Publié le Dimanche 23 janvier 2022 à 19h00.

Combattre l’offensive fasciste

Ce texte de Pierre Frank raconte la manifestation du 6 février 1934 en France et la réaction du mouvement ouvrier qui eut lieu dans les jours qui ont suivi. Il fut publié dans un recueil d’articles sous le titre Pour un portrait de Pierre Frank, La Brèche, 1985.

Après l’Allemagne et l’Autriche, c’est en France que la démocratie bourgeoise est en train de périr. Le 6 février marque la fin de toute une période politique en France. Le développement de la crise mondiale a ébranlé toute la structure de l’économie française et sapé les positions politiques conquises grâce au traité de Versailles. Le capitalisme français connaît de grosses difficultés sur le marché mondial, à l’intérieur une crise agraire grave. Le régime parlementaire démocratique ne permet plus dans de telles conditions de continuer à assurer un équilibre social stable.

[...] Chaque ministère tombé était remplacé par un ministère de composition strictement identique. Après l’équipe Édouard – Pierre – Paul – Camille, venait l’équipe Camille – Pierre – Paul – Édouard, à laquelle succédait l’équipe Pierre – Paul – Camille – Edouard1, et ainsi de suite. Prenant l’allure d’une mauvaise plaisanterie maintes fois répétée, cela devait inévitablement lasser toutes les couches de la population. Ce Parlement, jetant par terre les gouvernements les uns après les autres, mais incapable d’assurer l’existence d’un seul, énervait de plus en plus toute la population. En présence de facteurs comme la faiblesse du mouvement ouvrier, en présence de la victoire du fascisme en Allemagne et des dangers de guerre accrus, ce fut la réaction qui bénéficia du courant antiparlementaire qui se développa dans les masses.

Dans cette situation de décomposition grandissante de la démocratie bourgeoise surgit, à la fin de l’année 1933, un scandale politico-financier qui devait servir de prétexte pour mettre le feu aux poudres. L’affaire Stavisky2 ne présentait en soi rien de plus ni rien de moins que bien d’autres scandales qui avaient fleuri sous la IIIe République. Le scandale Stavisky mettait en cause, après bien d’autres, des parlementaires, des ministres, des magistrats, des policiers, la Sûreté générale, autrement dit tous les corps de l’appareil d’État.

Mais dès qu’éclata le scandale, la réaction sut l’exploiter complètement à ses fins contre le Parlement. Les organisations réactionnaires organisèrent pendant le courant du mois de janvier des manifestations de plus en plus violentes, de plus en plus audacieuses, permettant à leurs adhérents de s’exercer, avec la complicité de la police de Chiappe3, pour des combats de rue. [...]

Dans un dernier sursaut d’énergie, le ministère Daladier-Frot destitua le préfet de police de son poste, lui donnant d’ailleurs une sinécure au Maroc. Mais cette mesure suffit pour hâter le déclenchement de la révolte des forces réactionnaires […].

La journée du 6 février

Le mardi 6 février, le ministère Daladier-Frot se présentait pour la première fois devant les Chambres. Les interpellations les plus importantes visaient ses mesures administratives, c’est-à-dire le renvoi du préfet de police Chiappe. Les séances du Parlement, pendant cette journée, furent extrêmement houleuses ; les droites et les gauches se couvrirent mutuellement de paroles injurieuses ; des députés en venaient aux coups. La machine parlementaire ne fonctionnait plus. Pour éliminer toute obstruction de la droite, le gouvernement Daladier demanda d’abord la réduction du nombre des interpellations à quatre, puis le renvoi de toutes les interpellations. Posant la question de confiance à ce sujet, il obtint, dans un vacarme infernal, une majorité parlementaire de gauche (radicaux, socialistes, néo-socialistes, etc.).

