Publié le Mercredi 16 novembre 2016 à 15h44.

Emploi : Marks and Spencer se fait (à nouveau) la malle !

Entretien. Partir, revenir puis repartir… Après avoir quitté la France, non sans avoir provoqué quelques remous, en 2001 puis réinstallé sept magasins en nom propre en 2011, l’enseigne britannique a annoncé, le 8 novembre dernier, se retirer à nouveau du pays. Nous avons demandé à Yasin Leguet, délégué syndical central du Seci-UNSA (majoritaire), ce qu’il en était.

 

Comment la direction justifie cette annonce ?La direction prétend que la fermeture de nos sept magasins français employant 516 travailleurs est une décision obéissant au principe de réalisme économique. L’entreprise ne ferait pas les bénéfices que l’on attend d’elle, et les bons pères de famille probes et avisés que sont les actionnaires ont convaincu le nouveau PDG du groupe à Londres, M. Steve Rowe, qu’il n’était pas raisonnable que la société garde des magasins en France. En vérité : rien ne s’est passé de façon aussi rationnelle ! Les actionnaires gloutons qui dirigent réellement M&S et qui ont droit de vie et de mort économique sur nous les travailleurs ont tout simplement imposé leur vision des choses à nos patrons anglais ! Une vision sans profondeur ni humanité : court-termiste, empressée, avide. Pourtant la France tirait son épingle du jeu et la clientèle se pressait (et se presse encore plus depuis l’annonce de la fermeture) dans nos magasins. Les travaux d’un expert-comptable mandaté par le comité d’entreprise à la demande du Seci-UNSA ont clairement démontré dans un rapport paru en février 2016 que, 5 ans après le retour en France du distributeur britannique en 2011, l’entité dégageait déjà de substantiels bénéfices se chiffrant en millions d’euros. Bénéfices renvoyés aussitôt à Londres grâce à un tour de passe-passe comptable permettant de présenter « légalement » aux syndicats des chiffres plus pâlots que la réalité. C’est donc un succès commercial et surtout humain que les actionnaires ont choisi par caprice de saborder !Vous prétendez que la fermeture était envisagée dès 2013, soit deux ans seulement après le retour de M&S en France ?Je m’explique : en 2013, le groupe Casino rachète l’enseigne Monoprix (Monoprix, Monop’, Naturalia, etc.). Pour des raisons de distorsion de concurrence sur le marché parisien, Casino est obligé de céder un certain nombre d’emplacements commerciaux de la nouvelle entité. M&S, alors tout nouvel acteur économique dans la distribution alimentaire à Paris, rafle facilement la mise. Des dizaines de baux commerciaux tombent alors dans ce que nous pensions naïvement être notre escarcelle. Or il n’en fut rien ! Les clés de ces locaux, une fois adaptés à la sauce anglaise, furent remises… à des franchisés. Et ce jusqu’à atteindre 12 magasins sous franchise à l’heure où je vous parle. Ce nombre est appelé à croître. Les franchises sont des points de vente 100 % alimentaire, de vrais supermarchés de proximité vendant des produits britanniques originaux pour nous Français. Nous avons tout d’abord vu ces franchises M&S (qui ne vendent pas de vêtements ni d’ameublement, qui n’ont pas de restaurant pour la clientèle ni de traiteur), comme des soutiens en matière d’image pour nos sept magasins exploités en propre par le groupe plutôt que comme des concurrents. Très vite pourtant, nous avons compris notre erreur de jugement. Les franchisés (Relay-Lagardère ou SFH de la famille Hadjez pour n’en citer que deux) ont obtenu des emplacements de rêve, des magasins dans lesquels il n’y a qu’à empiler les boîtes de petits pois pour attirer le chaland. Jugez plutôt : La Défense, Châtelet, Passy, avenue du Maréchal-Leclerc, aéroport Roissy-CDG, Palais des Congrès, Saint-Michel, gare Lille-Flandres, etc. Ce sont les joyaux de la couronne qu’on a cédés là ! Des magasins que nous aurions dû exploiter nous-mêmes pour crédibiliser et pérenniser notre présence en France ! Au lieu de cela, nos patrons ont profité de cette aubaine inattendue de 2013 pour changer leur fusil d’épaule. Je vous parie toutes les chemises non déchirées d’Air France que c’est à ce moment précis que Londres a décidé de notre mort économique. C’est à partir de 2013 que les franchises sont apparues comme le nouveau modèle de développement de la marque hors marché historique britannique. En somme, un investissement fainéant faisant des franchises de véritables vaches à cash !Demain, ne resteront que ces franchises à Paris. Elles se développeront naturellement partout en France dans les mois qui viennent. Le groupe prévoit ainsi selon la presse anglaise l’ouverture de 200 franchises 100 % alimentaire dans le monde d’ici à 2019. Business as usual…

Quelles réponses le personnel et les syndicats comptent-ils y apporter ?Pour l’instant, la section majoritaire que je dirige dans l’entreprise met un point d’honneur à ce que les élections professionnelles prévues pour janvier 2017 se tiennent bel et bien. Il est primordial pour nous, quand bien même nous serions majoritaires, et de très loin (76 % face à la CFDT, la CFTC et la CGT), de respecter ce temps démocratique. La gravité de la situation ne peut justifier la volonté de la direction et des trois syndicats minoritaires de proroger les mandats. Ce serait un hold-up ! La direction se donne jusqu’à novembre 2017 pour négocier en douceur notre PSE. Nous la prenons au mot. Dès lors, il n’y aucune raison de suspendre le processus électoral pour faire plaisir à certains syndicalistes peu démocrates. Les salariés doivent exprimer clairement le choix de leurs négociateurs car la période qui s’ouvre est plus qu’incertaine. Au Seci-UNSA, nous craignons plus un déni de démocratie sociale que la remise en jeu, à la loyale, de nos mandats. En outre, et faut-il le rappeler, nous sommes prêts à travailler avec toute personne de bonne volonté.Ensuite, diverses actions sont prévues par mon équipe pour conjuguer les forces des travailleurs, de l’opinion publique, des médias et des politiques afin que les 516 Marks & Spencer ne se retrouvent jamais seuls face à la direction franco-anglaise lors de négociations qui s’annoncent extrêmement serrées. Je ne peux vous en dire plus pour le moment car je réserve la primeur de ces propositions d’actions aux collègues de mon entreprise lors de réunions d’information qui se tiendront au début du mois de décembre. C’est avec eux que les élus du Seci-UNSA formeront une stratégie collective. Je peux seulement vous dire que nous avons beaucoup d’imagination !

Propos recueillis par LD