Après une grande offensive des classes populaires en 2019, le passage en force de l’élection présidentielle de décembre 2019 puis la pandémie ont ouvert une phase de reflux et de réorganisation des forces en présence.
Pendant les premiers mois du Hirak, le pouvoir a usé de la répression comme mesure prophylactique pour faire avorter le mouvement, désamorcer la chose qui prend de plus en plus d’ampleur. La répression actionnée était encore soft, les arrestations étaient sans violence et les personnes arrêtées étaient relâchées dans la journée. Le gouvernement prenait le mouvement par le haut en lui faisant la morale sur la nécessité de préserver le pays d’une guerre civile en agitant le spectre de la Syrie. À ce stade, le mouvement n’était encore qu’au refus de la candidature de Bouteflika pour un cinquième mandat. Une revendication loin d’être subversive. À l’occasion du 8 mars, des millions de gens déferlent dans la rue avec une présence massive des femmes, décidées à lutter pour la démocratie et l’égalité. Désemparé, le gouvernement cherche à étêter le mouvement en faisant avancer les vacances universitaires de printemps au 10 mars 2019 (la date initiale était le 21 mars) et allonge leur durée de deux à quatre semaines. Dans l’air, les mots d’ordre de désobéissance civile et de grève générale circulent. Lancé d’abord par le PST dans une déclaration rendue publique le 26 février, le mot d’ordre de grève générale est repris et fixé dans les réseaux sociaux pour cinq jours à compter du 10 mars.
Constatant l’ampleur de la grève, dès le premier jour, Le chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah, prononce un discours dans lequel il déclare que « l’armée et le peuple algérien partagent les mêmes valeurs et principes, et qu’ils ont une vision commune du futur du pays ». Une tentative à l’égyptienne de séduire la population. Le lendemain, Bouteflika, annonce finalement qu’il renonce à briguer un cinquième mandat, mais prolonge son quatrième de neuf mois, promettant la tenue d’une conférence nationale chargée de mener d’ici à la fin de l’année à la promulgation d’une nouvelle Constitution.
Devant la poursuite de la grève générale du 10 au 14 mars et la mobilisation massive du quatrième vendredi ou des scènes de fraternisation avec la police ont eu lieu, les principaux partis du pouvoir, le RND et le FLN, déclarent leur adhésion au mouvement, se désolidarisent d’avec la présidence et dénoncent la régence du pouvoir par des forces « non-constitutionnelles », allusion au frère de Bouteflika. Devant la mobilisation populaire qui va crescendo et l’entêtement de Bouteflika à prolonger son règne dynastique, le chef de l’armée Gaïd Salah se positionne en sauveur du régime et appelle le 26 mars à la destitution de Bouteflika en application de l’article 102 de la Constitution. Désormais le torchon brule entre le chef d’état-major, toujours respectueux du président invalide, et son frère-conseiller, qui exerce la réalité de la fonction présidentielle. Ce dernier contre-attaque en organisant une rencontre avec deux généraux de la sécurité militaire et le chef du PT [Parti des travailleurs, lié au courant lambertiste, NDLR.] pour discuter de la prise en charge de la feuille de route de Bouteflika. Il est résulté de ce conclave la nomination d’un nouveau gouvernement. Mais la pression exercée par la rue et les menaces de l’état-major militaire ont eu raison de Bouteflika, qui démissionne finalement le 2 avril.
La répression comme arme de contre-révolution
La désignation de Bensalah comme chef d’État, par intérim loin de réduire le Hirak, l’a galvanisé et lui a fait gagner en maturité. Les masses ne se satisfont plus de la chute de Bouteflika et réclament la chute du régime. Le mot d’ordre « qu’ils soient tous virés » lancé par un jeune algérois comme réponse à l’annonce de Bouteflika d’abandonner sa candidature à un cinquième mandat est repris désormais dans toutes les marches. Gaïd Salah, qui a joué jusque-là la carte de l’allié du peuple, se découvre être le principal obstacle pour le mouvement.