Mais, en dehors du Parlement, sous les grilles du Palais-Bourbon, déferlait l’émeute réactionnaire. De sa préparation étaient informés non seulement le gouvernement, mais aussi maintes organisations et hommes politiques. Le développement continuel des manifestations réactionnaires depuis un mois la laissait prévoir. Le coup de main réactionnaire visait à incendier le Palais-Bourbon ; sa technique avait été soigneusement étudiée. Deux manifestations étaient prévues, place de la Concorde et aux Champs-Élysées, pour cette journée. L’Union nationale des combattants, organisation réactionnaire de masse, avait convoqué ses membres pour une manifestation normale à 20h30 aux Champs-Élysées. Mais les troupes de choc de la réaction, les organisations comme les Jeunesses patriotes (JP), l’Action française (AF), la Solidarité française (SF), et plus particulièrement les Croix de Feu qui s’étaient préparées pour une émeute, avaient, sur les lieux mêmes où devait se produire la manifestation de l’UNC, commencé des démonstrations violentes dès 18h30, avec destruction de matériel, incendie de voiture, autobus, etc., et attaques armées (coups de rasoir, coups de feu, etc.) contre la police et les gardes mobiles.

Lorsque les manifestants répondant à l’appel de l’UNC arrivèrent, ils se trouvèrent pris dans de violentes bagarres, maltraités, chargés par la police et les gardes, recevant des coups de feu. Réagissant violemment, les manifestants engagèrent de nombreux combats avec la police et les gardes mobiles. Les troupes organisées des Croix de Feu et autres orientèrent la lutte. Des barrages furent forcés ; l’émeute grandit ; le ministère de la Marine commença à brûler ; la Chambre manqua être envahie. Des colonnes marchèrent sur le ministère de l’Intérieur.

Le gouvernement ne resta maître de la situation qu’au bout de plusieurs heures, tard dans la nuit. L’émeute réactionnaire avait coûté la vie à une quinzaine de ses partisans et occasionné des blessures à plusieurs centaines d’autres.

Aujourd’hui, toute la presse bourgeoise parle de manifestation pacifique. L’émeute n’est plus qu’une légende, les Croix de Feu des agneaux. Il est sûr que des études seront faites qui prouveront la préparation d’un coup de force. Dans cette brochure, bornons-nous à signaler qu’il est établi par de nombreux témoins que les troupes réactionnaires avaient prévu un service de médecins et d’infirmiers sur la rive droite ; que, par un singulier hasard, un des grands cafés de la rue Royale, connu comme un centre de réaction, fut dans la soirée même très rapidement aménagé en hôpital. Autre exemple, montrant qu’il s’agissait d’une émeute préméditée, préparée : vers 11 heures du soir, au cours d’un assaut des Croix de Feu contre le ministère de l’Intérieur, un de leurs chefs de section déploya un drapeau blanc, demanda une trêve pour enlever les blessés. Elle fut accordée. La trêve terminée, l’assaut recommença.

[Ce 6 février, le Parti communiste appelle aussi à manifester par le biais de l’une de ses officine, l’Association républicaine des anciens combattants (l’ARAC), réalisant une sorte de front unique avec les fascistes. Tout mouvement de contestation était bon à prendre pour faire tomber le gouvernement de Daladier selon la direction stalinienne. Évidemment, les militants communistes furent noyés dans le flot des réactionnaires et cette trahison jeta le trouble dans le Parti et chez ses sympathisants. Trois jours plus tard, volte-face de la direction du PC : elle appelle à manifester le 9 février pour l’arrestation de Chiappe et pour la dissolution des ligues fascistes. Répétons que le PC avait manifesté le 6 à côté des fascistes qui refusaient le renvoi de Chiappe… Cette manifestation en solo du PC sera durement réprimée : il y aura 9 morts et des dizaines de blessés. NDLR]

La grève générale du 12 février

Les derniers jours de la semaine et le dimanche furent occupés, dans toutes les organisations de la classe ouvrière, par la préparation très active de la grève générale.

Pour le 12 février, à Paris, la CGT appelait à la grève et rien qu’à la grève. Le Parti socialiste décida une grande démonstration publique sur le cours de Vincennes et place de la Nation, faisant appel à toutes les organisations ouvrières pour se joindre à lui dans cette manifestation. Par une édition spéciale de l’Humanité du 11 au soir, le Parti communiste appela également les travailleurs de Paris à cette manifestation du cours de Vincennes.

