La Constitution adoptée le 7 février dernier par le Parlement accentue le caractère de classe du régime dans une version nettement libérale et pro-impérialiste.
La sacralisation de la propriété privée garantie par l’État et la constitutionnalisation des inégalités sociales et de la pauvreté, à travers la répétition d’expressions comme les « personnes démunies » ou les « catégories défavorisées », consacre juridiquement et politiquement les avancées de la bourgeoisie privée dans son entreprise historique de conquête des principaux appareils d’État.
Un texte de classe et libéral
Cette bourgeoisie est désormais en mesure d’imposer aux travailleurs et aux démunis une « Constitution-charte » qui grave dans le marbre les « dix commandements » de la pensée économique capitaliste. L’État ne cherche pas à mettre fin aux conditions sociales qui produisent nantis en haut de l’échelle sociale et « catégories défavorisées » au bas de cette échelle. Il a au contraire pour fonction de reproduire ce processus de polarisation de classes, en promettant seulement aux « démunis » un minimum d’assistance économique et juridique afin qu’ils ne se révoltent pas. Le caractère de classe bourgeois de l’État est assumé ouvertement.
Récusant toute « discrimination » entre entreprises nationales ou étrangères, publiques ou privées, le nouveau texte présente le développement comme une question technique, neutre socialement et politiquement. Le pouvoir renonce ainsi à toute stratégie de développement basée sur la construction d’un puissant secteur économique public pourtant seul garant d’un minimum de souveraineté nationale et de justice sociale. L’idée que le développement des pays dominés implique obligatoirement un affrontement économique et politique avec l’impérialisme est totalement absente. Le texte a d’ailleurs été salué comme une avancée par nombre de dirigeants impérialistes…
De classe et libérale, la Constitution amendée se démarque toutefois de l’ultralibéralisme en maintenant le caractère public sur un certain nombre de richesses, de secteurs économiques et d’entreprises publiques. Ces restrictions sauteront très certainement au fur et à mesure que la bourgeoisie consolidera son rapport de forces. Leur maintien dans l’actuelle Constitution a cependant déçu les ultralibéraux dont l’avidité à s’accaparer tout ce qui est public n’a pas de limites. En Algérie, l’infitah n’est pas achevé. Des pans entiers de l’économie et des richesses du pays n’ont pas encore été spoliés…
Une domination qui n’est pas absolue
Le désintérêt populaire manifeste pour la révision constitutionnelle et l’incapacité actuelle des oppositions, toutes tendances confondues, à entraver les desseins du pouvoir expriment un double rapport de forces. Un rapport de forces favorable aux classes dominantes vis-à-vis des travailleurs et des démunis. Et un rapport de forces favorable au pouvoir vis-à-vis des oppositions ultralibérales qui occupent le devant de la scène médiatique.
Le choix de passer en force pour faire adopter la nouvelle mouture de la Loi fondamentale illustre néanmoins le fait que la domination des classes dominantes sur les classes dominées n’est pas absolue. Les travailleurs luttent pour défendre leurs intérêts, le secteur économique d’État et les services publics. Des syndicalistes de l’UGTA combattent pied à pied dans le secteur industriel, comme leurs camarades des syndicats autonomes le font dans la fonction publique. Les masses populaires protestent et imposent au pouvoir leurs légitimes revendications (logement, gaz et électricité, eau…). Elles se mobilisent contre le bradage des terres (Aokas…) et font parfois reculer le pouvoir sur des questions environnementales (gaz de schiste d’In Salah).
Construire une alternative crédible
Cette résistance populaire attise les contradictions au sein des classes dominantes. Les fractions compradores tirent à boulet rouge sur le pouvoir afin qu’il brade à leur profit et à celui de leurs maîtres impérialistes les richesses du pays et qu’il liquide ce qui subsiste d’acquis sociaux. Ces divisions au sein des classes dominantes se répercutent dans le champ politique par l’affirmation progressive d’une opposition démocrate ultralibérale qui mène une guerre médiatique doublée d’une guerre de position visant à conquérir des portions de pouvoir au sein du régime.
La domination des classes dominantes et celle du pouvoir sont donc incontestables. Mais elles ne sont pas absolues. Cela explique la subsistance du caractère antidémocratique du régime consacré par la Constitution.
Dans ces conditions, il n’existe pas d’alternative crédible. Organiser la résistance des travailleurs et des démunis dans tous les secteurs, encourager les luttes démocratiques des femmes, des jeunes, des paysans, des émigrés, et faire converger ces forces sociales autour d’une plateforme démocratique, antilibérale et anti-impérialiste, constituent des tâches urgentes. Les travailleurs, intellectuels, jeunes et femmes qui ont compris que la cause première de la situation présente réside dans le capitalisme doivent pour leur part travailler à la construction d’un parti de classe se fixant pour but historique le dépassement du capitalisme.
D’Alger, Lamine Torki