Entre législation, défense individuelle et mouvements collectifs, la CNIF du NPA interroge la notion de consentement dans la société patriarcale et la stratégie de défense des droits des femmes.
L’article 222-23 du code pénal est rédigé ainsi : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol ». Les articles suivants viennent préciser des éléments concernant les viols de mineur·es, les cas d’incestes, et les circonstances faisant passer la peine de 15 à 20 ans de réclusion criminelle (vulnérabilité de la victime, position d’autorité de l’agresseur, viols conjugaux, viols de personnes en situation de prostitution, cas d’administration de drogues à la victime…)1. Si la justice voulait réellement condamner les auteurs de viols, avec une telle définition, elle le pourrait probablement dans la majorité des cas. Or à peine 1 % des viols font l’objet d’une condamnation pénale. Introduire la notion de consentement dans la définition changerait-il cet état de fait ? Revenons d’abord sur ce qu’on nous demande de faire lorsqu’on parle de « consentir » avant de regarder les conséquences en termes législatifs et punitifs… pour enfin discuter de nos revendications contre les violences sexistes et sexuelles.
Qu’est-ce que consentir ?
Le biais des normes
Consentir, c’est répondre positivement à une proposition, accepter de faire quelque chose. On constate déjà une dissymétrie : quelqu’un propose, et l’autre accepte, un homme propose, une femme accepte ou n’accepte pas… De fait, on ne parle pas du consentement des hommes dans les relations sexuelles parce que la norme c’est qu’ils aient toujours envie, voire besoin, de relations sexuelles ; au contraire des femmes qui auraient moins de désir et seraient donc à convaincre, à séduire, voire à forcer (un peu, beaucoup ?). Et puis dans consentir, il y a l’idée que ce n’est pas spontané, qu’il a fallu proposer… Avant même de discuter de définition légale, on est déjà au cœur de rapports sociaux marqués par la domination, par des normes… Donc méfions-nous lorsque l’on demande aux femmes, aux opprimé·es, aux dominé·es, quelque chose que l’on ne demande pas aux dominants.
Le consentement doit-il être explicite ?
Qu’en est-il du consentement que le partenaire est allé cherché à force de persuasion, de caresses, de mots doux, d’insistance ? La vidéo qui continue de tourner sur la tasse de thé2 permet de se remettre les idées au clair si nécessaire. Que mettrions-nous dans la catégorie « non-consentement clair et explicite » ? un « non » verbalisé haut et fort ? une baffe ? un « non merci, mais peut-être demain » ? un « j’ai pas trop envie, là maintenant » ? Il faudrait se mettre d’accord sur le fait que quand c’est « non, c’est non » et que tant qu’il n’y a pas un clair « oui » alors c’est « non ». On peut voir à ce sujet le documentaire Sexe sans consentement de Delphine Dhilly et Blandine Grosjean. Dans cette compréhension du consentement, il est évident que « [la] contrainte, [la] menace ou [la] surprise » indiqués dans le Code pénal concernant le viol sont par définition des circonstances de non consentement et qu’elles concernent en réalité tous les cas de plainte.
Y a-t-il un consentement implicite ?
Discutons enfin des « zones grises ». On n’est pas toujours dans le cas d’un consentement enthousiaste comme l’explique Maïa Mazaurette dans une chronique du Monde3. Une enquête de 2020 réalisée après le confinement4 sur la sexualité des couples montre que 63 % des femmes et 44 % des hommes ont déjà fait l’amour sans en avoir envie. Les femmes sont donc les premières concernées par cette situation mais pas les seules. Mais est-ce que « sans en avoir envie » est équivalent à « sans consentir » ? Probablement pas. Derrière cette situation se cachent de nombreuses injonctions sociales : celles de la révolution sexuelle qui voudraient que les femmes ait une sexualité « libérée », l’idée qu’un couple « normal » doit forcément avoir des rapports sexuels réguliers… mais aussi l’habitude installée dans des couples qui partagent une vie amoureuse et sexuelle depuis des années, l’envie de préserver l’ensemble de ce qui fait la vie partagée quitte à faire des compromis sur les tâches ménagères ou en acceptant des rapports sexuels dont on n’a pas vraiment envie5. Est-ce que ces situations de non-consentement de fait sont pour autant des viols ? À chacune de le dire probablement en fonction d’autres éléments de la situation qui sont tout autant voire plus déterminants que l’absence d’un consentement explicite.