La grève générale du 12 février eut, à Paris, une ampleur considérable. Dans les transports publics, les compagnies ne purent les assurer en partie que par des moyens de fortune pendant une partie de la journée seulement. Chômage complet dans les PTT et dans la plupart des administrations ; chômage important chez les instituteurs ; chômage total dans le bâtiment, chômage massif dans la métallurgie, total également dans l’industrie du livre ; aucun journal ne parut ce jour, etc.

Avant midi, la plupart des petits commerçants fermaient leurs magasins. Il fallait remonter aux années d’après-guerre, 1919-1920, pour trouver des termes de comparaison, une grève générale à Paris aussi ample.

L’après-midi, les travailleurs parisiens descendirent en groupes compacts vers le cours de Vincennes et la place de la Nation. La manifestation rassembla un nombre incalculable de travailleurs. La préfecture de police donna le chiffre de 30 000, l’Humanité et le Populaire se montrèrent très certainement modestes en évaluant à 150 000 le nombre des travailleurs qui manifestèrent au cours de Vincennes lundi après-midi. Manifestation d’une ampleur et d’un enthousiasme indescriptibles. Les travailleurs, après bien des années de défaites et d’échecs, reprenaient conscience de leur force et de leur puissance, se serraient les coudes. Manifestation où l’unité d’action fut acclamée. Manifestation de front unique, où les pancartes, les drapeaux étaient mêlés, les organisations pratiquement confondues. Les quelques tentatives des stalinistes d’exploiter le front unique, pour des visées de boutique, se brisèrent misérablement sur le courant unitaire qui jaillissait de l’ensemble des travailleurs réunis. La manifestation du 12 février se termina dans le calme le plus complet et sans accident sanglant sauf en quelques points de banlieue.

En province, la grève générale entraîna également l’ensemble des travailleurs. Des manifestations uniques entre travailleurs de toutes tendances eurent lieu. Non seulement dans les centres industriels, mais dans de nombreuses villes se déroulèrent des manifestations puissantes de masses de travailleurs, comme l’on n’en avait pas vu depuis près de quinze ans, rassemblant parfois le quart ou le tiers de la population. Dans l’ensemble, la grève générale et les manifestations se déroulèrent sans conflit sanglant entre travailleurs manifestant et la force armée de l’État capitaliste.

La grève générale du 12 février constitua un succès considérable de la classe ouvrière, une riposte formidable à la journée réactionnaire du 6 février. [...]

Comment lutter ? Comment triompher ?

Comment la classe ouvrière peut-elle espérer vaincre ? Une première réponse à cette question lui est fournie nettement par sa propre expérience récente de la grève générale du 12 février : c’est dans l’unité d’action que réside la force qui lui assurera la victoire.

Les travailleurs le ressentent instinctivement. D’où une poussée unitaire des ouvriers qui contraignit toutes leurs organisations à faire converger leur action pour un jour ; cette pression pour l’unité d’action continue à se faire sentir encore très fortement ; mais elle est déjà moins forte que dans les jours qui précédèrent la grève générale ; et il en résulte une tendance des organisations à revenir à leurs formules habituelles anti-unitaires. La conséquence immédiate, c’est que le front unique improvisé plutôt que réalisé par la grève générale, au lieu d’être consolidé et organisé, est menacé de rupture. [...]

Où est donc la solution ?

Elle n’est pas dans l’unité politique. Les scissions dans les organisations politiques ne sont pas le produit du caractère, des désirs, du bon ou du mauvais vouloir de quelques militants, de tel ou tel état-major, elles ont des raisons profondes. C’est un fait que la classe ouvrière est divisée en fractions qui n’ont ni le même but ni le même programme ni les mêmes méthodes et des traditions différentes. Songer à annuler tout cela par on ne sait quel miracle de bonne volonté réciproque est purement utopique ; pour unifier des couches différentes, il faut de grands événements, de grandes expériences politiques. Actuellement nous n’en sommes pas là ; actuellement, il y a des révolutionnaires qui, pour le triomphe de la révolution prolétarienne, suivent ou veulent redresser la IIe Internationale ; d’autres qui suivent ou veulent redresser la IIIe Internationale ; d’autres enfin, dont nous sommes, qui n’ont confiance ni dans l’une ni dans l’autre, parce que l’expérience nous a montré leur incapacité, et qui travaillent à la création d’une IVe Internationale. Deuxième, Troisième ou Quatrième Internationale, c’est une division qui n’a rien d’arbitraire, et c’est en en tenant compte qu’il faut agir.

