Publié le Lundi 12 novembre 2012 à 17h00.

Reforme de Presstalis : La presse à la croisée des chemins

La presse française est régie depuis 1947 par la loi Bichet qui est censée assurer un traitement égalitaire dans la diffusion de l’ensemble des titres. Cette loi, issue du Conseil national de la Résistance, avait pour but de protéger la liberté d’expression, concept semble t-il relégué au statut de philosophie préhistorique à notre époque de rentabilité…Presstalis est une coopérative qui permet à l’ensemble des titres et publications d’être distribués sur l’ensemble du territoire (30 000 points de vente) en mutualisant les coûts : les gros éditeurs payent une quote part plus forte que les petits, et les coûts de transport sont mutualisés (les différents journaux transportés dans le même camion).Ce système comporte plusieurs niveaux (dit niveau 1 : le parking des imprimeries, niveau 2 : les centres « d’éclatement » et réassorts et niveau 3 : le vendeur final). Ainsi, la France dispose de l’un des systèmes logistiques des plus performants au monde.Licenciements et sous-traitanceMais pour les grands groupes de presse, dont le leitmotiv est le développement par le numérique, il est grand temps de simplifier le système et « d’adapter l’offre à la demande des lecteurs » dixit Anne-Marie Couderc, présidente de Presstalis.La direction prévoit donc de licencier 1 250 salariéEs sur les 2 127 que compte l’entreprise – prêt de 60 % – et de fusionner les niveaux 1 et 2, c’est-à-dire mettre des camions en sortie des imprimeries pour assurer une distribution vers les seuls point rentables, en passant par la sous-traitance (l’entreprise Géodis). Et sous-traiter, ça veut dire mettre la charge de travail dans des entreprises qui n’ont pas le même statut que Presstalis et désigner les ouvriers du Livre et leur statut comme responsables de la crise.Bien entendu, on ne peut nier que les ventes de la presse quotidienne ou de nombreux magazines sont certainement moins importantes qu’il y a 20 ou 30 ans mais le déficit de Presstalis ne vient pas directement de la baisse des ventes mais de la fuite de gros éditeurs vers les MLP (Messagerie lyonnaises de presse, concurrent direct de Presstalis) qui récupère la charge de travail à moindre coût.Le syndicat du livre (SGLCE) se retrouve donc à la croisée des chemins. Le patronat de la presse souhaite lui faire jouer le rôle d’accompagnateur de plan social en mettant en place les critères d’un PSE qui doit se conclure avant la fin de l’année. Dans le même temps, le patronat cherche à mettre en place une mutualisation des coûts de transport entre MLP et Presstalis, affichant ainsi leur volonté de casse du syndicat du livre et des statuts des salariéEs de la presse. L’ironie veut que cette solution plus rentable fasse aussi partie de celles qu’avance le syndicat du livre.Une question démocratiqueLa question de la démocratie et de la distribution de la presse est finalement au cœur du problème. Les plans marketing tendent vers le basculement sur des supports numériques, mais il se trouve que celui-ci n’est pas encore (à priori pour un certain temps) rentable et c’est le papier qui tire encore les titres. L’ultra-majorité des lecteurs le sont sur papier (90 % environ pour la presse quotidienne nationale). Ce papier malheureusement risque de ne plus être disponible sur tout le territoire, des centaines de kiosques ayant déjà fermé ces dernières années.Le combat des ouvriers du Livre est donc le combat de tous, combat pour faire vivre un système de péréquation démocratique issu des acquis de la libération, combat pour l’information qui n’est pas une marchandise comme les autres. Pour les ouvriers du Livre, c’est aussi comprendre qu’aucun secteur n’est protégé, les plans sociaux sont aujourd’hui aussi impitoyables que dans les autres secteurs de l’économie. C’est certainement dans la solidarité et le combat commun avec les dizaines de milliers de travailleurs, qui dans toutes les branches sont aujourd’hui menacés, que les ouvriers du Livre pourront faire reculer un patronat de combat déterminé à en découdre.Erwan Bikou et Joël Anderson