Entretien. Après 17 jours de grève (voir l’Anticapitaliste n°297), les postiers de Val-de-Reuil (dans l’Eure) ont fait reculer leur direction. Nous avons rencontré l’un des animateurs de cette grève, Gérard Gossent, facteur et militant de la CGT.
Le centre de tri de Val-de-Reuil était connu pour être « tranquille ». Que s’est-il passé ?
Depuis 15 ans, il y a eu cinq restructurations et 50 suppressions d’emplois sans réaction. Cette plateforme d’une soixantaine de communes a vraisemblablement été choisie par la direction de la région Nord-Ouest comme laboratoire pour tester une réorganisation d’ampleur. Mais là ça a craqué, et ils ont été complètement surpris. L’étincelle, ça a été la colère de facteurs qui avaient déjà été impactés et qui ont vu que le plan de la direction leur pourrirait la vie encore plus.
Alors à quelques-uns, on a expliqué, motivé, et organisé une réunion d’information intersyndicale où la décision a été prise de partir en grève illimitée deux semaines plus tard : le temps de bien se préparer, en s’appuyant sur le rapport d’expertise commandé par le CHSCT, en particulier sur la démonstration des risques pour la santé. Et le 22 juin, nous étions 50, dont beaucoup de femmes, 80 % du personnel hors CDI et intérimaires, avec le soutien de SUD et de la CGT (30 % des voix chacun aux élections professionnelles). La CFDT (30 % aussi) et FO ont suivi sans appeler.
Que voulait la direction de la Poste ?
Fermer le tri à Louviers et Alizay, tout regrouper chez nous en supprimant 10 postes, soit 8 tournées sur 59. On aurait subi des tournées presque deux fois plus longues, avec des collègues qui préparent les « sacoches » sur place. Aller de plus en plus vite, avoir encore moins de temps pour le contact, c’est à la fois une dégradation pour le service public auquel nous, contrairement à la direction, nous sommes réellement attachés, et une dégradation insupportable des conditions de travail. À coup sûr 8 heures dehors, sans parler des remplaçants qui ne connaissent pas les tournées...
Comment s’est passé le mouvement ? Le soutien ?
Piquet de grève dès 6 h 30 devant le centre, et nous n’étions jamais moins d’une trentaine toute la journée. Dès le début, l’huissier était là et il ne nous a pas lâchés. Nous avons choisi de ne pas bouger de là. Cela a permis de maintenir le moral, de discuter en continu, de remonter ceux qui flanchaient, d’apprendre à se connaître et à s’apprécier. Installés au bord d’une route, ça klaxonnait pour nous soutenir, et beaucoup de gens s’arrêtaient pour nous apporter un soutien, de la pastèque au billet...
L’inconvénient, c’est qu’à part l’opération commune avec les opposants au péage, nous nous sommes privés de la possibilité d’organiser des collectes en ville ou sur nos tournées, et même de manifester au « Centre de tri paquets » à l’autre bout de la ville. Mais le sentiment général, c’était qu’il fallait qu’on reste ensemble pour se soutenir et faire face aux mauvais coups. Ainsi, alors que les négociations semblaient bien avancer, la direction a procédé le 1er juillet à la bascule annoncée sur la nouvelle organisation. Ça voulait dire clairement qu’elle ne lâcherait rien de significatif. Et le vendredi suivant, tout en « discutant », elle a fait appel à des taxis à 360 euros les 6 heures pour assurer « la continuité du service public »… Alors que nous, on gagne entre 50 et 70 euros par jour ! Ça a bien fait monter la pression : il y a eu divers blocages des véhicules par des usagers, les directions ne savaient plus sur quel pied danser, et on a eu le plaisir d’assister à la valse des négociateurs.
Au bout de 17 jours, La Poste a donc reculé. Pourquoi ?
La désorganisation est telle qu’ils n’ont même pas réussi à assurer chaque tournée au moins une fois. Mais nous avons aussi bénéficié d’un bon relais médiatique, le soutien des municipalités a certainement joué, et sans doute que les licenciements chez Eiffage et la menace de liquidation judiciaire d’Everial proche de nous, ça faisait trop pour les « pouvoirs publics ».
Qu’avez-vous gagné ?
Le retrait des 8 « tournées sacoches » et donc le maintien des sites (mais on perd quand même 7 « positions de travail »), l’allégement de la charge de travail globale et le redécoupage de toutes les tournées après concertation en groupes de travail. De plus, on a obtenu l’étalement sur 4 mois du retrait des jours de grève. La réorganisation ne sera pas mise en place avant le 20 octobre.
Comment se passe la reprise ?
Pour eux, c’est le bazar, et ils refusent de payer des heures supplémentaires pour distribuer le courrier en retard ! Pour nous, c’est d’abord la fierté. Des gens qui n’avaient jamais osé lever le ton sont rentrés en criant « On a gagné ! ». Sur le cahier d’hygiène et sécurité, il y a maintenant plusieurs dizaines de signatures sur des signalements de tentatives d’intimidations qui en temps normal n’auraient suscité aucune réaction. Nous avons vraiment remporté une sacrée manche.
Et pour la suite ?
Ce qu’ils n’ont pas pu faire passer ici, ils vont le tester ailleurs, on en est tous convaincus. Pour gagner durablement et imposer nos revendications, il faudrait vraiment qu’on s’y mette tous ensemble.
Propos recueillis par un correspondant