Pour surmonter dans l’action de chaque jour cette division historique du prolétariat, il n’y a qu’un moyen pratique et efficace : l’entente des organisations pour agir en commun sur des points précis. Cela s’est déjà fait quelquefois, mais maintenant, où toute la classe ouvrière est menacée d’un danger mortel dont le triomphe n’épargnera aucune d’elles (après l’Italie et l’Allemagne, c’est l’exemple de l’Autriche qui parle avec trop d’éloquence), ce n’est pas un accord, une entente d’un jour qui s’impose, mais une alliance permanente. C’est pourquoi nous, Ligue communiste, préconisons, face à l’Union nationale de tous les partis bourgeois et face au danger fasciste, la création d’une Alliance ouvrière de toutes les organisations afin de coordonner la lutte contre le fascisme de toutes les couches de travailleurs. Un accord au sommet entre le PC, le PS, la CGT, la CGTU et toutes les autres organisations, si précieux soit-il, ne saurait suffire. Pour mener à bien dans chaque coin la lutte contre le fascisme, pour aboutir à rendre les agglomérations ouvrières irrespirables aux fascistes, il faut que, localement, soit coordonnée l’action de tous les groupements ouvriers locaux, et c’est pourquoi il faut développer, faire vivre les comités locaux (pour l’Alliance ouvrière, d’initiative, de vigilance, d’unité d’action, etc.) qui se sont créés pour le 12 février. Il faut en créer là où il n’en existe pas, afin de couvrir tout le pays d’un réseau de comités en vue d’entraîner tous les travailleurs dans la lutte contre le fascisme.

Un des éléments importants de l’action contre le fascisme réside dans une lutte physique contre les bandes qu’il mobilise pour terroriser les travailleurs. La propagande dans les larges couches de la nation, les vastes rassemblements, les démonstrations monstres ont une valeur considérable. Mais la lutte entre la classe ouvrière et le fascisme ne peut rester dans le cadre des batailles politiques des périodes passées. Elle débordera très vite, elle a déjà commencé à le faire, sur le terrain de la lutte physique. Agression des militants, agression des locaux, des permanences, agression des manifestations, tout cela est à l’ordre du jour chez l’ennemi de classe. Il importe donc que les organisations ouvrières organisent leur défense et, pour cela, constituent des milices, des groupes de défense qui, ripostant du tac au tac, seront à la pointe du combat contre le fascisme. C’est un problème capital à présent. L’ennemi fasciste — qui comprend l’importance des formations de combat — les développe avec tous les moyens que de riches bourgeois peuvent mettre à sa disposition. Elles doivent trouver à qui parler. Les plus grandes démonstrations ouvrières non encadrées par des groupes entraînés pour la lutte et organisés à cet effet sont pratiquement impuissantes devant des formations conçues sur un type militaire. La création de groupes de défense par les organisations ouvrières est une question de vie ou de mort. Celles-ci doivent y affecter des militants triés sur le volet, pour leur dévouement et leur capacité. Chacun doit, dans son organisation, exiger qu’on se mette à l’organisation immédiate de la défense antifasciste. Une des tâches de l’Alliance ouvrière et des comités locaux est de coordonner l’action des milices existantes. La politique se tranchera bientôt par les armes. À ce sujet se pose la question de l’armement du prolétariat. La presse bourgeoise mène grand bruit au sujet de prétendue constitution de dépôts d’armes par les organisations ouvrières ; ce tintamarre a pour but de laisser dans l’ombre l’armement auquel se livrent les bandes réactionnaires.

