Publié le Mardi 17 novembre 2020 à 20h03.

«Nous ne sommes pas des esclaves. Nous sommes des humains». Interview d’Antoine livreur de Deliveroo à Besançon

Samedi 14 novembre les livreurs/livreuses de Deliveroo travaillant à Besançon ont posé le sac-à-dos. Ils et elles ont décidé de n’assurer aucune livraison de la journée. Pour les passant.e.s, des pancartes de carton précisaient les raisons de leur colère. « On ne vit plus, on survit », « Nous ne sommes pas des esclaves. Nous sommes des humains ». Nous avons rencontré Antoine1 à qui nous avons posé quelques questions.

Combien êtes vous sur la ville à travailler pour Déliveroo ?
Nous sommes environ 90. Mais 40 à 50 à faire ce boulot à temps plein. Pour qui c’est la seule source de revenus.

Comment Deliveroo a réagi à votre grève ?
Pour le moment on a eu aucun retour. La plateforme, eux, ils n’ont rien changé.

Quelles sont vos revendications ?
Ce qu’on revendique c’est simplement une hausse de la tarification. Depuis le début du confinement Déliveroo a lancé la livraison à 1 euro par mois pour le client. Donc en gros la livraison est quasiment gratuite pour le client. Mais nous, du coup le tarif de nos courses a baissé. Actuellement c’est une activité économique numéro un car les restaurateurs comptent sur nous pour vivre eux aussi et pourtant on est les seuls à avoir une baisse de revenus conséquente.

A combien évaluez-vous cette baisse de revenus ?
C’est simple quand ça a commencé il y a deux ans on avait 5 euros par commande. Maintenant on est quasiment à 3 euros la commande. C’est une baisse de 30 à 40 %. Dans la période actuelle tout augmente. On est bien le seul domaine d’activité, à avoir des baisses sensibles de revenus. On est quand même des salarié.e.s déguisé.e.s. C’est dur quoi.

Etes-vous coordonnés inter villes ou bien cette grève est-elle propre à Besançon ?
Cette grève c’est nous qui l’avons lancé. On s’entend bien. On est un petit groupe assez soudé. On se connaît tous plutôt bien. Parce qu’on n’est pas si nombreux que ça. Donc c’est vrai que la grève, on était 95 % à la faire. Quasiment la totalité. On a réussi çà faire fermer l’application. Sur la journée de samedi.

A ce moment le téléphone d’Antoine sonne. Il nous explique ce qui se passe sur l’application.
Voilà donc là par exemple, c’est pas trop mal payé (9 euros) mais c’est sûrement parce la course a dû être refusée quelques fois. Son prix de lancement devait être encore plus bas ! C’est pour aller très loin. Il y a à peu près 6 à 7 kilomètres. Celle-là je ne la prendrai pas. Elle est trop longue.

Il faut savoir que quand un livreur s’éloigne du centre-ville pour livrer, il doit ensuite revenir en plein centre-ville pour obtenir une nouvelle commande. L’algorithme choisi le plus proche du restaurant. Donc cela rajoute à cette faible tarification un retour à vide !

En fait la grève est venue comme ça. C’est quelqu’un qui a donné cette idée. On était tous d’accord. Ça n’a pas été dans toutes les villes le cas. A priori il y aurait Dijon qui nous aurait suivi sur samedi soir uniquement.

Après la colère commence à monter un peu partout, dans toutes les autres villes en France parce qu’il y a eu d’autres mouvements à Lyon et à Paris, il me semble. A Lyon la CGT était dans le coup. En voyant les photos qu’on a posté samedi midi la CGT de Lyon nous a contacté pour nous organiser. Mais nous on s’est organisé tout seuls. Certains collègues sont un peu sceptiques de voir arriver les syndicats.

Projetez-vous de faire d’autres mouvements ?
A faire des mouvements comme ça sur une seule ville, on pense qu’on pas trop de force de frappe. Donc via la CGT, il y a un appel à un mouvement national le 5 décembre. Donc logiquement on va suivre ce jour-là. Très peu de Déliveroo devraient travailler cette journée du 5 décembre.

A combien chiffrez-vous les revendications salariales ?
Il faudrait qu’il y ait au moins plus d’un euro de plus par commande.

Ca vous amène à travailler combien d’heures pour gagner votre vie ?
C’est compliqué parce qu’on est dans un travail qui est physique. On achète nous-mêmes notre vélo. Le mien est électrique il coûte environ 2000 euros et un livreur sur deux environ se l’ait déjà fait voler.

Avant en travaillant 35 heures par semaine, on faisait des revenus corrects. Maintenant pour avoir les mêmes revenus qu’avant il faut travailler énormément. En termes d’heures maintenant je dirai qu’on en est à 55 heures et il y en a qui travaillent plus. 7 jours sur 7. Ils ont baissé les prix mais depuis le début du confinement l’application est ouverte de 8 heures du matin jusqu’à 2 heures du matin. C’est ouvert tout le temps. Celui qui est motivé pour travailler de 8 h à 2 h, il fera 200 euros la journée mais il faut avoir plusieurs batteries et faire 150 km de vélo. Et il ne faut faire que ça. Il y a beaucoup de livreurs qui n’arrivent plus à réfléchir. Ils sont robotisés. Ils travaillent 7 jours sur 7, sans prendre de week-end. Ils ne savent plus faire autre chose. Ils ne savent plus s’arrêter.

Avant en travaillant 40 h. par semaine, avec une bonne tarification on arrivait à 2000 euros. Tout le monde s’est un peu lancé la dedans car il y avait l’aide aux entreprises. La première année on ne payait que 5 % de cotisations sociales. Maintenant au bout de deux ans, nos cotisations sociales montent et la tarification baisse. Si je gardais le même rythme qu’avant en ne venant pas travailler le matin en ne faisant que le service 11h/14h et 18 h /22h30 je gagnerais1200 euros brut.

Tu souhaites ajouter autre chose ?
On doit payer des cotisations sociales sur nos revenus. Les cotisations sont de 22 %. C’est du délire ! On ne devrait même pas être taxé à 5 %. J’essaye d’expliquer aux collègues qu’on a une certaine force durant le confinement. Suivre le mouvement serait une bonne chose. Parce que les restaurateurs ne pourraient plus écouler leurs commandes.

Quels sont vos interlocuteurs chez Déliveroo ?
On ne sait pas. On ne voit personne. On est traité de loin. Deliveroo n’a pas de bureaux. Ils gèrent tout ça de très loin. De Londres. Il y a deux ou trois bureaux en France. C’est tout. Jusqu’à il y a un an, on avait un suivi il y avait un représentant de Déliveroo qui venait nous voir dans un hôtel. Il venait nous rencontrer pour voir ce qui n’allait pas. On avait des créneaux de travail. Après ça a évolué comme la société Uber Eat. C’est géré d’encore plus loin qu’avant. Et on ne plus rien dire maintenant. Ils ont juste pris un représentant par région. Ils lui payent le train une fois par mois ou tous les trois mois pour aller à Paris, pour faire le point, mais de toutes façons, ça ne change rien.

  • 1. Le prénom a été changé.