Les travailleurs de Surcouf du site de l’avenue Daumesnil à Paris mènent une grève illimitée, impressionnante par son unité et sa durée. Khalid, 35 ans, membre du CCE, du CE, délégué du personnel CHSCT et syndiqué CGT, est employé depuis sept ans chez Surcouf. Quand le mouvement a-t-il commencé ?Un vrai poisson d’avril, le 1er avril dernier. Le richissime Hugues Mulliez (cela ne s’invente pas : c’était aussi la Saint Hugues) a racheté pour 1 euro l’enseigne Surcouf au groupe Pinault Printemps la Redoute (PPR), a sorti de sa poche plusieurs dizaines de millions d’euros, dont 20 pour… PPR, 8 pour un nouveau siège social, et autres babioles genre rénovation/marketing. Dans le paquet cadeau, il y avait un avenant à notre contrat de travail, à prendre ou… à quitter la boîte : baisse globale des effectifs de 30 à 40 % et indexation du salaire sur les produits les plus « margés ». Par ailleurs, une réduction drastique du choix offert aux clients : nous ne devrions vendre que des produits qui rapportent beaucoup au détriment de la qualité, quel que soit le taux de retour des produits… à la charge du vendeur ! Enfin, une notation/rémunération du vendeur suivant un questionnaire remis aux clients. De première plateforme européenne de distribution du multimédia, tant par le choix offert que par la qualité des produits conseillés par des vendeurs-techniciens, Surcouf devient une boîte à fric, comme n’importe quelle boîte, et la gamme a été divisée par deux. Alors vous êtes en grève ?Oui, depuis quatre semaines maintenant. Sur 320 personnes concernées, 179 ont refusé de signer. À Daumesnil, cela concerne 75 salariés. Nous sommes en grève illimitée. Un piquet de grève permanent avec tentes et banderoles est installé sur le trottoir. Nous tentons de convaincre les gens de ne pas rentrer acheter dans le magasin. Cela se passe plutôt bien. Le mouvement concerne les cinq magasins de l’enseigne. Tout se passe dans l’unité entre la CGT, la CFDT (surtout à Strasbourg), la CFTC (Daumesnil) et FO. Pas de problème, c’est la cohésion.Quelles sont les revendications précises ?On est prêts à partir, mais dans la dignité. Ce que propose le patron est une insulte : 800 euros par année d’ancienneté, en supra légale ! Nous voulons 2 500 euros, une vraie prise en charge en formation et le paiement des journées de grève.
Les positions « s’opposent » !Le patron a recours a un médiateur. C’est la cinquième rencontre avec ce personnage complètement dans la poche de la direction. Nous ne voulons plus le voir. Il essaye toujours de nous diviser. Cela ne marchera pas. Nous savons que l’unité est notre atout maître. Ils ont essayé de contourner l’assemblée générale (AG) en faisant appel aux directions fédérales « commerce » des syndicats. Chez Surcouf tout se décide avec tout le monde. Les non-syndiqués aussi ?Bien sûr. Quand il y a une nouvelle proposition, ou une décision à prendre, on ouvre la fenêtre, les salariés sont là, on les saisit du problème et… ils décident à mains levées. Donc il y a la démocratie ouvrière et un comité de grève syndiqués/non-syndiqués ?Si tu veux. Pour nous c’est le bon sens. L’unité et la démocratie dans la lutte, c’est notre seule force.Quel est le rôle des femmes ? Le piquet de grève est manifestement mixte… Chez Surcouf, on a 75 % de salariés et 25 % de salariées. La représentation syndicale est la même. L’implication dans la lutte est la même. Par contre, notre porte-parole principale, la personne dont la direction a tout à craindre, c’est une femme. Chez nous il n’y a pas de division. Quelles sont les prochaines échéances ?Le 8 mai, il y aura une réunion décisive du comité central d’entreprise (CCE). La direction est dos au mur. Les salariés sont fatigués. Tout va se jouer là. Mais nous ne céderons pas. Nous sommes toujours en grève illimitée malgré toutes les manœuvres. Quelles manœuvres ?Outre le contournement des salariés par les fédéraux, il y a les ouvertures « officieuses » du patronat, comme 1 100 euros par salarié et par année d’ancienneté. Il y a les « erreurs » dans les fiches de paye du mois de mars : il manque de l’argent, parfois beaucoup, alors on sait qu’ « ils » paieront. Mais en attendant il faut réclamer, vivre avec très peu, c’est démoralisant, cela nous renvoie à nos problèmes individuels, pas au collectif. Et il y a les illégalités… Ils embauchent en CDI sur nos postes ! C’est illégal tant que le plan social n’est pas acté. Ils mettent des stagiaires, donc sans formation, sur des postes à responsabilité. Ils jouent la démoralisation. Mais on tiendra ! On parle des « zones de non-droit » à propos de certains quartiers, dont je viens, d’ailleurs. Mais ce n’est rien à côté du coût pour la société des vraies zones de non-droit pour les patrons.Propos recueillis par des correspondants NPA Paris 12e