Pour nous, le problème se pose de la façon suivante : si indispensable pour sa légitime défense que soit son armement, la classe ouvrière ne pourra malheureusement, avec ses gros sous, que préparer des armes insuffisantes pour la guerre civile moderne. Mais il lui est possible, en France, de s’assurer ce qui lui fait défaut sans avoir besoin de s’abandonner au romantisme. Des armes, des munitions, il y en a dans les casernes, dans les parcs de l’armée entre les mains de jeunes ouvriers et de jeunes paysans sous l’uniforme. Gagner ces jeunes travailleurs, ouvriers et paysans, c’est gagner les armes les meilleures pour la guerre civile. L’antimilitarisme révolutionnaire, non celui qui prêche la désertion — qui plus que jamais serait une aberration criminelle — mais celui qui enseigne aux soldats le rôle que la bourgeoisie veut leur faire jouer et qui leur fait prendre conscience de leur classe et de leurs intérêts, ce travail acquiert maintenant, quand la guerre civile se prépare, une importance primordiale. A côté de troupes mercenaires, la France bourgeoise, au contraire de l’Allemagne, par exemple, emploie chaque année des jeunes exploités de la ville et des champs pour sa défense, elle leur remet des armes. Les organisations ouvrières qui ne se tourneraient pas du côté des jeunes soldats ne feraient que remettre à l’ennemi les armes qui peuvent assurer la victoire.

Il faut conquérir l’armée. Dans chaque quartier ouvrier où il y a une caserne, il faut s’en occuper, prendre des liaisons avec les soldats pour que, lorsque le rapport des forces et la situation le permettront, les délégués des casernes trouvent leur place dans les comités d’Alliance ouvrière pour la défense de tous les exploités, ceux de l’usine et des champs comme ceux de la caserne.

Alliance ouvrière, comités locaux, milices ouvrières, à ces trois objectifs s’en ajoute un autre non moins important, dont la grève générale a montré la nécessité urgente : l’unité syndicale. S’il est utopique de songer à unifier des partis à programmes différents, autant il s’impose d’unifier tous les travailleurs sur le terrain commun de leurs revendications quotidiennes. Malgré les divergences qui peuvent exister sur la manière de faire triompher ces revendications, l’unité syndicale peut être assurée si, dans le syndicat commun, chaque tendance peut défendre librement ses conceptions et si l’ensemble des syndiqués s’incline devant les décisions de la majorité. Être dans un syndicat différent pour ne pas se trouver en minorité ne donne guère de possibilités d’action supérieures pour la lutte à l’entreprise. Une corporation vient de le montrer malheureusement trop bien pour le 12, c’est celle des cheminots ; même disposant de la sympathie de la majorité des cheminots, la Fédération unitaire n’a pas du tout été suivie dans son appel à la grève générale, parce que les cheminots se sont sentis affaiblis par la division syndicale. L’unité syndicale s’impose rapidement ; une initiative importante vient d’être prise précisément par un syndicat de cheminots, celui des unitaires du Blanc. À tous ceux qui sont pour la fusion des deux CGT, de la base au sommet, pour un congrès d’unité qui déterminera à la majorité l’orientation de la centrale unifiée, il fait appel pour une action dans tout le pays. L’initiative des cheminots unitaires du Blanc doit recevoir l’appui de tous les partisans de l’unité syndicale pour créer un courant irrésistible qui, brisant tous les obstacles, imposera la réalisation de celle-ci.

La classe ouvrière s’est trouvée le 12 février sur la défensive ; mais celle-ci ne peut constituer un but. Comment passer à l’offensive ? Comment marcher vers le pouvoir ?

Là encore, les comités créés pour l’action commune peuvent jouer un rôle important. Aujourd’hui leur tâche principale est de coordonner l’action de défense de toutes les organisations. Mais en s’implantant dans les entreprises, en se liant à toutes les couches travailleuses de la population, ils pourront être amenés demain à étendre leurs tâches, à élargir leurs objectifs.

Au Parlement bourgeois, la force ouvrière est amenuisée, car elle s’exprime sur le plan choisi par l’adversaire de classe. Les comités d’Alliance ouvrière commencent par contre à assurer une sorte de représentation parlementaire de la classe ouvrière, de toutes ses tendances et nuances, dans un organisme à elle, et non sous l’aspect trompeur de la pseudo-égalité de la démocratie bourgeoise. La force ouvrière peut y prendre toute son expansion. C’est ainsi que dans ces comités peuvent se créer, face aux formes représentatives et gouvernementales de la bourgeoisie, les bases du pouvoir ouvrier. Rassembler ces comités pour la région parisienne, par ville, par région, pour tout le pays, ce serait commencer à jeter les fondements des Communes ouvrières, d’un Parlement ouvrier, de ces organismes où se forgera le pouvoir ouvrier qui chassera le pouvoir bourgeois.