Ce qui est clair c’est que cette question du consentement n’est globalement pas prise en compte dans les relations hétérosexuelles et que les hommes y imposent encore massivement leur violence comme le montre l’enquête réalisée par NousToutes en février 20206.
Le problème est-il dans la loi ?
La violence interdit le consentement
Il ne viendrait à personne l’idée de demander si vous étiez consentant·e lors du vol de votre sac ou bien lorsque quelqu’un·e s’est introduit·e dans votre maison en votre absence. Alors pourquoi nous pose-t-on la question pour un viol ? Comme le rappelle très bien le Collectif féministe contre le Viol (CFCV)7, la notion de consentement est adaptée dans le cas de relations sexuelles, pas dans les cas de violences, de violences de genre en l’occurrence. C’est comme pour votre voiture : vous pouvez consentir à la prêter mais pas à ce qu’on vous la vole !
Inceste, viol de mineur·es
En 2021, la loi a été modifiée pour introduire un âge de non-consentement fixé à 15 ans. Cette modification faisait suite à des viols de très jeunes filles de 11 ans par des hommes beaucoup plus agés et pour lesquels l’accusation de viol n’a pas été retenue car la preuve de la contrainte n’avait pu être faite. Au moment de la modification de la loi, plusieurs débats avait été mis en avant sans que la modification législative n’y réponde de manière satisfaisante8. En effet, dans ces affaires ou dans d’autres, notamment d’inceste, comment penser un seul instant qu’il n’y ait pas eu d’une façon ou d’une autre « contrainte, menace ou surprise » ? Ce n’est donc pas tant, encore une fois, la question de l’expression d’un non-consentement qui est posée mais celle de la prise en compte par la justice des rapports de dominations hommes-femmes, adultes-enfants, de genre plus globalement, d’autorité etc. qui est en jeu. La mise en lumière du nombre d’enfants concerné·es au sein des familles par des violences sexuelles et l’omerta qui règne montre bien comment cette chose inacceptable est profondément ancrée et fait partie intégrante de la structuration de notre société capitaliste et patriarcale. Or la justice en est une des institutions centrales.
Débats sur la définition du viol par le non-consentement
Là où la notion de consentement a été introduite dans la législation, aux États-Unis par exemple, il n’y a pas d’impact significatif sur les chiffres des violences. Le débat autour de la directive européenne pour ajouter cette notion à la définition du viol suscite de nombreuses réactions. Certain·es plaident pour cet ajout « juridiquement neutre » mais « politiquement et socialement important » comme le juriste Mathias Couturier dans Libération9. D’autres, au contraire, comme la philosophe Manon Garcia, estiment que que la conséquence serait de déplacer encore davantage la responsabilité sur la victime comme elle l’écrit dans une tribune du Monde : « si l’on définit légalement le viol par le non-consentement, on considère que c’est le comportement de la victime qui fait le viol et non celui du violeur ». Elle considère que la formulation actuelle de l’article 222-23 du code pénal « met en avant la responsabilité sur le violeur et ne qualifie pas le désir de la victime » et que « ce qui est en jeu n’est pas le texte de la loi, mais les représentations sexistes des juges et des jurés, et leur conception extrêmement restreinte de la menace et de la contrainte ». Dans la même veine, la juriste américaine Catherine MacKinnon estime que : « La notion de consentement fait peser le fardeau de la preuve sur la victime »10.
Qualifier de viol et ensuite la prison ?
34 300 viols ou tentatives de viol ont été dénombrés en France en 202111. Imaginons que la modification de la définition du viol permette d’aboutir à une condamnation pour ce chef d’accusation dans la majorité des cas. Comme il y a déjà plus de 75 000 personnes détenues en France pour environ 60 000 places disponibles12, il y a clairement une impossibilité matérielle à condamner plusieurs dizaines de milliers de violeurs à 15 ans d’incarcération. Cette impossibilité matérielle démontre, d’une certaine façon, que dans cette société l’objectif n’est pas la condamnation des agresseurs dans le cas des violences de genre. Ce n’est pas parce que la loi est insuffisante qu’ils ne sont pas condamnés, c’est parce que ces violences sont un pilier de la société patriarcale et capitaliste.
