Publié le Vendredi 10 janvier 2025 à 19h00.

Un nouveau cours pour gagner contre les fermetures d’usine et les suppressions d’emploi

En cet automne 2024, la vague de licenciements et de fermetures d’usines s’étend à la plupart des branches industrielles et concerne de nombreux pays européens, dont celui aux capacités de production industrielles les plus importantes, l’Allemagne.

En France, en particulier, c’est une tendance de long terme. Depuis 1970, la part de l’industrie manufacturière dans l’économie a baissé de presque moitié, passant de 22 % en 1970 à 12 % en 2023. Ce niveau distingue la France des autres pays capitalistes européens. À unités prises en compte comparables, la part de l’industrie manufacturière dans la valeur ajoutée des pays de l’Union européenne en 2020 était de 22 % en Allemagne, de 16 % en Italie, et de 23 % en Tchéquie, la part plus élevée en Europe1. Ce n’est donc pas la simple application des politiques néo-libérales devenues dominantes dans tous les pays capitalistes, mais aussi la conséquence de choix politiques tenant à l’histoire du capitalisme et au rapport de forces entre les classes. Le dérisoire des appels à la réindustrialisation de Macron est manifeste devant l’ampleur des fermetures d’usines et de suppressions d’emplois qui se multiplient depuis le début de l’année 2024. La crise, aujourd’hui exacerbée en France, remonte à loin.

 

La révolution incessante des moyens de production

Cette baisse globale de l’industrie manufacturière se combine avec des changements importants dans l’organisation de la force de travail et le contenu des filières concourant aux activités de production. Rien de nouveau : cette « révolution » incessante des techniques de production a été décrite par Marx il y a près de deux siècles. Et chaque changement brise les collectifs de travail organisés entre salariés exploités pour résister et gagner quelques interstices de temps libre.

Aujourd’hui en France, ce déclin s’accompagne de la montée des activités de transport et logistiques. La filière logistique compte environs 2 millions d’emplois en France, soit 4 fois plus que la filière automobile. C’est surtout la principale filière dont l’emploi ouvrier augmente depuis les 20 dernières années. « La logistique s’affirme donc comme l’un des principaux secteurs d’emplois ouvriers dans le capitalisme contemporain. »2 Alors que le mouvement ouvrier et syndical s’est construit autour de l’identité des ouvrières et ouvriers comme productrices et producteurs, déqualifiés et dépossédés du produit de leur travail par la domination du capital, le bouleversement en cours est donc d’importance.

Cette baisse de la production se manifeste particulièrement dans la filière automobile où la production y a été divisée par presque trois en 20 ans. Les deux firmes historiques Renault et PSA devenu Stellantis ont perdu la moitié de leurs effectifs, leur total passant de 200 0000 à 100 000, une coupe du même ordre s’observant chez les équipementiers.

Les chaines de production et de valeur insèrent de façon croissante les usines dans des réseaux d’échanges de pièces en flux tendu. Seules trois usines automobiles dépassent en France les 5000 salariés : les usines Stellantis de Montbéliard et de Mulhouse, l’usine Toyota d’Onnaing. Ce n’est pas une loi générale s’appliquant à toute l’industrie européenne, Wolfsburg, le site historique de Volkswagen en Allemagne occupe 60000 salariés.

 

Des résistances continues

De nombreuses luttes et résistances ont jalonné la disparition de nombreux sites industriels, témoins les longues grèves dans les usines PSA d’Aulnay et de Ford à Blanquefort près de Bordeaux. De nombreuses pages « héroïques » du mouvement ouvrier se sont déroulées chez les équipementiers — la dernière usine sous-traitante automobile de tout le département de la Seine-Saint-Denis, MA France, est ainsi occupée depuis le mois de mai 2024, juste avant l’explosion des fermetures d’usines de cet été 2024.

La plupart des luttes sont restées isolées à leur seules frontières et le chemin du tous ensemble n’a pas été trouvé en soutien à leur résistance. Force est de constater que les fédérations syndicales de la métallurgie n’ont ni voulu ni réussi à élargir soutien et mobilisation. Les seules exceptions marquantes tiennent aux luttes locales ou régionales autour d’une usine importante pour son bassin d’emploi environnant. Ainsi les mobilisations autour de la fonderie de la SAM en Aveyron ont pu, en 3 ans de luttes, réunir une dizaine de rassemblements de 5000 et 10000 personnes, car c’était dans un bassin industriel, celui de Decazeville, encore marqué par les grandes grèves d’un bassin houiller aujourd’hui fermé.