Le développement de la lutte contre le fascisme doit transformer les organismes actuels de défense commune des travailleurs en organes d’exécution de leur pouvoir.

Rassemblement ouvrier pour l’action et dans l’action est une condition indispensable de la victoire ; mais il en est une autre découlant de tous les enseignements de l’histoire : la révolution ne peut triompher si la classe ouvrière ne dispose pas d’un parti révolutionnaire groupant l’avant-garde de la classe, sa partie la plus consciente et la plus décidée, celle qui par sa théorie concentre l’expérience du passé et qui, dans chaque lutte partielle, ne cesse d’orienter la classe vers son but final en lui montrant les moyens d’y arriver.[...]

 

Pierre Frank (1905-1985).

Ingénieur-chimiste, Pierre Frank est un des premiers trotskistes français et l’un des créateurs du journal La Vérité (voir Drapeau rouge n°4). En 1930, il rejoint Trotsky sur l’ile de Prinkipo (au large d’Istanbul) pour être un des membres du secrétariat qui préparera l’une des premières conférences de « l’Opposition de gauche internationale ». À son retour en France, il est un des leaders de la Ligue communiste, l’organisation trotskiste française dans les années 1930.

Pendant la guerre, exilé en Angleterre, il réussit à publier un journal intitulé International Correspondence. Mais il est arrêté pour désertion par la police. Il est placé dans un camp de prisonniers britannique et restera enfermé toute la guerre, n’étant libéré que grâce à l’aide de la trotskiste Betty Hamilton. Pierre Frank sera secrétaire de la Quatrième Internationale de 1948 à 1979.

  • 1. Édouard (Daladier), Pierre (Laval), Paul (Reynaud), Camille (Chautemps), prénoms des principaux ministres de cette période de la IIIe République.
  • 2. Affaire Stavisky : Le 25 décembre 1933, le directeur du Crédit municipal de Bayonne, Gustave Tissier fut arrêté pour fraude et mise en circulation de faux bons au porteur pour un montant de 25 millions de francs. On découvrit rapidement que Tissier n’était que l’exécutant du fondateur du Crédit communal, Serge Alexandre Stavisky, qui avait organisé cette fraude (par le système de chaîne de Ponzi lui permettant de détourner plus de 200 millions de francs) sous la surveillance complice du député-maire de Bayonne, Dominique-Joseph Garat, qui sera condamné à deux ans de prison. À la suite de cette arrestation, et en raison des liens étroits existant entre ces escrocs et des personnalités politiques de l’époque, le sous-préfet Antelme sera démis de ses fonctions. La droite et l’extrême droite exploitent l’origine juive de Stavisky pour lancer une grande campagne d’antisémitisme. Stavisky est alors recherché et il prend la fuite. La police le traque jusqu’à son chalet près de Chamonix. Lorsque les policiers entrent dans la résidence, le 8 janvier 1934, des coups de feu retentissent et Stavisky est trouvé mort, deux balles dans la tête. Il se serait suicidé... (Source Wikipedia)
  • 3. Jean Chiappe (1878-1940) obtient, en 1927, le poste de préfet de police, où il réprime les manifestations communistes, et cultive des amitiés parmi les milieux d’extrême droite dont l’Action française et Maurice Pujo, et l’hebdomadaire nationaliste Gringoire, dont le directeur, Horace de Carbuccia, est son gendre. Très populaire dans les milieux conservateurs, il l’est également auprès des policiers pour avoir amélioré leurs conditions de travail et de vie. Plusieurs gouvernements successifs tenteront vainement de déloger ce haut fonctionnaire proche de l’extrême droite. Les socialistes ayant mis comme condition pour leur soutien au gouvernement la révocation du préfet, le radical Édouard Daladier, nouveau président du Conseil, le démet le 3 février 1934, l’accusant également d’avoir freiné l’instruction de l’affaire Stavisky, homme qu’il connaissait. (Source Wikipedia)