Alors que se discute la mise en place d’une innovante « Place de Grève1 » afin d’appliquer l’imagination des luttes ouvrières au numérique, une reprise en main des modalités grévistes semble se mettre en place par la direction d’OpenEdition.
OpenEdition est un diffuseur numérique de livres, revues, blogs et annonces en sciences sociales en accès ouvert. C’est également un laboratoire public (Unité de service et de recherche,) situé essentiellement à Marseille et un peu à Paris, employant une cinquantaine d’agents publics, fonctionnaires, CDI et contractuels (environ 50 %) du CNRS, d’Aix-Marseille Université, de l’EHESS, de l’Université d’Avignon et de Protisvalor Méditerranée (filiale financière privée d’AMU).
Dans le cadre du mouvement social pour le retrait de la réforme des retraites, un collectif solidaire s’est mobilisé rapidement à partir du 5 décembre.
L’accès ouvert à la recherche publique mis en oeuvre par OpenEdition appartient à toute la collectivité, française et étrangère, qui s’y implique en tant qu’éditeur de livres ou de revues, de rédacteur de blogs, d’annonceurs, de bibliothèques abonnées ou de lecteurs… Mais est aussi géré et maintenu au quotidien par un collectif de travailleurs ! La réforme des retraites a décidé une partie d’entre eux d’allier luttes traditionnelles (grèves, manifestations, blocages) et luttes numériques (blocage, réseaux sociaux, fenêtres publicitaires).
Un blocage inédit
C’est ainsi que le 16 décembre l’Assemblée des personnels a voté pour la suspension de l’accès aux plateformes pour 24h, pour la journée interpro du 17, et une redirection des internautes vers un manifeste revendicatif exigeant le retrait de la réforme des retraites, traduit en six langues. Ce « blocage » de sites est la première du genre en France, et signe que l’action ciblée était la bonne (il y a 6 millions de visiteurs uniques par mois), cela a provoqué une réaction très rapide des employeurs, les « tutelles ». Cette réappropriation des outils de production par le collectif solidaire s’apparente à la revendication théorisée par Jacques Rancière, « La part des sans parts », par une mise en lumière soudaine de ce travail en apparence invisible. Un blog, « Les invisibles de l’USR2004 » (OpenEdition) a été ouvert sur Médiapart pour relayer les écrits du collectif en lutte de manière autonome.
Des menaces de représailles sur les carrières des agents mobilisés ont, à partir de ce moment, été prononcées à chaque assemblée des personnels par des membres de la direction, « relayant le discours des tutelles ». Des revues ont exprimé leur solidarité avec les travailleurs en lutte d’OpenEdition2. Des liens ont aussi été tissés avec d’autres travailleurs du numérique en grève, de Mediapart au collectif récent onestlatech.
Par la suite, une coordination des revues en grève (qui sont à ce jour une soixantaine) s’est tenue lors d’une Assemblée générale3. Une caisse de grève pour les cheminots grévistes a aussi été créée et une nouvelle action sur les sites web a été votée - encore une fois - très majoritairement. Le principe était un « barrage filtrant » ou une « publicité militante », sous la forme d’une fenêtre contenant un texte revendicatif à lire et à refermer avant d’accéder aux contenus. La mobilisation dans l’ensemble de l’Enseignement supérieur et la recherche allant en grandissant, la direction d’OpenEdition est intervenue autoritairement avant pour l’éviter4. Cette épisode va -t-il souder le collectif pour faire de nouvelles luttes offensives ou dissuader le collectif militant ? Dans tous les cas, la lutte pour le retrait continue !
De la réforme des retraites qui précarise le corps enseignant et pénalise les jeunes travailleurs et les étudiants, de l’augmentation des frais de scolarité pour les étudiants étrangers, aux déclarations d’Antoine Petit, PDG du CNRS qui appelle à une loi « darwinienne et inégalitaire » pour la recherche, exaucée par le projet de Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche, il y a plus que jamais nécessité de reprendre l’offensive jusqu’au retrait des deux réformes (retraites et LPPR) !
Liens :
- 1. Une nouvelle place de Grève ? Retour sur un blocage numérique 10 janvier 2020. https://blogs.mediapart.fr/les-invisibles-de-lusr-2004/blog/100120/une-nouvelle-place-de-greve-retour-sur-un-blocage-numerique
- 2. En soutien aux personnels d’OpenEdition : notre lutte doit être aussi numérique 20 janvier 2020. https://academia.hypotheses.org/8135
- 3. Appel aux revues en lutte 15 janvier 2020. https://blogs.mediapart.fr/les-invisibles-de-lusr-2004/blog/150120/appel-aux-revues-en-lutte
- 4. OpenEdition en lutte en appelle à ses contributrices et contributeurs! 24 janvier 2020. https://blogs.mediapart.fr/les-invisibles-de-lusr-2004/blog/240120/openedition-en-lutte-en-appelle-ses-contributrices-et-contributeurs