Le 12 avril, lors de la 8e marche hebdomadaire, les masses s’en prennent aux nouvelles figures de proue du pouvoir Bedoui, Bensalah, Gaïd Salah, respectivement chef de gouvernement, chef d’État et chef d’état-major. Depuis, la répression change de but, la police est désormais instruite pour réprimer. Des gaz lacrymogènes, des canons à son et des balles en caoutchouc sont utilisés contre les manifestants à Alger. Le 13 avril, des militantes ont été forcées à se dénuder dans un commissariat en présence d’une policière. En soutien au mouvement de protestation contre le régime en place, les magistrats, maillon important dans l’organisation des élections, ont annoncé qu’ils allaient boycotter la supervision de l’élection présidentielle du 4 juillet.
Perçue comme une séquence de normalisation du régime, les masses se mobilisent sans relâche pour bloquer le scrutin prévu pour le 4 juillet. Le 11 mai le journal El Moudjahid propose « de mettre hors d’état de nuire tous ceux et toutes celles qui entravent l’aboutissement du processus légal » et le 20 mai le chef d’état-major insiste sur la tenue de la présidentielle. Le scrutin sera finalement annulé par le conseil constitutionnel le 2 juin.
Sous les coups de boutoir du pouvoir, les médias se mettent à couvrir de moins en moins les marches. Le 26 juin, l’Organe national de prévention et de lutte contre les infractions liées aux technologies de l’information et de la communication est mis sous la tutelle du ministère de la Défense nationale, aux dépens du ministère de la Justice. Plusieurs journaux électroniques seront bloqués.
Pour diviser le mouvement qui vient de gagner une deuxième bataille, le nouvel homme fort du pouvoir, Gaïd Salah, joue la carte du régionalisme en stigmatisant la Kabylie. Le 19 juin, le chef de l’armée décide l’interdiction du drapeau amazigh et instruit les forces de sécurité d’arrêter toutes personnes qui le portent. Pendant les jours et semaines suivantes des dizaines de personnes seront arrêtées et placées en détention provisoire. Cette carte, dont le pouvoir a usé et abusé dans le passé, a eu l’effet inverse : un élan de solidarité national s’est exprimé en faveur de la Kabylie qualifiée d’avant-garde de la lutte. Des quatre coins du pays, les gens se réclament désormais de l’identité amazigh.
Contrarié par l’échec d’organisation de l’élection présidentielle du 4 juillet, Gaïd Salah décide de prendre les choses en main et jette son poids dans la bataille. Le 10 juillet, il qualifie de traitres tous ceux qui scandent le slogan « État civil et non militaire ». Le 8 août, il déclare que les revendications du Hirak sont satisfaites et intime l’ordre au chef d’État par intérim de convoquer l’élection présidentielle, ce que ce dernier fera le 15 septembre. Le 18 septembre, il revient à la charge et donne l’ordre de bloquer les entrées de la capitale aux citoyens des autres wilayas.
Le 15 octobre, Gaïd Salah accuse les manifestants d’être payés par de « l’argent sale » et menace de poursuites ceux qui tenteraient de perturber la tenue du scrutin ou d’inciter les votants à le boycotter. Il défend également le projet de loi, controversé, sur les hydrocarbures, élaboré avec l’expertise des multinationales. Ce projet de loi devait emporter la caution des puissances impérialistes à la feuille du pouvoir. Avec des slogans « l’Algérie n’est pas à vendre », « le peuple refuse cette loi », des milliers de personnes et d’étudiants ont manifesté devant l’APN pour s’opposer au projet de loi controversé sur les hydrocarbures et au scrutin du 12 décembre. Pendant les trois mois qui précédent les élections, les arrestations de militants se sont multipliées. Malgré les appels au rejet des élections le pouvoir a réussi à les organiser avec un taux de participation officiel de 39 %. La campagne de boycott et de grève générale n’a réussi qu’en Kabylie.
Le Hirak à l’épreuve de la réorganisation du régime
Malgré le faible taux de participation, le Hirak enregistre sa première défaite. Les larges masses se sont rendu compte de leur incapacité à empêcher les élections. Pourtant, les masses populaires ne s’avouent pas vaincues. Le lendemain du scrutin, des centaines des milliers de personnes déferlent dans la rue pour contester sa légitimité au nouveau président avec le slogan « Tebboune le fraudeur est ramené par l’armée, il n’est pas légitime ».