Les repreneurs introuvables

Dans le cas des petites entreprises sous-traitantes, gouvernement, autorités régionales et donneurs d’ordre se défaussent sur les « tribunaux de commerce » pour rechercher des repreneurs et arbitrer entre leurs plans de reprise. Ces tribunaux de commerce constituent un archaïsme dont la création remonte au 16e siècle. Quelques personnages élus dans des conditions peu transparentes par les seuls chefs d’entreprise président à de véritables nids à corruption. C’est ce type d’instances qui décide, sans contrôle, du sort de l’emploi des salariés dans des milliers d’entreprises. Ces tribunaux de commerce n’ont d’autre horizon que la préservation du droit de propriété, et ne trouvent quasiment jamais de repreneurs qui maintiendrait l’emploi et la vie de l’usine après la reprise.

Halte à l’activité de ces tribunaux de commerce et de ces vrais chasseurs de primes. Le minimum serait l’exigence d’une mise sous séquestre immédiate de tous les avoirs de ces patrons faillis ou en fuite, la mise en place d’un prélèvement sur les dividendes pour abonder des fonds de reprise collectifs de ces entreprises sous le contrôle de leurs salariés. Oui, pas de solution sans empiéter sur la toute-puissance du capital !

 

La fin du tout automobile

La baisse de l’activité de la production d’automobiles n’est pas près de s’arrêter en Europe et notamment en France. Le relais de croissance que devait fournir la voiture électrique connaît des ratés. Les limites à l’usage de la voiture individuelle croissent dans toutes les métropoles européennes. La fin d’un tout automobile est d’ores et déjà acté, pas nécessairement la pollution qu’il engendre car les voitures en circulation, de plus en anciennes faute de pouvoir être remplacées sont d’un usage contraint en raison des manques de transport collectif dans les périphéries urbaines et les zones rurales.

La famille des héritiers Peugeot prépare à sa manière ce changement : son holding financier, « Peugeot Invest » n’a que la moitié de son capital investi dans Stellantis, l’autre moitié l’étant dans d’autres secteurs de l’économie dont l’aéronautique et le la fabrication de matériel médical. Elle organise une partie de sa reconversion financière hors automobile, laissant ainsi à l’abandon des milliers de salariés.

Des composantes du mouvement syndical sont bien sûres prêtes à continuer d’accompagner cette baisse programmée de la production d’automobiles telles que gouvernement et patronat l’organisent. Pendant longtemps la confédération CGT et sa fédération de la métallurgie ont revendiqué plus de voitures. Ce temps se termine et la confédération a, par exemple, participé à des études s’affranchissant du tout automobile, mais restant pour le moment confinées dans les instances nationales sans guère de retombées sur le terrain des équipes militantes.

 

Qui décide quoi produire

Face à la vague actuelle de fermetures d’usines, pas touche à l’emploi est la première réponse non négociable. Dans le climat d’incertitudes et de craintes créées par les restructurations actuelles, « un bon tiens vaut mieux que deux tu l’auras » d’où l’espoir d’une protection à continuer à produire la même chose. Mais alors que ceux et celles qui produisent sont dépossédés de leur travail, comme noté depuis le début du mouvement ouvrier, l’attachement des salariés à une « bagnole » hors de portée d’achat du plus grand nombre se fissure, est une illusion entretenue par les tenants habituels de la reproduction de l’ordre existant.

Face à la baisse de la production de voitures, la question est bien celle de « qui décide quoi produire ». L’industrie manufacturière, telle que le mode de production capitaliste la façonne, est aujourd’hui déphasée d’avec les besoins de la population. L’industrie textile a été restructurée sous la houlette d’un Bernard Arnault réservant les ateliers d’ici pour la haute couture et amenant la population à se couvrir de vêtements fabriqués aux quatre coins de la planète, Sanofi a abandonné la fabrication de plusieurs médicaments pourtant essentiels pendant la pandémie du Covid. C’est tout un appareil de production à socialiser et réorganiser en partant des besoins de la population et de ceux et celles qui travaillent.

Usines, entrepôts et filières qui composent l’industrie manufacturière d’aujourd’hui ne sont bien sûr pas réutilisables « clés en main » pour fabriquer les biens utiles et durables pour la population. Cela n’est pas envisageable sans une réduction massive du temps de travail, et une socialisation des outils de production contrôlée par toutes et tous, à commencer par l’expropriation des grands groupes qui régentent aujourd’hui l’économie.

Selon les rapports de force construits, des victoires partielles sont envisageables entraînant des remises en production non pénalisantes pour le climat et la santé de ceux et celles qui y travaillent. Face aux méga firmes automobiles et équipementiers, ce sera probablement la combinaison d’un mouvement d’en bas, l’ampleur des luttes et des soutiens, et d’en haut en termes politiques. Affirmer ces perspectives et agir pour que le mouvement social s’en empare et en construise le contenu doit servir à la réussite des luttes d’aujourd’hui contre les licenciements et les fermetures d’usines. 

  • 1. Sylvain Larrieu, Quel est vraiment le poids de l’industrie en France et en Allemagne ? Site : blog.insee.fr, 12 juillet 2024.
  • 2. Nicolas Raimbault, Les ouvriers de la logistique, un enjeu stratégique pour le syndicalisme. Contretemps Web, 20 juin 2022.