À l’image de ce que pratiquent régulièrement les différents gouvernements, c’est au cœur de l’été que la direction de La Poste a annoncé l’un de ses derniers mauvais coups : la suppression du timbre rouge et la mise en place d’une nouvelle gamme courrier (NGC), avec la distribution à J+3 comme délai de référence.
La dégradation du service rendu à la population est annoncée l’année même où l’État augmente sa compensation, au titre du service universel du courrier, de 500 millions d’euros. Pour justifier cette nouvelle gamme au rabais, La Poste met en avant de prétendus changement dans les souhaits des usagers qui seraient plus attentifs à la fiabilité du service qu’aux délais. Comme si les deux devaient s’opposer ! Autre argument : les délais plus longs permettraient d’améliorer le bilan carbone de l’entreprise, puisque que le courrier ne serait plus obligé de prendre l’avion. Un vrai concert de pipeau ! Le courrier ne voyage jamais seul dans les soutes : il est acheminé en même temps que les colis qui continueront à voyager par la voie des airs. Pas un seul litre de kérosène ne sera économisé ! La direction refuse par ailleurs de remettre en place le réseau ferré postal supprimé au profit du « tout-camion ».
Haro sur l’emploi : des effectifs qui baissent en moyenne de 3 % chaque année
La plus grande restructuration au courrier, depuis les suppressions massives de centres de tri dans les années 2005-2010, trouve ses vraies raisons du côté de l’emploi. Selon les estimations de Sud PTT, 20 000 postes sont directement menacés par la mise en place de la NGC. Ce nouveau coup de massue intervient après une accélération brutale de suppressions de postes depuis 2020. En réalité, celles-ci sont une donnée structurante à La Poste depuis le milieu des années 2000. Elles se sont fort logiquement accompagnées d’une dégradation des conditions de travail et ont donné lieu à deux crises sociales et sanitaires particulièrement aiguës en 2012 et 2016. Les éléments les plus dramatiques et les plus visibles ont été les suicides et tentatives de suicides d’agents. Pour supprimer des emplois, La Poste n’a, pour l’instant, pas besoin de recourir à des plans de licenciement. La pyramide des âges de l’entreprise lui permet de compter sur les départs à la retraite : les trois quarts des agents ont plus de 40 ans, la moitié plus de 50. Il suffit de ne pas (ou peu) recruter.
La pandémie de Covid-19 a nettement accéléré le processus. Depuis 2013, 60 000 postes ont été supprimés, soit une baisse de près de 28 % des effectifs. Entre 2013 et 2019, cette baisse a été en moyenne de 3 % par an. De 2019 à 2021, elle a été de 7 %. Plus de 10 000 emplois par an ont été supprimés dans cette dernière période. Les CDD ont été une des variables d’ajustement principales : leur nombre a diminué de plus de 40 % entre 2020 et 2021.
Augmentation de la productivité : 200 boîtes en plus par jour desservies
Les dirigeants de La Poste insistent sur la baisse du trafic courrier, argument continuellement rabâché. Il ne s’agit évidemment pas de nier le fait que les particuliers comme les entreprises utilisent de moins en moins les envois courrier. La numérisation est un élément incontournable. Il est pourtant un fait tout aussi établi : la sacoche des factrices et des facteurs ne pèse pas moins lourd, bien au contraire. Si le nombre de plis quotidiennement distribués dans chaque boîte aux lettres diminue, le nombre de boîtes aux lettres, lui, ne cesse d’augmenter en même temps que la population et le nombre de logements : plus 3 millions entre 2015 et 2021. Sur la même période, plus de 15 % des tournées ont été supprimées. Le taux de productivité de chaque factrice et facteur a donc largement augmenté : en 2014, chacunE en desservait en moyenne plus de 500 boîtes aux lettres ; iel en dessert presque 700 aujourd’hui1.
Par ailleurs l’hémorragie d’emplois ne touche pas que la branche courrier. La taille dans les effectifs a été encore plus sévère dans les centres financiers et les bureaux de poste (20 % de ces derniers ont été supprimés en cinq ans).
Objectif stratégique : devenir une multinationale et réduire les « coûts » salariaux
Ces coupes répondent à un objectif stratégique, dessiné depuis l’ouverture à la concurrence entamée à la fin du siècle dernier : positionner La Poste comme une multinationale à même de peser à l’échelle mondiale. La distribution des colis concentre en particulier les intérêts des stratèges postaux. Il s’agit d’une activité en forte croissance (d’autant plus depuis le début de la pandémie avec la croissance du e-commerce), potentiellement à haute valeur ajoutée, mais aussi soumise à une concurrence féroce. La Poste s’est donc lancée dans une politique frénétique d’achats d’entreprises du secteur à l’international. Ayant peu de leviers de croissance à cette étape, elle rogne de plus en plus sur les « coûts » salariaux. De fait, cette politique se traduit par une augmentation des bénéfices ces dernières années (3,4 milliards en 2021) et une hausse encore plus importante des dividendes versés aux actionnaires (la Caisse des dépôts et l’État). Le coût social est dramatique en matière d’emplois, de conditions de travail comme de service public, sans parler des niveaux de salaires qui restent particulièrement bas. Il y a donc nécessité de lier les revendications d’urgence répondant à ces problématiques à l’objectif de soustraire La Poste aux appétits capitalistiques, d’obtenir sa socialisation, sous contrôle des agentEs et des usagerEs.
- 1. Chiffres tirés d’un article du blog de Nicolas Jounin, sociologue auteur du Caché de La Poste, enquête sur l’organisation du travail des facteurs : https://talp.hypotheses…