Le plan de fermeture de l’usine a donc été homologué par l’État le lundi 4 mars. Ford peut maintenant faire partir les salariéEs, entre préretraites pour les plus ancienEs et licenciements pour les autres. Mais on ne baisse pas les bras et la bataille continue.
Tout était prêt depuis des semaines : le cabinet de reclassement est installé, avec ses bureaux dans l’usine, prenant les rendez-vous avec les collègues, préparant les dossiers de départ, proposant les diverses solutions (formation, création d’entreprises, emploi), calculant les indemnités de chacunE. De l’autre côté, les Ressources humaines de Ford convoquent les collègues « pré-retraitables », pour savoir qui peut et veut partir en préretraite. Et la Carsat (Caisse d’assurance retraite et de santé au travail) est là aussi, pour aider les collègues à savoir s’ils sont « pré-retraitables », pour calculer les trimestres, le niveau des pensions.
Intox patronales et gouvernementales
Voilà comment on passe d’une catastrophe sociale collective à une somme de cas individuels, à une situation où chacunE en est à calculer et à chercher la meilleure solution pour soi. C’est tout « l’intérêt » d’un PSE, un dispositif qui est en lui-même un outil de division et d’individualisation alors que c’est censé être un dispositif « social » ayant pour fonction officielle de protéger l’ensemble des salariéEs. Il est vrai qu’un PSE de cette taille (872 personnes), élaboré par une multinationale, est d’un niveau supérieur à la plupart des plans de licenciements, surtout dans les petites entreprises, dans lesquels les salariéEs sont virés avec le minimum légal, qui est incroyablement bas.
On voit bien d’ailleurs que certains au gouvernement, repris parfois dans les médias, essaient de diffuser cette idée que le PSE de Ford est un bon PSE, que les salariéEs n’ont pas à se plaindre. Des chiffres faramineux et mensongers ont circulé : 200 000 euros en moyenne par départ.
Une intox qui sert aussi au gouvernement à relativiser non seulement le drame social, mais aussi son propre échec. Voire à faire croire que l’action de l’État aurait finalement été efficace.
Sauf que le PSE homologué le 4 mars est le même, à peu de détails près, depuis le début de la procédure. Sauf que les salariéEs obtiendront, en moyenne, beaucoup moins que la somme « promise ». Certes les dirigeants, les cadres, toucheront entre 200 000 et 500 000 euros (estimations), mais la réalité pour les salariéEs les mieux payés devraient tourner autour de 100 000 euros (voire un peu plus) et pour une majorité d’entre nous, autour de 50 000-80 000 euros, soit environ 3 années de salaires.
Mobiliser malgré l’enfumage
Vu depuis nos comptes en banque, dès qu’on a plusieurs dizaines de milliers d’euros en une seule fois, cela représente beaucoup. Cela soulage, certes, mais pendant un temps seulement. Car derrière, pour nombre d’entre nous, la perspective ce sont les petits boulots, les galères de la précarité et des bas salaires, comme le subissent déjà des millions de gens.
Dans l’usine comme en dehors, l’objectif est de créer l’illusion qu’une fermeture d’usine et des centaines de licenciements, ce n’est pas si grave, que les salariéEs ont de l’argent pour s’en sortir, qu’il y aura à côté des reclassements, de la revitalisation du territoire. C’est une manière encore de délégitimer et de faire taire toute contestation. Une manière de faire comme si tout était en place pour protéger tout le monde.
En réalité, tout est enfumage. Et c’est dans ce contexte, toujours plus difficile, que la question se pose de trouver, encore et encore, les moyens de s’opposer et de dénoncer. Cela reste l’objectif de l’équipe syndicale, du noyau qui aimerait bien encore poser problème à Ford. Il se trouve qu’il y a énormément de motivation pour agir. Tout est si scandaleux que la bataille reste d’actualité.
Nous allons essayer de mobiliser les collègues pour des actions collectives. Nous pensons lutter sur 3 terrains. D’abord rapidement à l’occasion des négociations annuelles obligatoires (NAO), nous allons proposer une bataille pour obtenir une prime exceptionnelle.
En même temps, nous nous lançons dans une bataille judiciaire, en attaquant Ford pour absence de motif économique dans la fermeture de l’usine et la suppression de tous les emplois.
Enfin, nous allons toujours tenter de bousculer les pouvoirs publics (État et collectivités territoriales) pour discuter d’une réimplantation d’activité sur l’usine dans les mois qui viennent, histoire d’empêcher qu’elle devienne une friche, et de sauver quelques centaines d’emplois. Même si jusqu’à présent nous n’avons pas réussi à faire intervenir les pouvoirs publics efficacement, la solution reste une récupération de l’usine et des machines par l’État, une forme de réquisition, pour rendre crédible la perspective de réindustrialisation du site.
Nécessaire convergence des résistances
Autant de batailles que nous allons mener avec nos moyens. Conscients qu’un problème politique est clairement posé : de nombreuses usines sont en train de fermer, et d’autres sont menacées de l’être. Ascoval, les Fonderies du Poitou, Arjowiggins sont les plus emblématiques du moment. Pourquoi, du côté des confédérations syndicales, n’y a-t-il aucune tentative de construire une riposte commune contre les licenciements partout ? Ni réunion, ni rencontre, ni action. Une passivité qui nous coûte très cher.
C’est pourtant cette coordination et convergences des résistances, ce tous ensemble qui peut changer la donne en modifiant le rapport de forces. Les équipes syndicales, les salariéEs qui se battent, chacun dans leur coin, ont besoin d’agir en commun.
La lutte contre les licenciements et les suppressions d’emplois, ce n’est pas seulement un bras de fer entre les salariéEs d’une usine et leur patron, c’est bien un problème politique, qui concerne tout le monde, du privé comme du public, et toutes les populations, par le biais des emplois induits. L’issue est bien dans un mouvement large, contagieux, touTEs ensemble. Forcément, les organisations militantes syndicales, politiques, associatives, ont un rôle à jouer pour aider dans la construction d’une telle mobilisation. Cela serait un point d’appui important dans une situation marquée par le mouvement de colère des Gilets jaunes.
Philippe Poutou