Publié le Mardi 2 avril 2019 à 17h22.

Ford Blanquefort, entre fatalité et contestation

C’est comme si on passait de la chronique d’une lutte à celle dune mort lente. Tout est calme, au moins en apparence. Le calendrier est établi, la production se termine le 1er août, puis 4 semaines de congés d’été, puis 5 semaine de « congés » maison, puis lettre de licenciements au 1er octobre, pour toutes celles et ceux qui nont pas encore plié toutes les formalités.

D’ici là, chaque salariéE est convoqué en vue du départ prochain, les discussions dans l’usine sont logiquement marquées par les dossiers des unEs et des autres, qui part en retraite, en préretraite ou sera licencié, et puis qui va créer son entreprise, partir en formation ou directement en CDI et puis encore combien on va toucher, beaucoup, pas assez, il en manque ?

De l’argent, il y en a…

Justement, pour un bon nombre, il manque des sous, surtout avec la perspective des baisses de rémunérations comparée aux salaires actuels. Que l’on parte en préretraite ou que l’on soit licencié, de toute façon, la suite s’annonce plus difficile.

Nous sommes un certain nombre à en avoir conscience. Il y a eu quelques protestations pour exiger une prime exceptionnelle. Un mouvement parti d’un secteur a débouché sur une pétition signée par près de300 collègues, exigeant le partage des profits, une forte prime complétant un PSE largement insuffisant.

Et les Négociations annuelles obligatoires (NAO) arrivent. Cette année, on va faire simple et se concentrer sur une seule revendication, une prime exceptionnelle, pas vraiment chiffrée, l’idée étant d’avoir une prime conséquente. C’est ce que nous proposons de discuter lors d’une assemblée générale prévue cette semaine, histoire de tenter d’amorcer une mobilisation plus large.

L’ambiance actuelle, mais c’est le cas depuis longtemps, n’est pas à la combattivité. Mais sait-on jamais. Sur cette question de prime, la colère peut finir par s’exprimer à un moment donné. L’arrogance de Ford qui ferme son usine très tranquillement, qui fait sa fin de production normalement, qui arrive même à faire rattraper les retards, cela peut au bout du compte déclencher le ras-le-bol.

Et il y a de quoi se mettre en colère. Les profits sont là, tous les ans, énormes, autour de 7-8 milliards de dollars par an. Les dividendes distribués aux actionnaires sont aussi très importants. Les revenus des dirigeants sont indécents. Et nous, pauvres travailleurs d’en bas, devrions nous contenter de ce que Ford nous donne « généreusement », avec en bonus le licenciement ?

Alors nous espérons, nous aimerions bien que ça pète dans l’usine. Un sursaut serait le bienvenu. Ce n’est pas juste une question de dignité, c’est aussi une question politique, de justice sociale, de démocratie avec la nécessité de partager les richesses qui sont produites par nous-mêmes, c’est revendiquer le droit de décider pour les salariéEs et pas toujours subir.

Préserver les emplois

Àcôté, il y a toujours la bataille pour préserver des emplois. Elle va passer par une prochaine assignation au Tribunal de grande instance, une attaque en justice contre la multinationale Ford qui ferme et licencie sans motif économique. Elle passe aussi par ce groupe de travail avec l’État et les collectivités territoriales, sur la réindustrialisation du site dans les prochains mois. Il s’agit de réimplanter une activité dès le départ de Ford.

Cela reste évidemment très compliqué,car les pouvoirs publics sont toujours aussi timorés et sans initiative face à Ford qui garde le contrôle de la situation. Par exemple, la discussion actuelle porte sur le texte d’un accord qui doit être signé d’ici fin avril entre Ford et l’Etat. Au centre de cet accord, il y a les 20 millions promis par Ford pour la suite, au lieu des 4 millions prévus par la loi (taxe « revitalisation »). Ford serait prêt à lâcher ces 20 millions, c’est d’ailleurs la grande fierté, la seule même, de Bercy, mais en échange de plusieurs conditions : Ford ne cède pas le terrain avant le 1er janvier 2021, Ford décide des machines qu’il garde et Ford menace de ne rien signer etde ne rien donner si jamais les collectivités intentent une action en justice pour le remboursement des aides publiques.

Ford continue à imposer sa politique. Pourquoi en serait-il autrement ? En face, du côté de l’État, ça s’indigne, ça crie mais ça se plie, ça s’enlise dans une impuissance chronique. Alors logiquement, il y a des désaccords qui s’expriment clairement dans ces réunions. L’intersyndicale, notamment la CGT, revendique d’imposer à Ford des nouvelles règles, c’est aux pouvoirs publics de reprendre la main, de décider, d’exiger que le terrain et les bâtiments soient rendus dès cette fin d’année, que les machines soient sous contrôle public, Ford ne doit plus pouvoir décider de quoique ce soit.

Sopposer au pouvoir des capitalistes

Le problème est de créer les conditions d’un retour rapide d’activité sur le site. L’État comme les collectivités territoriales disent que ce n’est pas possible sans un accord, qu’il ne faut pas froisser Ford, sinon on perd les 20 millions. C’est ainsi depuis un an, en ne faisant rien qui puisse froisser Ford, le résultat est que Ford fait exactement ce qu’il veut : Ford ferme, refuse la reprise, veut partir en payant le moins possible… et y arrive.

Il n’y a pas de surprise, l’État est incapable de se confronter à une multinationale comme Ford, qui n’est enréalité ni plus « hostile » ou plus « rapace » que les autres, qu’elles soientfrançaises ou non. Se donner les moyens de contrer Ford, c’est s’opposer au pouvoir des capitalistes, à leur droit de fermer des usines, à licencier, à prendre l’argent public sans être obligé de le rendre. S’opposer à Ford c’est changer les lois pour qu’elles soient contraignantes à l’égard des entreprises, c’est donner du pouvoir, des droits de décisions aux salarié.e.s, aux populations, aux collectivités locales, c’est s’en prendre à la propriété des capitalistes.

En continuant la bataille pour la défense des emplois, les nôtres et les autres, même après l’homologation du PSE, c’est notre manière de tenter de sauver quelque chose, donc de garder un espoir. Non ce n'est pas fini.

Philippe Poutou