Le 5 octobre, les images des deux cadres s’enfuyant chemise arrachée ont provoqué une vague de jubilation dans de larges secteurs du monde du travail. Cette réaction est révélatrice d’une crise profonde des rapports sociaux, comme de la représentation politique quand face à des suppressions d’emplois en hausse constante, les deux options proposées aux salariés sont « fermez-la » (droite) ou « soyez d’accord » (gauche) pour toujours plus de chômage.
Ces images ont inévitablement évoqué la Révolution française, avec les nobles qui allaient à l’échafaud la chemise blanche déchirée. Les cadres escaladant les grillages rappellent aussi les refugiés passant les barrières pour fuir la misère. Pour une fois, la peur avait changé de camp.
Nos dominants gouvernant de plus en plus par la peur, ce camouflet est pour eux très inquiétant. Cela explique leur rage unanime et leur volonté d’écraser la rébellion : mises à pied sans solde de cinq salariés du sol et de deux pilotes, gardes à vue, menaces de prison et de licenciement – pour une simple chemise...
Le fort soutien populaire aux salariés d’Air France annonce-t-il un début de contre-offensive après plusieurs années de luttes partielles éclatées ? Il marque en tout cas la perception de plus en plus partagée PS = droite, ravageuse pour le parti au pouvoir. Les déclarations haineuses du premier ministre, traitant les salariés de voyous alors qu’il n’a que des mots doux pour les patrons qui spéculent, empochent et n’embauchent pas, ne font que la conforter. Valls a montré son vrai visage, mais du coup il perd en popularité. Hollande l’a senti, qui a essayé de s’en démarquer, suivi par Ségolène Royal qui dit qu’il ne faudrait pas de licenciements secs. Le bal des faux-culs a commencé... Mais il est révélateur d’une importante crise à venir.
Le mouvement à Air France n’est pas fini : le plan est reporté de trois mois, la direction est discréditée dans l’entreprise et l’Intersyndicale renforcée (fait historique depuis 40 ans, elle rassemble pilotes, hôtesses et stewards ainsi que personnels au sol).
Les deux seuls syndicats extérieurs à l’Intersyndicale font même du rétropédalage : la CFDT a été contrainte d’appeler au rassemblement devant l’Assemblée nationale qui a réuni 3000 salariés le 22 octobre. La CGC, qui était coupée en deux, avec son secteur navigant partie prenante de l’Intersyndicale et les cadres du sol qui soutenaient la direction, a fini par rejoindre les autres syndicats dans le vote unanime d’un droit d’alerte contre le plan Perform, adopté au comité central d’entreprise le jour même du rassemblement.
Car Air France fait des bénéfices… mais en veut toujours plus. Rappelons que pour un chiffre d’affaires de 25 milliards, elle dispose d’un résultat opérationnel de 2 milliards. Il est vrai que ses besoins de financement sont colossaux pour l’achat d’avions, mais aussi et surtout pour mener la guerre économique avec les mastodontes du transport aérien et pour rétribuer ses actionnaires dans un secteur en pleine croissance, dopé par la baisse du prix du pétrole.
Les travailleurs du cargo (fret) d’Air France ont été à l’avant-garde le 5 octobre, confortés par une manifestation de 1500 salariés regroupant fraternellement toutes les corporations. Désignés ces dernières années comme coûtant le plus cher dans la compagnie, ils étaient les plus menacés et avaient le plus payé. Ils ne sont pas tombés dans le piège que la direction leur tendait, consistant à désigner cette fois les pilotes – après, cela aurait été au tour des hôtesses et stewards, puis des escales de province...
Le cargo, ce sont ceux qui avaient démarré le mouvement historique d’octobre 1993, rejoints ensuite par les salariés de l’entretien puis des aéroports. Cette grève qui paralysa les aéroports parisiens pendant deux semaines, reçut un large soutien populaire et finit par faire tomber le PDG, avait aussi été annonciatrice du grand mouvement de novembre-décembre 1995.
L’écho incroyable de l’action du 5 octobre le prouve, de grands mouvements sont à venir. Au NPA d’y contribuer, en continuant à inventer une nouvelle représentation politique des salariés et des opprimés A nous d’étendre la lutte à Air France et dans tout le pays : pour des emplois dignes et des salaires corrects, contre la division des travailleurs, pour virer ces patrons voyous et faire échec à la répression en interdisant toute sanction.
Une échéance importante sera la mobilisation devant le tribunal correctionnel de Bobigny, le 2 décembre prochain, en soutien aux salariés d’Air France mis en examen. Cela doit être une mobilisation sociale et politique de toutes et tous.
Joël Le Jeannic