Le compte personnel de la prévention de la pénibilité (C3P) est issu de la loi du 20 janvier 2014. Depuis, cette loi a été amendée par la prise en compte d’autres facteurs de pénibilité : une première fois en 2015 (+4) et six autres en juillet 2016 (bruit, port de charges lourdes, gestes et postures, risques chimiques, vibrations, températures extrêmes ).
Alain Carré, médecin du travail, membre de la CGT déclare dans l’Humanité du 5 janvier : « Dans son principe même, le compte pénibilité, c’est l’inverse de la prévention. (…) On vous donne un petit quelque-chose parce que vous êtes soumis à des conditions de travail désastreuses, car il faut que les facteurs de pénibilité laissent des traces durables et irréversibles sur la santé pour être pris en compte. C’est contraire à toute idée de prévention et, idéologiquement, c’est très bon pour le Medef. »
Est donc mis en place un système de points cumulés permettant aux travailleurEs un départ anticipé en retraite, avec maximum fixé à deux ans. Le C3P a été créé en même temps que l’augmentation de la durée de cotisation pour une retraite à taux plein...
Les seuils d’exposition très élevés sont fixés par le gouvernement et viennent d’être rehaussés. Les fiches de prévention sont maintenant supprimées et c’est l’employeur « présumé de bonne foi » (!) qui déclarera à la caisse de retraite les facteurs de pénibilité auxquels « ses » salariéEs sont exposés, sur la base d’accords et de référentiels sur des postes de travail types établis au niveau de la branche professionnelle.
« Ce sont des seuils inatteignables, il faut vraiment travailler dans des conditions apocalyptiques », déplore Alain Carré qui donne pour exemple de la reconnaissance d’une situation pénible : il faudrait manipuler 7,5 tonnes par jour pendant 120 jours au minimum par an... Et les difficultés se multiplient encore quand on aborde la mobilité et la pluri-exposition.
Une vision héritée du 19e siècle
Rappelons que dans le même temps, le Code du travail, les CHSCT, la médecine du travail, sont les cibles permanentes du Medef que le gouvernement plein de mansuétude à son égard continue de démolir.
Du coup, sans lien avec la réalité du travail et des organisations, avec une traçabilité incertaine faute de moyens nécessaires, sans réel contrôle des travailleurEs et/ou de leurs représentantEs, cette mesure de « justice sociale » (selon le gouvernement) pérennise les pénibilités au lieu de les éradiquer. La prévention indispensable réduite à néant en devient inutile.
Effet pervers de ce système, les conditions de travail resteront ce qu’elles sont, ou plus certainement continueront à s’aggraver, faute de prévention. Et alors que la pénibilité est insupportable, des travailleurEs préféreront rester à un poste qui les détruit, cela dans l’espoir d’un départ anticipé.
Une fois de plus dans la logique du marché, cette loi entérine un principe fondé sur la quantité alors que la qualité est totalement niée, cela à partir de critères fixés par le patronat... De plus, la pénibilité est envisagée uniquement comme une question « personnelle » sans aucun lien avec le collectif de travail, alors que celui-ci est situé dans un espace commun de coopération nécessaire. Enfin, les souffrances psychiques ne sont pas prises en considération, alors que les « nouvelles » organisations du travail, dont le lean, sont la source de mal-être. Nous en restons à une vision héritée du 19e siècle, hygiéniste et essentiellement axée sur le physique, conception que l’on peut rattacher à un « virilisme » trop souvent partagé.
Alain Jacques