Publié le Samedi 15 octobre 2016 à 09h42.

Des plans de licenciement dans la logique du capital

Les annonces, à la rentrée de septembre, de la suppression de près de 40 000 postes de travail ont fait l’effet d’un choc. D’autant que l’on apprenait dans la foulée la hausse considérable du nombre des chômeurs (+ 50 000) à la fin août, ainsi que le recul du PIB au deuxième trimestre 2016. Le plan le plus lourd est celui de SFR, qui prévoit de se débarrasser d’ici trois ans de 5000 salariés, un tiers de son effectif. Le plus médiatisé est le projet de fermeture de l’usine Alstom de Belfort, considérée comme l’un des (derniers) fleurons de l’industrie française.

 

Le cas d’Alstom

Les commentaires et controverses ont mis en avant, selon les cas : une conjoncture économique qui reste déprimée ; des problèmes de compétitivité sur des marchés totalement ouverts car mondialisés et dérégulés ; la soif de profits de patrons et actionnaires qui en veulent toujours plus ; l’incompétence de dirigeants qui ont multiplié les mauvais choix. Les situations sont variées, mais le cas emblématique d’Alstom montre que les différents facteurs peuvent parfaitement se combiner.

Un éditorial du Monde du 14 septembre (« Alstom ou les illusions perdues du pompidolisme »), ou encore un article publié la veille par Mediapart (« Alstom ou l’histoire d’une faillite industrielle à la française »), soulignent ainsi l’impéritie d’un groupe qui, confiant dans le soutien indéfectible et sans contreparties de l’Etat, a multiplié les rachats hasardeux et les cessions précipitées, en privilégiant les opérations financières sur une politique d’investissement industriel ; ainsi que le laxisme et l’incompétence de tous les gouvernements successifs, sur fond d’incapacité chronique de l’industrie française à « s’organiser en filières ».

Le résultat est qu’Alstom, réduit à sa branche transports, s’est fait tailler des croupières par le canadien Bombardier (dont l’usine de Crespin, dans le Nord, est la plus importante du secteur en France, avec 2000 salariés) et l’allemand Vossloh, qui lui ont ravi de gros contrats auprès du STIF (transports d’Ile-de-France) et de la SNCF, alors même que montait en puissance le chinois CRRC, devenu le premier constructeur ferroviaire mondial (avec 175 000 salariés !) Et si le groupe français a mis en avant les contrats remportés aux Etats-Unis, en Afrique du Sud ou en Italie, ses rapports omettaient de préciser qu’ils étaient conditionnés à des clauses de fabrication sur place, donc n’apporteraient pas  forcément de travail à ses usines ici (Alstom emploie 31 000 salariés, dont seulement 9000 en France). 

Une autre conséquence est une rentabilité faible (avec un rendement de l’action Alstom compris ces dernières années entre 1 % et 4 %), ou en tout cas jugée telle au regard des attentes des actionnaires et des chiffres bien supérieurs atteints par les principaux concurrents. Le groupe n’a d’ailleurs plus distribué de dividendes depuis 2013.

 

Et pourtant, de l’argent il y en a

La conclusion tirée par les dirigeants d’Alstom est celle de tout patron qui se respecte : pour restaurer et défendre nos profits il faut restructurer, fermer des usines, réduire les effectifs ; et/ou réussir une fois de plus à nous faire subventionner par l’Etat (il n’y a qu’à prendre encore sur les dépenses sociales ou destinées aux services publics, qui on le sait bien demeurent excessives !) C’est d’ailleurs une solution de ce type qui semble se dessiner, quand le gouvernement annonce la commande et le paiement direct par l’Etat (pour 500 millions d’euros) de 16 rames de TGV… dont la SNCF affirme ne pas avoir besoin !

Et pourtant, ils sont tout sauf à plaindre : la vente de la branche énergie d’Alstom à General Electric, en 2014, a rapporté la somme faramineuse de 3,2 milliards d’euros, tandis que le total des profits engrangés depuis dix ans approche des 6 milliards.

Le groupe s’est désendetté et les actionnaires ont pu bénéficier d’une offre de rachat de leurs actions, à un prix de près de 20 % supérieur au cours de la Bourse. Maintenir les emplois sur le site de Belfort – et ailleurs – ne demanderait qu’une part infime de ces montants. La même chose valant en général pour tous les grands groupes, notamment SFR.

Mais c’est la logique même du système qui est à l’œuvre – et en cause. D’une part, ce qui compte n’est pas la valeur absolue des profits, mais la part qu’ils représentent au regard des capitaux investis. D’autre part, alors que se poursuit la tendance à la structuration des marchés en oligopoles (nationaux, comme dans la téléphonie et l’accès internet, ou mondiaux comme dans le ferroviaire), avec quelques très grandes entreprises qui alternativement, voire simultanément, s’entendent (y compris de manière illicite) et se livrent une concurrence féroce, on ne peut pas faire pendant des années moins de profits que les autres…

Il n’y aura pas de solution durable et juste si l’on ne s’attaque pas aux profits et au pouvoir des capitalistes. Les réponses ne peuvent être que l’interdiction des licenciements, le maintien intégral des emplois et des sites, la réquisition publique, sans indemnités ni rachat et sous le contrôle des salariés et de la population, des entreprises qui ferment ou licencient.

 

Jean-Philippe Divès