Publié le Vendredi 19 février 2021 à 15h09.

Grandpuits : « Faites comme nous, battez-vous contre les plans sociaux ! »

Paul Feltman, gréviste et élu CGT à la raffinerie de Grandpuits, racontait le 3 février dans notre émission les outils dont disposent les grévistes pour empêcher le plan de suppressions de postes.

 

L’Anticapitaliste : Où en êtes-vous dans la mobilisation ?

Paul Feltman : On est parti en grève reconductible le 4 janvier, parce que le projet de Total est de supprimer 700 emplois sur la plateforme de Grandpuits, dont 500 emplois indirects avec les sous-traitants et les prestataires.

Cette grève est majoritaire dans les équipes notamment de production où on a des taux qui n’ont jamais eu lieu jusqu’à maintenant au sein de notre raffinerie, entre 100 % et 70 % de grévistes selon les équipes.

Une des raisons pour laquelle ce taux de grévistes se maintient aussi longtemps, et c’est une grande première aussi pour nous, c’est l’auto-organisation. La grève appartient aux grévistes, ce sont eux qui décident de tout ce qui se passe, des revendications jusqu’aux actions, la façon dont on va faire la communication, etc.

Sur chaque ligne – on a des équipes qui se relaient toutes les 8 heures parce que c’est une usine qui tourne 24 heures sur 24 – on a demandé aux grévistes d’élire des délégués de ligne et ces délégués forment un comité de grève qui discute de tous les sujets : de qu’est-ce qu’on peut brûler sur le piquet jusqu’à des questions plus importantes comme la stratégie qu’on établit, quels rapports de force on met en face de la direction, la communication, est-ce qu’on accepte des soutiens extérieurs, etc.

Les grandes décisions, notamment tout ce qui concerne la reconduction de la grève, les actions ou les communiqués de presse, on les fait voter en assemblée générale.

Ça permet à tous les grévistes de se sentir acteurs de la grève et donc de se sentir utiles et moteurs au sein de la grève.

De nombreux salariéEs sont tentéEs de partir dans les PSE, comment ça s’organise chez vous avec la volonté des plus jeunes de maintenir le plus d’emplois possible ?

Dans tous les plans sociaux, les directions cherchent à diviser les salariéEs pour diminuer le rapport de force. Jusqu’à maintenant on a bien réussi à ne pas tomber dans le panneau. On a effectivement des salariés qui veulent partir : avoir une mutation pour se rapprocher de la mer, de leur famille, etc. et puis il y a ceux à qui il reste 20 ou 30 ans à faire et qui n’acceptent pas les suppressions d’emplois. Parce que certains ne vont pas plus avoir de place dans les usines, mais en plus ceux qui auront un poste auront des cadences de travail infernales, des conditions de travail au rabais, on ne pourra plus forcément poser les vacances quand on voudra, etc.

On a réussi à lutter contre la division. L’unique revendication de cette grève c’est l’emploi. Jusqu’à la signature des mesures salariales d’accompagnement, ce sont les grévistes qui vont décider si on va signer ces mesures.

Il y a aussi une solidarité entre les générations : des collègues qui disent : « je souhaiterais partir, je suis à quatre ou cinq ans de la retraite mais quand je vois les conditions de demain pour les gars qui vont rester ça me rend malade et je continue à combattre pour vous ».

Le chômage et la pauvreté ont explosé dans la dernière période, quel rôle peut jouer une lutte comme la vôtre ?

Humblement, ça peut donner un exemple, que les travailleurs/ses qui voient ce qui se passe sur Grandpuits aient envie de faire la même chose, de relever la tête et de combattre les plans sociaux. Trop d’entreprises négocient le montant de la prime pour ceux qui vont partir mais laissent de côté les emplois et ça c’est bien dommage, parce qu’au-delà du fait que des salariés vont perdre leur emploi, c’est aussi une catastrophe pour la jeunesse : 700 suppressions d’emploi à Grandpuits, ce sont 700 emplois détruits à jamais.

On ne doit pas rester seuls et combattre seuls. On invite les soutiens à venir massivement à nos AG, les dons pour la caisse de grève permettent aux grévistes de pouvoir continuer la lutte.

On est quatre cents salariés, on se bat contre Total, c’est David contre Goliath et donc on a besoin du nombre, on a besoin d’un maximum de gens et notamment ceux qui subissent comme nous des plans sociaux. Être là le 23 janvier et le 4 février, c’est une façon de dire que c’est tous ensemble qu’on va gagner, et aussi : regardez, nous aussi à Grandpuits, on subit un plan social on le combat, alors faites comme nous !

Propos recueillis par Manon Boltanski, transcription Antoine Larrache