On a beaucoup parlé des cheminotEs dans les médias cette semaine en les faisant passer pour d’affreux personnages dont la grève sur le premier week-end des vacances empêcherait les petits-enfants d’aller rejoindre leurs grands-parents pour Noël.
Éditorialistes, dirigeants de la SNCF, politiciens… tous y sont allés de leur couplet sur « l’irresponsabilité » des grévistes, Alain Krakovitch, le dirigeant de Voyages SNCF, remportant peut-être l’oscar de l’hypocrisie : « J'ai honte. C'est scandaleux. Beaucoup m'écrivent et me disent qu'ils ont honte. » Ce monsieur est pourtant bien placé pour savoir que, s’il y a bien un « scandale », c’est celui orchestré par lui et ses semblables à la tête de la SNCF : aucune augmentation de salaires depuis presque huit ans dans l’entreprise. Et si les cheminots ne sont pas les salariés plus mal payés du pays, des jeunes embauchés démarrent en-dessous du SMIC. Pour bien des catégories de salariéEs dans l’entreprise, les salaires restent riquiqui pendant des années, loin de la prétendue moyenne de 3200 euros annoncés par Farandou, le PDG de la SNCF, il y a quelques semaines sur les plateaux TV. Ce qui sûr, en revanche, c’est que ses 37 500 euros mensuels à lui explosent la moyenne...
La coupe est pleine
L’essence augmente, le gaz augmente, la baguette de pain augmente, les salaires… stagnent. Année après année, ce sont des milliers d’euros de pouvoir d’achat que les cheminotEs ont perdus. En 1980, les salaires correspondaient à 78,5% du chiffre d’affaires de la SNCF, ils en représentent aujourd’hui 40% : les richesses produites ne ruissellent pas dans les poches des travailleurEs. La direction avait cédé quelques petites mesures compensatrices avec le covid ? Elle veut y mettre fin et elle essaie juste de nous soudoyer par une petite prime, annoncée il y a quelques semaines, comme on lâche un os à un chien !
Pour que la coupe soit pleine, ajoutez au blocage des grilles de salaire des suppressions régulières d’effectifs : plus de 14 000 postes en moins depuis 10 ans sur l’ensemble du groupe. À l’image de la nouvelle « réorganisation » — le mot maison pour ne pas parler de suppressions d’emplois — qui frappe actuellement les vendeuses et vendeurs de billets en Île-de-France, avec à la clef des dizaines de postes en moins. Résultat : les conditions de travail sont de plus en plus dures et les cheminotEs sont à bout, comme bien d’autres salariéEs de ce pays.
Vers un mouvement généralisé ?
La colère monte et une multitude de mouvements de grève éclatent à la SNCF depuis plusieurs mois, partout sur le territoire, chez les conducteurs et conductrices, contrôleurs et contrôleuses, agentEs de l’aiguillage ou vendeurEs de billets… Des mouvements combatifs et souvent très suivis, où l’on retrouve beaucoup de jeunes cheminots, mais qui restaient jusqu’alors éparpillés par métiers et par zones géographiques.
D’où le caractère particulier de la grève de ce week-end car plusieurs de ces mouvements locaux se retrouvaient cette fois-ci, simultanés, sur plusieurs axes TGV (Sud-Est, Sud-Ouest, Nord) et sur plusieurs réseaux régionaux (Ile-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne…). Ce qui a fait craindre au patronat de la SNCF — et au-delà ? — que cette grève soit un marchepied vers un potentiel mouvement national des cheminots… pour commencer.
Car la colère gronde dans bien d’autres secteurs au niveau des salaires : dans les treize usines chimiques d’Arkema, à Leroy-Merlin, Auchan, Décathlon, Michelin, chez les travailleurEs sociaux, chez les animateurEs périscolaires, chez des conducteurEs de bus… Et la liste est encore longue. Partout, des travailleuses et des travailleurs qui n’en peuvent plus de ne pas pouvoir vivre décemment de leur salaire ! Sans parler des pensions de retraite et autres allocations qui devraient être augmentées aussi.
Le feu couve encore
La direction de la SNCF a tenté d’éteindre les départs de feu en lâchant ici ou là des nouvelles primes de quelques centaines d’euros, ce qui témoigne de sa fébrilité devant un mouvement qui s’étendrait. Elle a dû lâcher du lest devant certains mouvements locaux comme celui des conducteurs en Auvergne-Rhône-Alpes qui ont obtenu plusieurs dizaines d’embauches après une forte mobilisation.
Pour torpiller la grève de ce week-end qui s’annonçait réussie, la direction a pu aussi compter sur les directions syndicales qui, au dernier moment, ont levé leur préavis de grève sur le TGV Sud-Est estimant les revendications principales satisfaites… Fourberie supplémentaire : la levée du préavis ne concernait que le TGV sud-est mais a été présentée médiatiquement comme la fin du mouvement à l’échelle nationale. D’où l’isolement des secteurs les plus combatifs qui ne voulaient pas renoncer à ces journées de mobilisation.
Ce n’est certainement que partie remise et les prochains mois s’annoncent chauds. Car il semble bien que les patrons et Macron, ce président des super-riches, mesurent mal la gravité des problèmes de fin de mois des travailleurEs de ce pays. Cela pourrait leur poser des problèmes de fin de règne. Du moins déjà une lutte d’ensemble : la seule chose qu’ils n’auraient pas volée.