Plus d’un mois après le suicide de Christine Renon, qui a été un choc pour l’ensemble des personnels de l’Éducation nationale, le ministère recevait mercredi 6 novembre les syndicats dans le cadre d’un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) consacré à la question des suicides.
Alors, s’agit-il d’une – tardive – prise de conscience par Blanquer de la souffrance au travail des personnels de l’Éducation nationale ? Plus que sceptiques, quelques dizaines d’entre elles et eux s’étaient rassemblés devant le ministère pour exprimer leur colère face au mépris de l’institution.
11 suicides depuis la rentrée
Comme on pouvait s’y attendre, il n’est pas sorti grand-chose de ce CHSCT. La seule nouveauté, c’est le fait que le ministère fournisse les chiffres des suicides pour les personnels de l’Éducation nationale : 58 pour l’année scolaire 2018-2019, 11 depuis la rentrée de septembre. Soit plus d’un suicide par semaine. On se serait attendu à ce que le ministre s’en émeuve. Au contraire, il s’est empressé de minimiser ces chiffes en faisant une comparaison aussi peu pertinente que macabre avec le taux moyen en France, tous âges et situations de vie confondues.
Et surtout, le lien avec les conditions de travail et l’impact délétère des réformes menées à marche forcée, contre l’avis des personnels sur le terrain, reste une question taboue. Taboue mais pourtant centrale pour comprendre le phénomène.
Car, coïncidence du calendrier, c’est également ce mercredi que le SNES rendait public les résultats de sa consultation « conditions de travail ». Réalisée sur plusieurs milliers de collègues, elle permet de mettre des chiffres édifiants sur la dégradation des conditions de travail dans l’Éducation nationale. La dénonciation de l’augmentation de la charge de travail, pour 93 % des collègues qui ont répondu, ainsi que de la perte de sens, pour 78 % d’entre elles et eux, démontrent clairement la responsabilité des réformes successives. Et cela a des conséquences : beaucoup confirment la dégradation des relations avec les collègues ou la hiérarchie, et même la dégradation de leur propre santé pour 73 % d’entre elles et eux.
S’en prendre aux causes structurelles
À la lecture de cette enquête exhaustive, les pistes pour améliorer les conditions de travail apparaissent donc clairement : il faut commencer par réduire le temps de travail, renforcer les collectifs, limiter les effectifs par classe et revaloriser les salaires.
Mais, malheureusement, le bilan du CHSCT ministériel montre que Blanquer n’a aucune intention de prendre cette direction. Les seules mesures annoncées visent à créer un groupe de travail sur les « alertes suicidaires » et recruter des médecins de prévention. Autrement dit, renvoyer la question des suicides aux cas individuels et refuser de s’intéresser aux causes structurelles liées à l’organisation du travail et à l’impact des réformes.
Pire encore : avec la loi fonction publique, qui fusionnera commissions administratives paritaires (CAP) et CHSCT et aura donc pour effet d’entraver fortement leur fonctionnement, on voit mal comment le travail, déjà très insuffisant, porté en grande partie par les militantEs syndicaux, sur la prévention de la souffrance au travail, pourra encore exister.
Raphaël Alberto