Publié le Mercredi 25 mai 2016 à 09h52.

Le Havre (76) : Des blocages à la généralisation de la grève ?

La mobilisation havraise contre la loi travail se distingue par son ampleur et les modalités d’action mises en œuvre.

Elle est le produit d’une situation économique et géographique particulière, d’un syndicalisme CGT historiquement implanté et combatif, et de la spécificité du secteur des ports et docks. Elle témoigne également de la conviction de nombreuses équipes militantes que l’intérêt collectif des travailleurs repose sur la recherche de l’unité la plus large possible dans la construction de la mobilisation et de la diffusion dans une large proportion de la population d’une certaine forme de conscience de classe.

État des lieux

Coincés entre les falaises et l’estuaire de la Seine, la zone industrialo-portuaire regroupe sur une vingtaine de kilomètres une grosse concentration de salariéEs et d’entreprises : quais à conteneurs et zones de transits, aéronautique (Aircelle), raffinerie (Total), BTP (Vinci), pétrochimie (Chevron), automobile (Renault), dépôts de carburant (Total et la CIM qui alimentent Roissy) et des myriades de boîtes de sous-traitance (dans la métallurgie notamment) produits de l’externalisation des activités des donneurs d’ordres. La Seine, la mer et les deux grands canaux font de cette zone une sorte d’île gigantesque connectées au réseau routier par une dizaine de ponts.

Si de nombreux secteurs constituent des déserts syndicaux (transitaires, logisticiens, transport routier, une partie de la sous-traitance), les organisations syndicales, et en particulier la CGT, restent bien implantées chez les donneurs d’ordres, mais aussi dans une partie de la sous-­traitance. Les syndicats du port et des docks constituent, quant à eux, chacun dans leur registre des bastions syndicaux. Les capacités de mobilisation sont bien sûr inégales, mais elles sont toutes pensées depuis des années dans un cadre interpro et intersyndical.

Les blocages commencent

Après les manifestations du 9 mars qui ont pris tout le monde de court par leur ampleur, la mobilisation étudiante et lycéenne a peiné à prendre le relais, en particulier faute d’espace laissé à l’auto-­organisation. Dans un contexte où la CGT était également très attentive à éviter tout débordement, c’est surtout la mobilisation du port et des docks qui a assuré la réussite des journées de mars.

Dès le 31, à l’initiative des syndicats du port et des docks, d’une part, et des syndicats de la zone industrielle, d’autre part, la CGT a décidé avec le soutien de l’intersyndicale de se lancer dans des actions de blocages de la zone de l’agglomération et du port à une échelle jamais réalisée sur l’agglomération, paralysant tout le trafic et empêchant toute activité industrielle.

Les mobilisations du 28 avril et surtout de la semaine du 17 et 20 mai ont été l’occasion de monter encore d’un cran dans cette dynamique en bloquant la ville et la zone le 17 et en maintenant le bouclage intégral de la zone et du port du 17 au 20 mai. Appuyé sur une grève de 72 heures des dockers et portuaires, sur des grèves de secteurs (routiers, métallurgie, pétrochimie, cheminot) et sur la coordination des équipes militantes de l’interpro, cette action a mis le patronat local à rude épreuve.

Passer à la phase suivante

La chambre de commerce et d’industrie, drivée par Vianney de Chalus, petit-fils d’armateur et assureur dans le transport, le maire LR du Havre (bras droit de Juppé), et la CGPME, se sont déchaînés dans la presse locale, en appelant au gouvernement... Dont la réaction ne s’est pas fait attendre : expédition de deux compagnies supplémentaires de CRS et de GM.

Alors que la mobilisation tente de passer à la phase suivante depuis vendredi 20 mai et le vote de la grève à Total (voir interview en dernière page), des AG se tenaient sur les entreprises de la zone industrielle lundi 23 mai. Si à 30 km en amont, l’AG de la raffinerie Exxon a été empêchée par l’intervention de la police, d’autres ont pu se tenir, notamment sur le dépôt de la CIM qui a voté la grève illimité à 95 %. Avec en perspective la grève des cheminots, les ports et docks et des frémissements nets dans les services publics, il s’agit maintenant de passer à la phase suivante : la généralisation de la grève. Une AG interpro était programmée mardi 24 mai. Le mouvement est en phase ascendante, mais au Havre comme ailleurs, c’est le moment de généraliser la grève.

Correspondant

Piquet ambiance feux de bouées...

De 10 à 18 points de blocage pendant quatre jours sur l’agglomération, ça demande un peu de logistique. Chacun sa technique, et dans ce registre, le port est le plus armé : les camions grues amènent sur place bouées géantes, brochettes de pneus de camion sur support de traverse de chemin de fer, bobines de câble et palettes en quantités industrielles...

Mais les blocages, c’est pas que du matos, c’est aussi une ambiance et un décor. Jeudi 19 mai, une seule solution pour atteindre le blocage du dépôt Total, passer juste en amont du pont de Normandie. Sur la bretelle de sortie, plots de chantier... et barrage de gendarmerie : « Où allez vous ? Soutenir le blocage ? Très bien vous pouvez passer... » Situation surréaliste pour nous mais aussi pour des gendarmes énervés par leur mission. Objectif : éviter les tensions à deux pas du dépôt. Arrivée sur place : barbecue, barnum, un chauffeur de poids lourd polonais rigole en parlant avec les mains. AG du piquet : reconduction à la grande majorité. 

Les bloqueurs se séparent : certains rentrent dormir un peu, les autres improvisent un match de foot. Des lycéens boivent des bières avec des salariés à peine plus âgés, ça dessine, ça peint des slogans à la bombe. Un peu plus tard dans la soirée, une sono est sortie et le rond-point se transforme en piste de danse au milieu des feux. C’est la troisième nuit sur le piquet, tout le monde est fatigué... mais la détermination est encore montée d’un cran !