Le pari des élections étant remporté, le nouveau président mal élu s’attelle à recréer une base sociale, se donner une légitimité factice et préparer la deuxième séquence de normalisation en lançant le chantier de la révision constitutionnelle. Le 19 décembre, à l’issue de sa prestation de serment, le nouveau président salue le Hirak et déclare que « la grande réussite est le fruit du mouvement populaire initié par notre peuple qui a refusé, grâce à sa conscience, l’effondrement de l’État et de ses institutions ». Il appelle au dialogue et promet de réaliser les revendications du Hirak « dans le cadre d’un consensus politique et des lois de la république ». Contrairement à Gaid salah, il admet que les revendications du Hirak ne sont pas satisfaites et s’en fait le promoteur. Des lors, il entreprend de libérer quelques dizaines de détenus d’opinion dans le courant des mois de décembre et janvier. Tandis que 150 autres détenus continuent de moisir en prison.
Le 28 décembre, Abdelmadjid Tebboune nomme Abdelaziz Djerad premier ministre et le charge de former un nouveau gouvernement. Ce dernier a déclaré, au mois d’avril 2019, lors d’un entretien à la radio « l’urgence de prendre des mesures pour contenir le mécontentement populaire ». Il a désormais l’occasion et le pouvoir de prendre ses mesures pour en finir avec le Hirak.
Le 4 février 2020, parmi les 3 471 détenuEs qui sont graciéEs par le président Tebboune, il n’y a qu’un seul, selon le CNLD, qui est un détenu du Hirak. Mais, à l’approche du premier anniversaire du déclenchement du processus révolutionnaire, le président Tebboune poursuit sa démarche démagogique et déclare que « le Hirak est un phénomène salutaire [qui] a épargné au pays une catastrophe ». Il décrète que le 22 février sera désormais fêté tous les ans en tant que « Journée nationale de la fraternité et de la cohésion entre le peuple et son armée pour la démocratie ». Ce à quoi les centaines de milliers de personnes, qui ont déferlé dans la rue à l’occasion de cet anniversaire, ont répondu par le slogan : « On n’est pas venus faire la fête, on est venus pour vous virer ».
La réorganisation du régime s’opère aussi par le biais de la recomposition du pouvoir. Depuis la disparition de Gaïd Salah le 23 décembre 2019, le président Tebboune a entrepris des changements importants au niveau de l’armée et des services de renseignement. Plusieurs hommes de main de l’ancien chef d’état-major sont démis de leur fonction, voir limogés. Il en est ainsi des puissants directeurs de la DCSA (Direction centrale de la sécurité de l’armée), de la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure) et du directeur de la justice militaire. Ce qui a mené à la révision de beaucoup de procès d’oligarques, de ministres et à l’acquittement des généraux Mohamed Mediène, Bachir Tartag, Khaled Nezzar, des civils Saïd Bouteflika et Louisa Hanoune, dirigeante du PT, touTEs poursuiviEs et condamnéEs en septembre 2019 pour « complot contre l’autorité de l’État et atteinte à l’autorité militaire ». La réorganisation du pouvoir semble impliquer les anciens ténors de l’État profond et se débarrasser de l’image et du souvenir encombrant de celui qui fut le pourfendeur personnifié du Hirak et le timonier de la période post-Bouteflika.
La révision de la Constitution qui était conçue comme une séquence de consolidation du régime et devait effacer le souvenir du coup de force électoral du 12/12 [NOTE : 12 décembre 2019, élection présidentielle, NDLR] a abouti aux résultats inverses. La débâcle électorale du référendum constitutionnel du 1er novembre 2020 (24% de participation, mais 14% seulement du corps électoral ont voté oui) a aggravé l’illégitimité de Tebboune et a réaffirmé le rejet total du régime. Cette révision est intervenue alors que Tebboune est hospitalisé en Allemagne pour cause de Covid-19. Ce n’est que deux mois plus tard qu’il rentrera au pays pour signer la loi de finance 2021 et ratifier la nouvelle ancienne Constitution.
