Publié le Samedi 11 septembre 2021 à 11h06.

Transdev, Vaux-le-Pénil : une grève qui se construit

Dans l’enceinte du dépôt, autour d’un café, les discussions vont bon train. « S’il n’y a pas de chauffeurs les patrons ne peuvent rien. On le voit bien là, il n’y a rien qui sort. C’est les ouvriers le nerf de la guerre. Mais il faudrait aussi des manifs avec des gens normaux, enfin je veux dire des chômeurs et d’autres salariés, ça ferait bouger les choses ». Les conditions de travail restent un sujet central. « Tu ferais Paris-Marseille tous les jours ? C’est 8h, c’est ce qu’on fait. Mais avec des conditions pourries. Paris-Marseille je veux bien, mais dans une Bentley, pas dans une 205 ». « Avant je travaillais à Darche Gros, et je n’ai jamais fait grève. J’arrive ici, et je fais grève. Et pourtant là-bas, ils apprenaient aux filles à pisser dans des bouteilles, parce que les pauses étaient trop courtes ». Un gréviste a repéré un post sur Facebook qui vient de là-bas : « On devrait arrêter de charger les gens à Melun pour soutenir les collègues avant de prendre la même carotte ».

Il y a aussi de plus en plus de discussions sur les perspectives de la grève. « On fait un piquet ce week-end ? – Bah on travaille le week-end non ? Pourquoi je viendrais travailler et là non ? On devrait être dix fois plus motivés, la grève c’est plus important que le travail. Pour venir ici, je suis pressé le matin. Je me couche le soir, je suis déjà pressé. Pourquoi il y a la nuit ? Ce qu’ils nous mettent en face, c’est la mer à boire. C’est impossible ça veut dire. Donc il faut se débattre, il faut résister. C’est pour ça qu’on est là ». « Ça manque de coordination. Mardi, il y a un rassemblement. Il y a des choses qui vont s’y jouer, mais est-ce que les gars des autres dépôts vont venir ? Nous, c’est sûr qu’on va monter dans des cars, mais les autres ? ». Un raisonnement est repris par quelques grévistes : « Il faudrait qu’on ait les mêmes revendications que les autres dépôts, pour qu’ils ne nous fassent pas reprendre un par un. Comme on sera tous dans la même grève. C’est ça qui va faire plier Transdev ». Ils comparent les revendications de Lieusaint et de Vaux-le-pénil. Ce n’est pas tout à fait ça : « Vous demandez 13h max d’amplitude ? Mais c’est trop ! ».

Un conducteur du RER D est venu sur le piquet. Depuis le début de la grève à Moissy, ses collègues ralentissent et klaxonnent quand ils passent à hauteur du dépôt en grève. Transdev est un sujet de conversation quotidien pour eux. « Pour une fois, il y a une vraie solidarité. Il faut une convergence, pour ne pas se laisser faire bout par bout avec l’ouverture à la concurrence. Ce qui arrive là, c’est ce qui guette tout le monde. Si j’ai bien compris ce qui se passe ici, c’est la même chose que chez moi. La SNCF connaît les appels d’offre ! Le salaire brut est bas, c’est les primes qui compensent. Et quand tu changes de boite toutes les primes sautent. Faudrait tous se battre pour augmenter les salaires ! Dis-toi moi j’ai une assurance, 40 €/mois, pour compenser quand je ne touche pas mes primes. Ce système avec les primes, c’est pour éviter les arrêts maladies... et les grèves ! ». Comme il en a fait quelques unes, il propose aux grévistes qui l’écoutent son analyse : « La direction mise sur le pourrissement. Ils se disent qu’au bout d’un moment, quand il y aura les questions d’argent, vous allez vous battre entre vous. S’ils voient que vous bloquez juste un dépôt, ils s’en foutent, parce qu’ils savent que vous perdez de l’argent et que les gens dans la rue vous pourrissent ». À ce sujet, un petit groupe de Lieusaint a écrit un tract et compte le distribuer à la gare. C’est le premier tract qu’ils ont écrit. Ils y décrivent leurs conditions de travail, et comment la dégradation qu’ils subissent va impacter les usagers.

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Le conducteur conclut son raisonnement. « S’ils voient que vous vous rassemblez et que vous avez du soutien, ils vont claquer des dents. Quand ils se disent : “Wow, ils se rassemblent à plusieurs dépôts sur un piquet ! Wow, ils vont faire une manif !”, c’est là qu’ils vont craquer ». Il ajoute qu’il a entendu parler de l’action de mardi, et qu’il pourrait motiver des collègues à venir. En particulier, si une vidéo d’invitation était envoyée par des grévistes à ses collègues. Plusieurs grévistes en discutent, mais même s’il y a « des physiques d’acteurs », il faudra que les collègues de la SNCF restent – temporairement – sur leur faim.

