Publié le Jeudi 9 janvier 2025 à 19h00.

Licenciements : faire face à la vague qui vient

Les annonces de plans de licenciements s’enchaînent : automobile, chimie, métallurgie… aucun secteur n’est épargné. Et les coupes budgétaires envisagées vont avoir de lourdes conséquences sur l’emploi dans les collectivités territoriales et dans les secteurs de la culture ou du social, par le biais des subventions.

Aux annonces de licenciements dans le privé s’ajoutent les précédentes annonces concernant la fonction publique d’État : dans l’éducation, aux finances publiques, au ministère du travail. On sait que pour un emploi industriel supprimé ce sont plusieurs emplois indirects qui sont menacés. Au total, probablement plus de 500 000 emplois risquent d’être supprimés. Avec des conséquences dramatiques pour ceux et celles d’entre nous qui seront concerné·es. C’est aussi un élément de l’accélération de la crise globale.

 

Rendre visibles les licenciements et leurs conséquences

La CGT a recensé les plans sociaux et autres licenciements dans une carte interactive disponible sur le site du syndicat1. Cet état des lieux alarmant est repris depuis peu par la presse, qui donne à voir l’accélération de la crise. Il reste très difficile de chiffrer précisément les emplois indirects qui pourraient disparaître dans le sillage des plans déjà annoncés. L’exemple de Vencorex en Isère est probablement un des pires : dans la foulée des 425 emplois supprimés sur 450, les salarié·es estiment que c’est sans doute plus de 5 000 emplois qui vont être impactés, entre les entreprises qui dépendent de l’activité de Vencorex et les divers emplois induits par l’activité de la plateforme chimique.

La pauvreté progresse en France2 et les associations caritatives ont, à plusieurs reprises, alerté le gouvernement. Le basculement dans le chômage de plusieurs centaines de milliers de personnes va aggraver la situation. Les familles monoparentales en sont déjà les premières victimes3, essentiellement des femmes seules avec enfants. Et comme elles constituent 63 % des emplois de la fonction publique, elles seront les premières touchées par les coupes budgétaires.

La réforme de l’assurance chômage est toujours en suspens. Avec la réduction des dépenses, la volonté du patronat de faire main basse sur l’argent de nos cotisations qui financent l’assurance chômage, la situation ne peut que s’aggraver. Les projets de réformes mis de côté ces derniers mois auraient engendré la perte de plusieurs mois d’allocation pour près d’un million de chômeuses et chômeurs d’après la CGT4. A cela s’ajoute la réforme des retraites qui oblige à travailler plus longtemps alors que les travailleuses et travailleurs de plus de 60 ans ont déjà un taux d’emploi deux fois plus faible que le reste de la population5.

 

Une accélération de la mainmise du capital

L’ensemble des réformes de l’assurance chômage ou des retraites, les budgets de la Sécurité sociale fixés depuis 1996 par le Parlement et non plus par les « partenaires sociaux », le déremboursement des soins et médicaments, etc. tout cela conduit progressivement à basculer de l’argent « socialisé » vers le privé. Face à une protection sociale qui se réduit, celleux qui en ont les moyens payent des complémentaires santé et retraite, les plus pauvres et notamment les précaires ne bénéficiant plus que de la couverture strictement minimale vers laquelle s’achemine la Sécu. Le transfert d’argent public vers le privé c’est aussi les 260 milliards d’aides aux entreprises accordées par l’État sans contreparties sur la période 2020-20225.

Nous sommes dans une phase d’accélération de la crise capitaliste après une période de longue dépression6. L’exacerbation de la concurrence internationale, la réorganisation des équilibres impérialistes poussent les capitalistes européens (en France et en Allemagne7 en particulier) dans leurs retranchements et les obligent à prendre des mesures pour maintenir leurs taux de profit. Ils jouent sur deux tableaux : d’une part peser sur la main-d’œuvre en licenciant, en augmentant la productivité, en dégradant les salaires et les conditions de travail ; d’autre part en faisant basculer des secteurs non marchands dans la sphère du profit. Cette prise de profits supplémentaires se fait avec violence pour les classes populaires et la crise politique actuelle en est la transcription dans le cadre institutionnel.

 

Vers une séquence de luttes et d’explosions sociales ?

Ces dernières années nous avons connu des mobilisations importantes et des explosions sociales en marge du mouvement ouvrier traditionnel : Gilets jaunes, réforme des retraites, mouvement féministe, luttes écolo… Aucune de ces luttes n’a été en capacité d’inverser réellement le rapport de force, en bloquant l’économie. La classe laborieuse est morcelée du fait du fractionnement du travail (précarité, uberisation, télétravail, éclatement des grandes unités de production, sous-traitance…) et divisée par le poison du racisme dans un contexte de montée du Rassemblement national. Même si la dernière mobilisation contre la réforme des retraites a donné lieu à un frémissement de re-syndicalisation, on est loin de ce qui serait nécessaire pour organiser les ripostes.

Face aux plans de licenciements, il est dur de mobiliser des salarié·es épuisé·es physiquement et moralement par leurs conditions de travail. Cela permet aux patrons de s’en sortir à bon compte en lâchant des indemnités « supra-légales » qui deviennent l’unique enjeu des mobilisations. Avec peu de réelles batailles contre les fermetures, les licenciements, pour le maintien des tous les emplois.

