Le summum de la naïveté est de penser que les patrons vont accepter de payer des impôts et des cotisations pour financer un revenu décent, alors qu’ils se refusent à réduire le temps de travail sans perte de salaire...
Les nouvelles technologies conduiraient à la suppression en masse d’emplois et à la fin du salariat au profit du travail indépendant à la Uber ? Tels sont les postulats sur lesquels s’appuient les ultra-libéraux pour sommer les salariés de « s’adapter » et d’en finir avec leurs « archaïsmes ». Dans un registre plus social, les mêmes postulats sont à la base des raisonnements des défenseurs du revenu universel.
Disparition des emplois ? Deux chercheurs d’Oxford ont indiqué que près d’un emploi sur deux (47 %) était menacé par la vague numérique. Sauf que leur étude est très contestée. L’OCDE avait déjà réduit la proportion d’emplois menacés à 30 %. France Stratégie a publié en 2016 une étude centrée sur la France qui réduit cette proportion à 15 %. Par ailleurs, l’automation ne fait pas que détruire des emplois : elle en crée. Comme le souligne un magazine spécialisé : « Qui pouvait imaginer en 1980 qu’en 2013, la France compterait environ le même nombre de secrétaires que d’ingénieurs télécoms ? Qui prévoyait la création de 310 000 postes d’ingénieurs informatiques et des télécoms entre 1980 et 2013 ? »
Et l’ubérisation ? Elle se développe effectivement, mais avant tout comme le fruit de la capacité de certains à tirer partie des trous du droit social et fiscal. L’Urssaf d’Île-de-France a ainsi lancé en 2015 une procédure à l’encontre d’Uber pour récupérer des cotisations sociales au titre de l’emploi des chauffeurs affiliés à cette plateforme. Pour Uber, ses adhérents sont des travailleurs indépendants... alors que l’Urssaf estime à juste titre que ce sont des salariés.
Si la masse de travail nécessaire diminue, par exemple de 15 %, dans une société rationnelle ce serait une bonne nouvelle : on réduit dans la même proportion le temps de travail de chacun... Mais dans le cadre capitaliste, l’unique logique conduit à la réduction des effectifs de 15 % ! Si on se résigne à celle-ci et si on pense qu’on ne peut rien faire pour lutter conte l’ubérisation, un revenu de substitution serait donc un moindre mal.
De quoi le revenu universel est-il le nom ?
Mais comme chacun sait, l’enfer est pavé de bonnes intentions. Mettre en avant le revenu universel et accepter la façon dont les capitalistes gèrent entreprises et emploi, c’est accepter une société duale où certains seraient en permanence écartés du travail. Comme le disait à sa façon Trotski : « Dans les conditions du capitalisme en décomposition, les masses continuent à vivre la morne vie d’opprimés qui, maintenant plus que jamais, sont menacés d’être jetés dans l’abîme du paupérisme. […] Le prolétariat ne peut tolérer la transformation d’une partie croissante des ouvriers en chômeurs chroniques, en miséreux vivant des miettes d’une société en décomposition […]. Contre le chômage, tant “structurel” que “conjoncturel”, il est temps de lancer […] le mot d’ordre d’échelle mobile des heures de travail ».
Par ailleurs, la société que nous voulons est basée sur la solidarité et l’extension progressive de la gratuité pour la satisfaction des besoins fondamentaux, et pas sur l’individualisation. Irréaliste ? Pas plus qu’un revenu universel décent, car dans les faits, soit celui-ci sera une aumône, soit il coûtera très cher... Comment croire alors que les capitalistes vont accepter de payer des impôts et des cotisations pour un revenu décent... alors qu’ils se refusent à réduire le temps de travail sans perte de salaire ?
Comme l’ajoutait également Trotski : « La “possibilité” ou l’“impossibilité” de réaliser des revendications est, dans le cas présent, une question de rapport des forces, qui ne peut être résolue que par la lutte. » C’est en ce sens que, dans la campagne de Philippe Poutou, nous avançons les 32 heures sans perte de salaire comme une des exigences centrales de l’heure.
Henri Wilno