 Alors que tout le monde est tranquille, la directrice s’emballe et essaie de faire sortir les grévistes du dépôt. « Je vous donne quinze minutes pour sortir ! ». « C’est plus que pour préparer les bus », répond un gréviste, salué par des applaudissements. Une fille des bureaux s’agace : « Vous n’êtes pas corrects avec nous, alors qu’on est là tout l’année pour vous aider ! ». La moitié des présents manque de s’étrangler. « Des services de 9h30, c’est pour nous aider ? ». Finalement, les grévistes sortent du dépôt, mais ensemble et d’eux-mêmes.

Un gréviste lassé d’attendre un signe de la direction cherche des perspectives, et voudrait entraîner ses collègues  « C’est ça pour toi la grève, on s’assied et on ne fait rien ? On dirait qu’on est en grève et qu’on attend le bus. Mais le bus ne va jamais passer ! ». Comme pour lui répondre, à 13h30 un délégué annonce que le rassemblement du mardi sera au siège d’Île de France Mobilités, avec les dépôts de Vulaine et Lieusaint, que ceux de Vaux-le-pénil sont allés voir ce matin. Beaucoup de grévistes espèrent que ça va faire du bruit. Certains commentent l’annonce de la venue d’Olivier Besancenot lundi sur le piquet de Vaux-le-Pénil : « Ah oui, le facteur ! C’est un bon lui, il est comme nous. – Sauf qu’il parle mieux ! ». En fait et malgré leur modestie, il n’y a personne pour mieux parler de la grève que les grévistes eux-mêmes.

Dans le courant de l’après-midi, les délégués montent une nouvelle fois dans le bureau de la direction. Cette fois le DRH Île-de-France, « une plus grosse tête », a fait le trajet. Mais avant de monter, une prise de parole est organisée. Deux collègues de Transdev TRA à Villepinte (93) prennent la parole pour affirmer leur soutien et celui de plusieurs centaines de collègues. Leur présence montre bien que la bagarre en cours dépasse non seulement le dépôt, mais aussi la région. Un autre collègue de Kéolis a fait le déplacement du bassin lyonnais, où une grève aussi est sur le point de commencer [mettre le lien pour la video ?]. Preuve que cette grève a une portée nationale. Pour la première fois, un non-syndiqué prend la parole. « Je vais pas vous faire un discours de ouf, mais c’est pour être sûr qu’on est sur la même longueur d’onde. Il n’y a rien à négocier, ils nous donnent ce qu’on veut ou il faut redescendre ». « Moi je suis en grève pour demander des choses que le patron ne veut pas ! », dira plus tard un collègue de Lieusaint. « Je suis en grève, donc je peux négocier tout ce que je veux ».

Les délégués redescendent 15 min plus tard. Le DRH a ouvert la session en leur demandant... leurs revendications, les mêmes qui ont été transmises il y a dix jours. « C’est du foutage de gueule. Alors quand il nous dit ça, on se lève, et on se barre ». « C’est du mépris ! – C’est pour tester notre détermination. – Ils peuvent tester ! ». Les grévistes analysent : « Ils vont bientôt commencer à nous donner des miettes. – On n’en veut pas ! – Oui c’est sûr, mais je connais le discours, ils vont faire ça ». « Ils ont peur de nous. On a commencé à enclencher les vitesses, de jour en jour ça augmente ». Une grosse averse regroupe tout le monde sous les tentes. Les discussions continuent.

En repartant, alors que le piquet s’est vidé, le DRH s’aventure entre les grévistes restants, pour dire au revoir aux délégués. « Bon, j’espère qu’on va continuer à travailler ensemble. – Nous on ne travaille pas, on est en grève ! – Bon, je dois partir moi. – Pourquoi, il y a d’autres dépôts en grève ? ». Bref, ça chambre. L’huissière continue de marcher de long en large. « Ça marche, le podomètre ? ». De son côté, la grève court. Elle est forte, elle et se renforce encore. Elle a déjà fait lâcher à la direction son mépris habituel. C’est qu’ils ne comprennent que le langage de la force.

« Tu ne regrettes pas d’être arrivé ici ? », demande un ancien à un fraîchement embauché. « Non, sinon je n’aurais pas vécu tout ça ». Un autre enchaîne : « On a déjà gagné. En fait on a tout gagné puisqu’on a gagné notre propre estime. Ils ont essayé de nous enfoncer et on a relevé la tête. Même si on gagne tout, je ne partirai pas du piquet. On a reconstruit un truc qui n’existait plus, on se parle ».