Publié le Jeudi 18 mai 2017 à 16h25.

24,9 % en Guadeloupe, le Front National s’implante dans les esprits antillais

Historiquement, le FN a toujours fait des scores faibles aux élections nationales, seules élections auxquelles il participe : 3,18% en 2007 avec 5335 voix, et 5,16% en 2012 avec 7486 voix. Les Régionales de 2014 ne sont pas représentatives avec moins de 10% de participation, mais le FN fait 8,65% avec 2267 voix. 

Il a été d'usage d'expliquer le vote FN en Guadeloupe, comme dans le reste des Antilles et de la Guyane, par l'abstention généralisée dans la population antillaise, mais surtout comme un vote de « métro » -les blancs qui viennent de métropole- chez les forces de l'ordre ou chez les commerçants et petits artisans, mais aussi un vote colonialiste chez les descendants de colons ou les pieds-noirs qui ont fuit l'Algérie indépendante. Mais les 15 203 voix (13,51%) du FN au 1er tour et les 33 310 voix (24,87%) du 2nd tour de l'élection présidentielle de 20171 remettent en cause cette seule analyse. En effet, lorsqu'on étudie la carte électoral du vote frontiste en Guadeloupe, on se rend compte que les villes où on retrouve une population blanche et privilégiée, comme le Gosier ou Petit-Bourg, résistent le plus au vote FN alors que ses gros scores se retrouvent dans les villes dont la population est antillaise et précarisée, où le chômage et la part de population travaillant de l'agriculture (paysans, pêcheurs) sont largement supérieurs à la moyenne du territoire2 : Désirade (plus de 43% pour le FN au 2nd tour et près de 40% de chômage, « record » guadeloupéen), Marie-Galante, Pointe Noire, Capesterre-Belle-Eau, Baillif, Le Moule ou Sainte-Rose. 

Les pêcheurs, les paysans, et les petits artisans antillais qui tiennent les lolos3 mettent en avant la difficulté de leur travail, le peu de profit qu'ils en tirent -socialement ou économiquement- et la concurrence avec les grandes surfaces dont les articles surgelés, moins chers, de très mauvaise qualité et souvent subventionnés par l'Etat français, viennent d'autres territoires. Ils mettent en avant la précarité (24% de chômage contre 10 pour la France et 56% des moins de 25 ans), l'insécurité (18,5 meurtres pour 100 000 hab en Guadeloupe contre 3,5 dans les Bouches du Rhône soit 6 fois plus que dans un des départements les plus violents de France) et l'immigration de Haïti et de la Dominique (salons de coiffures, prostitution, coupeurs de canne etc.). Et le vote Le Pen apparaît donc comme un vote de rejet des autres nations caribéennes, un vote de repli sur soi identitaire d'imprégnation colonialiste ("nous sommes français, les aides sont pour nous"), mais aussi un vote de révolte où il faut "tout faire péter" car "la vie est chère", "la France nous oublie".

Mais l'électorat FN traditionnel de Guadeloupe a permis cette diffusion des idées racistes et colonialistes dans la population antillaise. Le vote FN de la population blanche s'est radicalisée et influence aujourd'hui la petite-bourgeoisie blanche de l'administration coloniale (profs, cadres de la fonction publique) dont une des principales peur est la fin des privilèges des fonctionnaires4 et dont les prises de position sont proches du FN sur la question de la nation, de l'immigration ou du racisme sans pour autant voter pour ce parti. Sensibles aux thèmes du FN -insécurité, immigration- relayés par les médias guadeloupéens, le prolétariat noir, sa majorité peu politisée et non indépendantiste, mais aussi les descendants d'immigrés de la fin 19è-début 20è siècles de Syrie, du Liban, d'Inde ont peur que les quelques acquis -en fait des cadeaux empoisonnés, un "assistanat colonial"- que leur a légués la France (RSA, chômage, sécurité sociale, subventions) disparaissent à cause de la nouvelle immigration, majoritairement haïtienne et dominiquaise.

D'ailleurs, fait intéressant, Poutou a reçu 2% des voix en Guadeloupe, et fait ses meilleurs scores en Guyane (entre 6 et 7,5%) au premier tour. On peut penser qu'être venu sur le plateau TV avec un drapeau de la Guyane pour soutenir le mouvement et ses prises de position pour l'autodétermination des peuples d'outre-mer ont joué. Mélenchon, quant à lui, a fait d'excellents scores au premier tour, 24% de moyenne. Son projet -tant décrié en France mais qui a reçu un écho positif ici- d'intégration des Antilles françaises à l'Alliance bolivarienne pour les Amériques (ALBA) ainsi que sa mise au premier plan de la lutte contre la précarité, de l'augmentation des salaires, et la défense des services publics, dans un territoire dont la santé publique est ravagée, a touché une grande partie de population guadeloupéenne. Quant à Nathalie Arthaud, dont la campagne a été assuré par les militants de Combat Ouvrier, elle a pu faire 1,76% mais n'a jamais mis en avant l'indépendance ou l'autonomie de la Guadeloupe.

Tant que le peuple guadeloupéen n'aura pas confiance en soi, il attendra tout de la France. Le mouvement du LKP de 2009 a montré que la population qui se prend en main permet de faire reculer le FN et les idées racistes. On peut donc dire que s'il y avait une conscience indépendantiste, on n'en serait pas là. En effet, une conscience politique afro-caribéenne permettrait une volonté d'intégration caribéenne (et un rapprochement avec les autres nations de la Caraïbe), une diffusion de l'histoire et de la culture afro-caribéenne (esclavage, liens entre les békés et la France, etc.) d'un point de vue antillais et non plus colonial à l'école, dans les musées ou dans les médias, une volonté de développer le pays d'un point de vue économique (industrie, agriculture, services publics) et de former les jeunes caribéens aux emplois qualifiés confisqués par les blancs (profs, médecins, cadres, ingénieurs), ainsi qu'une volonté politique de sortir de la violence la jeunesse désoeuvrée autrement que par le Service Militaire Adapté (qui accueille les jeunes d'Outre-mer sans diplômes) qui n'a d'autre but que de renforcer le colonialisme et l’impérialisme français.

La confiance en soi, la conscience d'appartenir à un peuple afro-caribéen et l'indépendance de la Guadeloupe seraient les moteurs de l'optimisme, culturellement, économiquement et politiquement. Et le meilleur moyen de lutter contre le FN et ses idées racistes, comme l'a rappelé l'UGTG lors de son 15è Congrès en avril.

Julien Sergère

  • 1. Les indépendantistes ont appelé au boycott de l'élection, dont l'UGTG syndicat majoritaire et force para-politique. L'abstention a été de 60% au 1er tour et 50% au 2nd
  • 2. https://www.insee.fr (chiffres de 2013)
  • 3. Petites épiceries ouvertes tous les jours et tard le soir qui font aussi office d'espace de rencontres sociales
  • 4. 40% de salaire en plus et un abattement de 30% d'impôt sur le revenu