Les problématiques écologiques liées aux industries concernées (chimie, automobile, métallurgie) sont un frein à la solidarisation des populations riveraines et d’une partie des militant·es. À l’heure de l’accélération du réchauffement climatique on ne peut défendre le maintien de l’industrie automobile. De même en Isère : alors que l’on sait que la plateforme chimique pollue la nappe phréatique depuis des dizaines d’années8, comment défendre son maintien ? La crise écologique nous oblige à poser avec davantage de force la question de l’utilité de ce qui est produit, des conséquences du maintien des sites de production mais aussi les impacts sociaux et écologiques de leur disparition ou de leur délocalisation. Difficile d’avoir des réponses qui ne soient pas purement théoriques lorsque le rapport de force est aussi dégradé et que nous n’avons pas la main sur les choix en termes de politique industrielle.

Faiblesse de l’organisation de la classe laborieuse, conditions de travail dégradées, problématiques écologiques… pèsent contre la possibilité d’une mobilisation face aux licenciements en particulier dans l’industrie. Pourtant, des salarié·es se battent dans leurs usines, leurs collectivités territoriales, leurs services publics. L’avenir des luttes n’est jamais écrit totalement à l’avance. L’injustice ressentie est un puissant moteur de révolte dont il est difficile de prédire sur quoi elle va se déclencher. Même si on sent bien que l’atmosphère sociale est explosive.

 

Comment agir dans cette séquence ?

Pour le NPA, toutes ces luttes sociales participent de la reconstruction de la conscience de classe. Les luttes féministes ou contre le racisme aident à unifier notre classe. La question de l’heure est d’organiser, faire converger toutes ces luttes dans l’affrontement contre le gouvernement et le patronat.

La première action militante est de soutenir les luttes en cours : aider à leur auto-organisation, passer sur les piquets de grève, alimenter les caisses de grève, etc. Nos porte-paroles se déplacent pour rencontrer les grévistes et amener avec eux les médias pour donner de la visibilité aux luttes. C’est aussi l’occasion de raconter ce qu’on a vu ailleurs, de favoriser les contacts entre les différentes boîtes concernées. Ce n’est pas évident parce que tenir un piquet de grève, occuper son lieu de travail est déjà un effort considérable mais c’est absolument nécessaire pour sortir les conflits de l’isolement et du cas par cas.

À l’échelle nationale, notre parti a été à l’initiative d’une réunion unitaire à laquelle ont participé une douzaine d’organisations politiques avec l’objectif de soutenir les salarié·es en lutte, de façon complémentaire à l’action des syndicats. Avec meetings, concerts de soutien, marches contre les licenciements… Des déclinaisons locales sont également en cours de construction en particulier dans les bassins directement concernés par des plans de licenciements.

Nous voulons aussi essayer de construire des perspectives politiques larges parce que si nous ne sommes pas présents sur le terrain social, c’est le Rassemblement national qui va se construire sur la base du désespoir et des politiques antisociales. Il y a donc un enjeu très important et une urgence à construire des perspectives politiques qui aident les mobilisations, qui redonnent de l’espoir dans un avenir meilleur pour notre camp social. Ce n’est pas facile car des divergences existent : certain·es défendent l’interdiction des licenciements, d’autres le droit de veto des travailleuses et des travailleurs, d’autres un moratoire. Sur les questions écologiques aussi il existe des différences en termes d’appréciation et de solutions : sur les productions inutiles ou dangereuses, les relations producteurs-usagers, les cadres de délibération et de décision. Dans un premier temps, il y a une convergence claire autour de la revendication de stopper les licenciements et de se donner du temps pour des reconversions lorsque cela est nécessaire.

Nous portons la nécessité d’interdire les licenciements, d’assurer la continuité des revenus des travailleuses et des travailleurs, de renforcer la protection sociale et de réduire massivement le temps de travail. Il faut produire moins et mieux, en travaillant moins : moins d’heures par semaine, moins de jours dans l’année, moins d’années dans la vie ! C’est urgent pour nos vies, pour la planète, pour que chacun·e puisse s’épanouir et vivre. Soyons clair : cela suppose de s’affronter aux patrons, au gouvernement, au pouvoir, de remettre en cause fondamentalement le fonctionnement du système capitaliste pour construire une autre société éco-socialiste. 

  • 1. CGT, 286 PSE : près de 300 000 emplois menacés ou supprimés. Site cgt.fr, 27 novembre 2024.
  • 2. Observatoire des inégalités, Comment évolue la pauvreté en France ? Site inegalite.fr, 17 juillet 2024.
  • 3. INSEE, L’essentiel sur... la pauvreté. Site insee.fr, 17 octobre 2024
  • 4. CGT, Assurance chômage : la poursuite du saccage après la réforme des retraites. Site cgt.fr, 12 novembre 2024
  • 5. DARES, Les seniors sur le marché du travail en 2023. Site dares.travail-emploi.gouv.fr, 11 septembre 2024.
  • 6. Michael Roberts, La persistance de la longue dépression du capitalisme mondial. Inprecor n°722-723, juillet-août 2024.
  • 7. NPA Auto-critique, Le plan Volkswagen : plusieurs usines fermées et des dizaines de milliers de suppressions d’emplois. Site npa-auto-critique.org, 29 octobre 2024.
  • 8. Grenoble je ne boirai plus de ton eau. Le Postillon n°68, printemps 2023.