Des situations comme celle d’Alstom confrontent le mouvement ouvrier à l’élaboration de revendications propres à favoriser la mobilisation, le soutien d’autres salariéEs, de la population. Tout en allant dans le sens de la société que nous voulons construire.
En premier lieu bien sûr, il faut avancer le refus de toute suppression d’emplois et de toute mobilité contrainte, ainsi que de toute baisse de salaire, ceci aussi bien dans l’usine directement concernée que chez les sous-traitants. Nous sommes également contre la fermeture du site. Nous avançons la répartition du travail entre touTEs en cas de baisse de charge. Dans la mesure où à l’étape actuelle, ces luttes se déroulent dans le cadre du système, d’autres perspectives peuvent être utiles.
Quelles nationalisations ?
Souvent, nous sommes amenés à expliquer que si les actionnaires ne veulent que rentabiliser par tous les moyens, c’est à l’État d’intervenir, par la nationalisation/expropriation et la mise en place des conditions nécessaires pour que l’activité continue (nous ne traitons pas ici des cas où les salariéEs reprennent l’entreprise). Les nationalisations sous Mitterrand en 1981-1982 ont cependant montré que ce n’était pas une garantie pour l’emploi, et une entreprise publique comme La Poste détruit en permanence des emplois et précarise ses salariéEs. De plus, il est hors de question d’indemniser les actionnaires. On ne peut donc pas avancer un mot d’ordre de nationalisation/expropriation sans préciser « sans indemnités ni rachat » et préciser la place du contrôle par les salariéEs (usagerEs/population selon le type d’activité) et éventuellement d’autres parties prenantes. Des précisions nécessaires, indispensables, car nous n’avons pas plus confiance dans l’État pour gérer les entreprises tant en termes d’utilité sociale que de droits des salariéEs.
Dans le cas d’une entreprise comme Alstom se pose un autre problème : il ne suffit pas de fabriquer des locomotives, il faut qu’elles soient commandées. Faudrait-il une garantie de commandes de la SNCF à Alstom ? Mais il y a en France les usines d’au moins deux autres fabricants : Bombardier (capitaux canadiens) et CAF-France (capitaux espagnols). Défendre Alstom ne doit pas signifier le chômage pour les salariéEs qui y travaillent. On peut donc éventuellement avancer un schéma de réorganisation des transports collectifs – de la SNCF, de la RATP et d’autres entreprises de transport publiques ou privées – jusqu’aux fabricants de matériel, soustrayant cette activité à la loi du marché.
De nombreuses questions
Dans certains cas, nous pouvons défendre l’idée d’une réintégration d’une filiale dans un groupe, comme nous l’avons défendu pour les fonderies de Cléon, la SBFM, les Fonderies du Poitou dans Renault, cela sans illusion sur les garanties d’emplois mais avec l’idée qu’on regroupe et combat ainsi la déstructuration de la classe ouvrière. De la même façon, nous demandons la réintégration des services et activités qui ont été externalisés. La bataille des Ford pour la réintégration de FAI dans Ford participe de la même logique. De même, nous refusons de constater passivement la fermeture ou le transfert de capacités d’étude et de recherche comme cela se produit souvent lors de la reprise d’une entreprise.
Se pose aussi la question des entreprises dont le produit est soit socialement nuisible (matériel militaire) ou dont la production devrait être redimensionnée en baisse dans le cadre d’une transformation de la société (automobile individuelle) : là, la perspective est la reconversion, sans oublier la réduction du temps de travail.
À des degrés différents, toutes ces questions, et d’autres encore, se posent face aux licenciements et au charcutage capitaliste des entreprises.
La confédération CGT a parfois tendance à avancer des « solutions industrielles » : outre les illusions sur la nature de l’État, elles peuvent dans certains cas ouvrir la voie à de périlleuses logiques « donnant-donnant » où les syndicats intègrent certains aspects de la logique capitaliste, avec toutes les dérives nationalistes possibles. Ce ne peut pas être notre démarche.
Pas de réponse générale
Il n’y a pas de réponse générale. On ne peut éluder le fait que, dans certains cas, avancer des perspectives pour l’activité est nécessaire pour renforcer la lutte pour la préservation des emplois. Un débat est nécessaire. On peut avancer quelques pistes.
Le premier mot d’ordre à défendre partout est « zéro licenciement, pas de perte de salaire ». Ensuite, cela dépend de l’entreprise, de son organisation. Dans certaines branches qui ont une utilité sociale évidente (ou pourrait en avoir une), on peut avancer non seulement la nationalisation mais des pistes sur la réorganisation de la filière et sa mise au service de la société. Cela peut avoir une portée large : même si la société est capitaliste, beaucoup de gens sont révoltés par la façon dont fonctionne l’industrie du médicament ou comprennent que les usines d’automobiles pourraient faire autre chose que des voitures individuelles, etc. Mais d’autres cas sont moins évidents.
Nous ne pouvons pas écarter ces questions au nom de l’évidence qu’un patron quel qu’il soit est un patron et que, tant que nous sommes dans le capitalisme, notre seule perspective dans les entreprises c’est de garantir les emplois, les salaires et les conditions de travail, car tout le reste nous échapperait et nous entraînerait sur les chemins de la collaboration de classe...
Henri Wilno et Robert Pelletier