En finir avec les violences de genre ?
Le combat contre les violences de genre est profondément subversif car il vient justement dénoncer des mécanismes extrêmement profonds qui sous-tendent la société. C’est en ce sens que révolution féministe et révolution écosocialiste sont indiscociablement liées.
Se battre, ensemble, maintenant !
Bien qu’il ne soit pas possible d’en finir avec les violences sexistes et sexuelles sans en finir avec le capitalisme et le patriarcat, cela ne nous empêche pas de lutter pour des revendications urgentes pour protéger les victimes, qu’elles soient des femmes, des enfants, des LGBTI+. Nous nous battons pour que des moyens financiers soient donnés aux associations féministes, pour la mise à disposition de logements d’urgence permettant d’accueillir celleux qui fuient (parfois avec des enfants) des conjoints ou des parents violents, pour la prise en charge des conséquences médicales et psychologiques de ces violences, la formation de touTEs les professionnel·les en contact avec des victimes etc. Ces batailles doivent être menées de manière large, unitaire, en rassemblant l’ensemble des composantes du mouvement féminsite pour imposer la prise en considération de ces revendications par le pouvoir.
Du côté des victimes et des oppriméEs
La fin des violences de genre nécessite un changement social profond, lié à une éducation radicalement différente. Nous pouvons cesser de transmettre la peur aux filles pour leur apprendre à résister collectivement. Le developpement des stages d’autodéfense féministe est de ce point de vue un très bon signe. Nous devons dire aux filles d’être et être nous-mêmes fortes, fières et en colère, nous pouvons balayer le vieux monde sexiste par la puissance de nos mobilisations. C’est en s’organisant collectivement que nous jetterons dès à présent les bases d’une société sans oppression, en étant solidaires, en étant résolument et indéfectiblement du côté des victimes. À bas les Gérard Depardieu, les Gabriel Matzneff, les Gérald Darmanin et autres puissants qui croient encore qu’ils peuvent agir en toute impunité. Votre temps est terminé. Maintenant que nos paroles sont enfin audibles, il n’y aura pas de retour en arrière.
Reste à réinventer un monde qui ne laisse aucune place aux violences ni aux oppressions, qui éduque et transforme ceux qui les exerçaient jusqu’à présent. Cette perspective ouvre la possibilité de requestionner les rapports amoureux, de discuter de la place de la sexualité, de nous épanouir touTEs individuellement dans un processus d’émancipation collective.
- 1. Code pénal, Articles 111-1 à 727-3, Paragraphe 1 : Du viol et du viol incestueux (Articles 222-23 à 222-26-2).
- 2. « Consentement tasse de thé (version française) », YouTube.
- 3. « Le “consentement enthousiaste” : pourquoi pas ? », Maïa Mazaurette 24 décembre 2017, Le Monde.
- 4. « État des lieux de la vie sexuelle et affective des Français durant le confinement », rapport d’étude par l’Ifop.
- 5. « Le désir des femmes, entre flamme et flemme», Maïa Mazaurette, 13 juin 2020, Le Monde.
- 6. « Enquête sur le consentement dans les rapports sexuels », NousToutes.
- 7. « Le viol : toujours un crime d’exception ? », Collectif féministe contre le viol.
- 8. « Viol : la question du consentement au centre des débats », L’Anticapitaliste n°420, 8 mars 2018.
- 9. « Tribune : Définition légale du viol : introduire le consentement est possible, non nocif et pertinent », par Mathias Couturier, 16 décembre 2023, Libération.
- 10. « Catharine MacKinnon s’attaque à la notion de consentement », France culture, 10 novembre 2023.
- 11. « Insécurité et délinquance en 2021 : une première photographie - Interstats Analyse N°41 », Ministère de l’Intérieur, 27 janvier 2022.
- 12. « Statistiques mensuelles de la population détenue et écrouée », Ministère de la Justice, 28 mars 2023.