Le lundi 21 octobre, un accord entre Ford, l’État et les collectivités territoriales était entériné lors d’un comité de suivi, piloté par la préfète, en présence de tout le monde, y compris de Ford.
Pour tous ces gens c’est comme un grand jour, satisfaits qu’ils sont d’en finir avec cette histoire de fermeture d’usine. Satisfaits aussi parce qu’ils considèrent qu’ils concluent un bon accord avec Ford, qui laisse quelques millions d’euros pour la revitalisation du bassin d’emplois.
Ils auraient bien aimé le faire en grande pompe mais cela ne sera pas possible. Car il y a une voix dissonante, celle de l’équipe CGT qui dénonce ce qui correspond à une capitulation définitive de l’ensemble des pouvoirs publics. Un scandale qui s’ajoute au scandale de la fermeture de l’usine, illégitime et illégale.
Capitulation face à Ford
À part quelques cris d’indignation l’année dernière, l’État comme les collectivités locales ne se seront pas confrontés à la multinationale. Ils n’auront pas mené le bras de fer. Ni menaces ni pressions, ils n’auront que discuté, négocié comme ils disent, avec les avocats de Ford, pour au bout du compte ne rien obtenir. Et nous n’exagérons pas en disant « rien ».
Ils se vantent d’avoir obtenu que Ford laisse 18 millions d’euros. Mais cela représente quoi au regard des près de 50 millions d’euros de subventions publiques perçues ces dernières années ? 50 millions d’euros qui auraient dû être remboursés suite à la condamnation de Ford pour non-respect de son engagement de maintenir 1 000 emplois minimum jusqu’en 2018, engagement acté dans un accord en mai 2013, signé avec les pouvoirs publics. Mais personne n’a exigé ce remboursement ! Ni l’État ni aucune collectivité n’a saisi la justice pour récupérer l’argent.
L’argent ne sera donc pas récupéré. Mais rien ne sera récupéré. Ni le bâtiment, ni le terrain (à part une petite parcelle), ni le parc machines (à part quelques-unes « offertes » aux centres de formation). Ford, qui refusait absolument qu’il y ait une continuité d’activité à la suite, reprend l’essentiel des ses machines pour les transférer dans ses autres usines. Et garde le terrain qu’il devra dépolluer durant les cinq ans qui viennent, et qu’il pourra vendre au prix du marché à ce moment-là.
Ford s’en sort très bien. Tout est sous son contrôle. Le texte de l’accord aura été rédigé par ses avocats, à part quelques détails à la marge, Ford obtient ce qu’il voulait, jusqu’à l’engagement des pouvoirs publics de ne pas s’attaquer à ses intérêts commerciaux, à ne pas saisir les tribunaux par la suite.
Une autre issue était possible
Ford a de quoi être satisfait. Les pouvoirs politiques et judiciaires se sont tous déballonnés. Mais de leur côté, il n’est évidemment pas question de connaître leur désertion ou trahison. Il faut dissimuler, faire diversion. C’est ce qu’ils font en vantant cet accord lamentable. Ils font de la mousse, ils baratinent, se disent réalistes, pragmatiques. Ils disent sauver les meubles, en réalité ils sauvent les apparences.
De notre côté, nous dénonçons et affirmons qu’une autre issue était possible. Que les pouvoirs publics, moins lâches, moins soumis aux multinationales, moins complices avaient les outils pour contraindre Ford, non pas à rester, non pas seulement à rembourser les aides publiques mais à payer réellement pour toute son œuvre, en réquisitionnant l’outil de production, en prenant la main pour le faire fonctionner au service de la collectivité.
Alors pour cette usine, pour nos emplois, pour les emplois induits, c’est peut-être fichu. Le fait est que nous sommes licenciés et que l’usine devrait devenir une friche. Mais la lutte doit continuer, pour les autres et pour nous aussi. Parce que nous avons raison, parce que c’est injuste, inacceptable.
Nous donnons évidemment suite à la bataille judiciaire (cassation puis en parallèle les prud’hommes et autres encore). Ensuite, nous chercherons les moyens de faire entendre notre colère, notre refus de nous résigner. Nous ferons ce qu’il sera possible de faire, tant que nous en aurons la force, pour faire payer Ford, pour bousculer les pouvoirs publics, pour rappeler tout ce qui n’a pas été fait.
Nous ne lâcherons pas parce que nous n’oublierons pas.
Philippe Poutou