Publié le Mercredi 19 mars 2025 à 12h00.

Chlordécone, encore loin de la reconnaissance du crime colonial d’État

Le 11 mars 2025, la cour administrative d’appel a statué que l’État français est tenu d’indemniser les victimes du chlordécone aux Antilles, reconnaissant ainsi le préjudice d’anxiété subi par les populations de la Martinique et de la Guadeloupe.

Cette décision fait suite à l’adoption, le 29 février 2024, d’une proposition de loi par l’Assemblée nationale reconnaissant la responsabilité de l’État dans ce scandale sanitaire. Pourtant, le 5 janvier 2023, après plus de seize ans d’instruction, les juges d’instruction du tribunal judiciaire de Paris avaient prononcé un non-lieu dans l’affaire du chlordécone aux Antilles. Cette décision a été motivée par la prescription des faits et la difficulté à établir des responsabilités pénales individuelles.

L’histoire du chlordécone est celle d’un crime colonial d’État, d’un empoisonnement de masse orchestré en toute conscience et d’une bataille acharnée pour la justice menée par les peuples de la Guadeloupe et de la Martinique.

Après des décennies de lutte, un pas symbolique a été franchi : l’État français a été condamné à indemniser les victimes, reconnaissant ainsi sa responsabilité dans ce désastre sanitaire et écologique. Mais cette décision n’efface ni l’ampleur du drame ni la structure impérialiste qui l’a rendu possible.

Le chlordécone, un poison colonial

Le chlordécone, pesticide ultratoxique, a été massivement utilisé dans les bananeraies des Antilles françaises entre 1972 et 1993. Alors que son interdiction était déjà actée aux États-Unis en 1976 en raison de sa dangerosité avérée, la France a sciemment prolongé son usage aux Antilles sous la pression des lobbies agricoles locaux, en particulier des békés, descendants des colons esclavagistes qui contrôlent encore aujourd’hui l’économie bananière. Ce choix n’était pas une simple négligence, mais bien une décision politique et économique ancrée dans le mépris colonial qui a empoisoné plus de 90 % de la population de Guadeloupe et de Martinique. Les terres, rivières et littoraux sont durablement pollués, condamnant les populations à une contamination sur plusieurs siècles.

La reconnaissance tardive d’un crime d’État

Pendant des années, les gouvernements français ont nié l’ampleur du scandale, multipliant rapports et commissions sans jamais offrir de véritables réparations. Pire, en 2023, la justice française a prononcé un non-lieu dans l’affaire du chlordécone, estimant qu’il y avait prescription. Un déni total de justice qui confirmait une fois de plus l’impunité dont jouissent les responsables de ce crime colonial.

Réparations et indépendance : l’enjeu d’une lutte anticoloniale

Si cette condamnation est une victoire symbolique, elle ne saurait suffire. L’État français s’est enrichi sur le dos de l’empoisonnement des Antilles, et cette indemnisation, aussi nécessaire soit-elle, ne représente qu’un faible prix à payer pour des décennies de destruction. Il ne s’agit pas seulement d’argent, mais de justice environnementale, sociale et politique.

Les terres antillaises restent empoisonnées, rendant difficile toute souveraineté alimentaire. L’économie de plantation, dominée par les békés, perpétue un modèle économique colonial où la majorité noire reste dépendante. La question des réparations dépasse donc le cadre financier : elle implique une remise en cause radicale du néocolonialisme français.

Face à cette réalité, de nombreux militantEs et collectifs anticolonialistes appellent à une véritable autonomie des Antilles, voire à l’indépendance. L’affaire du chlordécone illustre une fois de plus que la gestion française des territoires ultramarins repose sur un mépris systémique, hérité de l’époque esclavagiste et maintenu par le capitalisme colonial.

Une condamnation qui doit être un début, pas une fin

L’État français a été condamné, mais il n’a pas encore payé. Et surtout, il n’a pas changé. La lutte pour la justice environnementale et les réparations doit se poursuivre, tout comme la lutte pour la souveraineté des peuples antillais.

Le chlordécone n’est pas qu’un scandale sanitaire, c’est un crime colonial qui révèle la continuité de la domination impérialiste française.

Amel