pas d’enfants, 25% ont dit qu’ils mettraient et 25 % qui sont en attente de savoir ce que va devenir un employeur. Pour les parents d’élèves, il n’y a pas de vrai choix non plus : certains peuvent être en télétravail et garder leurs enfants – les cadres notamment, mais tous les prolos ne peuvent faire que du présentiel et, quand leur patron leur dira « soit tu viens soit tu n’es plus payé, parce que maintenant le salaire n’est plus payé par l’État », le « volontariat » des parents d’élèves va être limité par leurs conditions d’emploi.

Est-ce qu’on peut mettre en place les gestes barrière dans une classe ?

C’est du délire. Enseigner, c’est avoir des élèves, faire classe, apprendre. Mais là, il n’y a plus de classe. Les consignes sont de prendre les élèves qui viennent à l’école, les accueillir et se débrouiller. Tu te retrouves avec des élèves, en cours d’année, que tu ne connais pas. Tu fais classe ? Tu ne fais pas classe ? Et que deviennent les élèves qui ne sont pas à l’école ?

Finalement, le télétravail est peut-être la moins pire des solutions pour la continuité pédagogique : ce sont tes élèves, tu les connais, tu sais où tu en es, ce que tu leur as donné. Tu perds forcément des élèves, mais c’est la moins pire des solutions par rapport au fait de reprendre l’école dans les conditions qui nous sont proposées.

Le protocole sanitaire fait 65 pages. L’idée générale, ce sont les gestes barrières, présentés comme la solution miracle. Ils prétendent qu’il y aura des masques pour les profs, mais pas pour les enfants.

Dans les écoles où l’accueil est organisé actuellement, il y a beaucoup de procédures pour que les élèves gardent la distance en classe. Ça se gère bien avec vingt-cinq dans une école, mais avec la moitié de l’effectif d’une école, tu as du monde partout ! Comme s’éviter dans les couloirs ? Si deux élèves se battent, comment faire ? On les renvoie chez eux ?

On aurait pu tester les élèves tous les jours et mettre en quatorzaine les élèves contagieux.

Le protocole sanitaire prévoit que les parents contrôlent la température de leur enfant, mais ça ne remplace pas. Et le gouvernement ment sur le nombre de tests disponibles. Ils promettent 700 000 tests par semaine à partir du 11 mai, ils parlent de masques « grand public ». Ça n’a aucune efficacité.

L’idée d’un bâtiment avec des groupes d’élèves doivent s’éviter, ne pas se croiser dans les couloirs, ne pas se voir dans la cour, va faire régner dans les écoles une ambiance carcérale et anxiogène avec le nettoyage incessant des mains, des poignées, des objets, des surfaces rappelant à tout moment qu’il y a un danger.

Les gens paniquent, leurs employeurs leur demandent de retourner au boulot, le gouvernement dit qu’on peut se faire ses masques soi-même… C’est le grand n’importe quoi.

Comment vois-tu les choses pour le 11 ?

Le gouvernement ne donne pas de chiffre sur la mortalité. Il y a une infantilisation de la population : quand on nous a confiné, on ne nous a pas donné d’explication, c’était l’apocalypse du jour au lendemain, et là on nous demande de reprendre alors que la situation n’a pas tellement changé d’un point de vue sanitaire.

Pour les collègues qui organisent l’accueil actuellement, il a fallu attendre trois semaines avant d’avoir des masques, donnés notamment par la mairie. Le rectorat a dit que les masques étaient inutiles, il a menti et ça a brisé la confiance des collègues.

Mais maintenant, il faut acter qu’on n’y va pas. Les syndicats s’opposent à la rentrée le 11, disent que « tout l’enseignant qui lit le protocole sanitaire peut constater qu’il était impossible de le tenir ». Ça ne peut pas être seulement école par école. Des motions sont votées disant que les conditions ne sont pas réunies mais, si 600 écoles disent « on ne veut pas retourner travailler », ça aura un poids. Le SNUipp a déposé une alerte sociale en vue d’un préavis de grève. Il faut informer que les collègues de plus de 40 ans sont en danger.

Il y a des AG d’arrondissement qui s’organisent pour faire le point. Le repli sur son appartement peut produire des choses contradictoires : l’envie de continuer à rester chez soi, mais aussi une certaine dépolitisation par l’absence de cadres collectifs et la distanciation sociale. Il est difficile de prévoir les réactions militantes.

La mairie de Paris a fait une enquête pour savoir quels enfants allaient revenir.

Dans le 13e, 40 % des élèves ne reviendraient pas en classe, mais ça dépend des écoles. Je pense que le gouvernement se fout de ce qui va se passer dans les écoles. Dans la circonscription 13B, la consigne est de se débrouiller pour accueillir le plus d’enfants possible : « Les professeurs des écoles peuvent faire le choix du télétravail s’ils ont des enfants en âge de ne pas se garder seuls. Attention, il n’est pas souhaitable que les élèves fassent des demi-journées ni qu’ils soient en alternance une semaine sur deux ». Quand ils disent « pas plus de de 15 élèves », ils tablent sur le fait que la moitié des parents sont en capacité de garder leurs enfants. Donc ils veulent le maximum d’enseignants, ils accueillent les enfants qui sont là comme ils peuvent, car l’important est que les gens aillent bosser.

« Les PE, eux, peuvent envisager dans la même journée, de faire la moitié de présence à l’école, et la moitié la classe à distance à la maison. » Mais si tu’es à l’école que le matin, avec un groupe d’élèves, qui prend ce groupe d’élèves l’après-midi ? Il faut donc deux PE pour garder un groupe d’élèves, qui sera un mélange de deux classes. Ce qui est demandé est donc clairement de faire de la garderie.

Il y aura un CHSCT mardi prochain, il faut exiger de savoir pour qui le virus est dangereux, en termes de classe d’âge ou autres, afin que les personnels au-dessus de tel âge, ou qui ont des maladies chroniques, soient d’office dispensés. Sur cette base, on verra ce qui est possible en termes d’accueil, sur la base du volontariat, pour les enfants des salariéEs des secteurs utiles. Et en expliquant bien que c’est un accueil, pas une vraie école.

Il y a aussi un texte d’un avocat sur la responsabilité pénale des enseignants qui reprendraient la classe en cas de problème. L’État se substitue à son fonctionnaire en cas de responsabilité civile, mais en cas de responsabilité pénale. Si un enfant meurt, les parents peuvent se retourner contre toi en disant que l’enfant a été mis en danger à l’école, que tu n’as pas fait respecter les gestes barrières…1

  • 1. http://hazan.avocat.sos-…]

    De façon similaire, la CGT a dénoncé le fait que l’État se dédouane de toute responsabilité et renvoie celle-ci aux collectivités locales en leur donnant la fonction de mettre en place les conditions sanitaires. Le gouvernement donne des grandes instructions et, concernant les responsabilités, il s’en lave les mains.

    Globalement, on est face à une défaillance flagrante de l’État et du président de la République. Tout autorité ne peut que se fonder sur une forme de compétence. Là, le chef de l’État, en tournant le dos aux avis des scientifiques, montre son incompétence et l’illégitimité des ordres qui en découlent. Les enseignantEs, par contre, ont des compétences, c’est leur devoir de refuser de mettre en place des ordres aberrants et dangereux.

    Propos recueillis par Antoine Larrache