Publié le Lundi 13 avril 2020 à 08h58.

« La direction de PSA cherche à relancer la production depuis le jour où elle l’a arrêtée »

Entretien avec Yann Tavernet, technicien chez PSA sur le site de Trémery en Moselle et militant de la CGT. Il a répondu à nos questions sur la situation dans son usine et sur la politique du groupe automobile. 

 Début mars, une cellule de crise a été mise en place à l’échelle du groupe PSA. Elle prévoyait des mesures pour chacun des trois niveaux d’évolution de l’épidémie sur le territoire et sur chacun des sites du groupe. Évidemment, même dans le cas où le niveau le plus élevé serait atteint, la direction n’envisageait pas de suspendre la production… Le 9 mars, un cas de Covid-19 a été confirmé à Trémery – le premier du groupe toutes usines confondues – et pour ne pas perturber la production la direction a volontairement minimisé le nombre de salariés ayant été en contact avec le collègue ! Il a fallu que la CGT alerte les médias et qu’un petit groupe d’ouvriers fasse valoir son droit de retrait le 11 mars à Mulhouse pour que la direction de la boîte mette en quatorzaine un certain nombre de travailleurs ayant été en contact avec les personnes contaminées. Finalement, la production n’a été arrêtée que le 17 mars à Trémery. À ce moment là, nous n’avions même pas reçu les flacons de gel hydroalcoolique.

La direction de PSA cherche depuis des jours à rouvrir les usines…

En fait, la direction de PSA cherche à relancer la production depuis le jour où elle l’a arrêtée. Dans l’ensemble des scénarios envisagés, aucun ne menait initialement à la suspension de l’activité. Leur modèle c’était plutôt le site de Vesoul qui fonctionne presque normalement depuis le début de la crise. Depuis la fermeture des sites, la direction développe des mesures farfelues qui visent en fait à contester la légitimité de tout droit de retrait. Le 27 mars à Valenciennes et le 6 avril à Douvrin, des premières tentatives de reprise de l’activité ont été avortées par la réaction des travailleurs et le tollé dans l’opinion publique. Mais il est certain que PSA se prépare à relancer la production à très court terme et avant même le déconfinement. Sur la base du volontariat dans un premier temps, mais comme vous le savez les patrons ont une conception très particulière du volontariat. Avec le syndicat nous appelons les collègues à ne pas répondre aux sollicitations de la hiérarchie qui se montre très insistante. Les patrons et le gouvernement seraient prêts à sacrifier les travailleurs pour protéger leur économie. Mais puisqu’on nous répète qu’il faut respecter le confinement, comment pourrions-nous accepter de prendre le risque d’aller à l’usine ? Pour moi c’est très clair : pas de travail avant la fin du confinement ! 

La direction de PSA dispose-t-elle d’un stock de masques et de matériel de protection ?

Dans les mesures mises en place par la direction pour la reprise, il y a en effet le port obligatoire de masques chirurgicaux, voire de visières sur les postes ne permettant pas de garantir la distance « réglementaire ».  Il semblerait que le groupe dispose, ou soit en mesure de disposer, de 600 000 masques par semaine (2,5 millions de masques par mois). Les moyens déployés pour nous faire bosser sont faramineux alors même que la fabrication de moteurs ou de bagnoles ne n’a rien d’essentielle. Les masques dont PSA dispose devraient être réquisitionnés pour servir  aux travailleuses et travailleurs des secteurs prioritaires comme les hôpitaux, les EPHAD, la grande distribution, le nettoyage, le ramassage des déchets, etc.

La reconversion de sites pour participer à la fabrication de respirateurs médicaux est-elle possible techniquement ?

Oui, c’est techniquement possible et cela prouve d’ailleurs que de façon générale l’industrie automobile pourrait très rapidement reconvertir sa production pour répondre aux besoins essentiels de la population ! Sur le site de Poissy, 8500 moteurs de respirateurs seront assemblés entre la fin de la semaine et la mi-mai pour Air Liquide Medical Systems à Anthonny. Beaucoup de salariés de PSA sont favorables à la fabrication de moteurs pour les respirateurs médicaux qui peuvent permettre de sauver des vies, à condition que la direction respecte strictement toutes les mesures de sécurité sanitaire. En revanche, tant qu’il y aura le confinement général, il n’est pas question de reprendre le boulot pour fabriquer des voitures ! Toute la production non vitale doit être stoppée. Notre santé et nos vies valent bien plus que les profits de PSA ! 

Un « accord de solidarité » a été négocié chez PSA : de quoi s’agit-il ? 

La notion de négociation est toute relative chez PSA… Ce projet d’accord a été présenté par la boîte vendredi dernier, puis il a été soumis le samedi soir – à 21h35 ! – pour être signé le lundi 6 mars par toutes les organisations syndicales représentatives mis à part la CGT. À la lecture de l’accord, on se rend compte que seuls les salariés sont appelés à la solidarité alors que PSA a annoncé plus de 3 milliards de profits pour 2019. Nous revendiquons une prise en charge du complément de salaire par le groupe mais l’accord prévoit la création d’un fond de solidarité qui sera alimenté par des jours de congés volés aux travailleurs. La direction se réserve le droit d’imposer une semaine de congés payés sur la période d’activité partielle, de réduire la période de congé de cet été et de la déplacer sans tenir compte du fait que certains ont déjà planifié leurs vacances. Les actionnaires ne seront pas mis à contribution et devrait se partager 1.1 milliard le 25 juin. La crise de 2008 avait déjà été salutaire pour PSA comme bien d’autres grands groupes, cette fois il y a fort à parier que la direction compte prendre de l’avance sur la concurrence en redémarrant avant eux et en mettant tout en œuvre pour ne pas mettre la main au portefeuille. Dans l’automobile comme ailleurs, pour ne pas payer la crise, les travailleurs doivent se préparer à se battre.

Propos recueillis par Gaël Klement