Hormis une rhétorique démagogique, aucun changement notable n’est introduit. Le même régime présidentiel est maintenu avec un renforcement et un élargissement des prérogatives du président. Le bicaméralisme est maintenu et la possibilité d’envoyer la troupe sur des territoires étrangers est désormais constitutionnalisée. Le peuple n’a aucune disposition réelle lui permettant d’exercer sa souveraineté effective. Le pouvoir a également démontré sa volonté de récupérer le Hirak en faisant son éloge dans le préambule. Une douzaine de jours plus tard, Tebboune regagne l’Allemagne pour des soins complémentaires a-t-il déclaré. Il aurait développé une phlébite durant son premier long séjour.
Si dans d’autres pays, l’absence prolongée du président est source d’inquiétude pour les institutions et la société, en Algérie le régime nous a habitué avec le règne de Bouteflika à ce genre d’éclipse sans incidence sur le cours de la vie politique nationale, tellement le pouvoir réel est exercé par des forces extraconstitutionnelles ou par l’armée. Ce qui inquiète et irrite le peuple, c’est l’insupportable discrimination que pratiquent les gens du pouvoir qui cassent le système de soin du pays et qui se font soigner à l’étranger quand il y va de leur vie ou de celle de leurs proches.
La pandémie, le malheur qui profite au pouvoir
Confronté à la menace épidémique, les protagonistes du Hirak ont appelé à la suspension des mobilisations pour préserver les vies humaines. Mais l’avènement de la pandémie de Covid-19 a été une aubaine pour le pouvoir qui va exploiter cette pause pour en finir avec le Hirak. Des centaines de militants seront harcelés, arrêtés et condamnés pour délit d’opinion les mois suivants. C’est le ministère des affaires religieuses qui va donner le la de la politique répressive qui allait être mise en place. Faisant référence aux informations qui circulent sur l’épidémie du coronavirus, l’autorité religieuse du pays a pondu, au début du mois d’avril, une fatwa (décret religieux) dans lequel il est dit : « Il est illicite de fabriquer, diffuser et propager de fausses informations. Ces mensonges font partie des péchés capitaux ». Quelques semaines plus tard, un projet de loi réformant le Code pénal a été soumis à l’assemblée nationale et sera expédié en une demi-journée par les députés du régime contesté. Le texte, qui criminalise « la diffusion de fausses informations portant atteinte à l’ordre et à la sécurité publics » prévoit « des peines de prison de trois ans, voire le double en cas de récidive ». Un autre article du même texte rend passible de « six mois à deux ans de prison toute personne coupable de faits exposant la vie privée d’autrui ou mettant son intégrité physique en danger ». La peine peut aller jusqu’à cinq ans de prison si les faits ont lieu durant des « périodes de confinement sanitaire ou d’une catastrophe naturelle, biologique ou technologique ou de toute autre catastrophe ». S’appuyant sur ces nouvelles dispositions pénales, le gouvernement poursuivra et condamnera des centaines de citoyens pour leur activisme pendant le Hirak et réprimera toutes les tentatives de reprises de la contestation.
La nouvelle Algérie, le cauchemar continue !
Sur le plan sanitaire, 2 866 décès sont décomptés officiellement depuis le début de l’épidémie, mais en l’absence de transparence ces données restent discutables… L’état de délabrement avancé de nos hôpitaux considérés comme des mouroirs, la détresse des populations et du personnel médical ainsi que la chape de plomb que le pouvoir a imposée sont autant d’indicateur que la situation est plus dramatique qu’elle ne parait. Tandis que le gouvernement culpabilise et accuse les citoyens d’être responsables de la propagation de la crise. Des lois sont ainsi promulguées pour criminaliser et condamner les citoyens qui « auraient exposé d’autres citoyens aux risques de contamination ». Plusieurs militants sont condamnés pour ce motif fallacieux. Parallèlement, des instructions sont données aux services de sécurité pour infliger des contraventions à toutes personnes qui n’aurait pas porté de masque dans l’espace public, obligeant les gens à consacrer une partie de leurs revenus à l’achat de masques, favorisant ainsi le développement d’un nouveau bisness. Au lieu de doter les hôpitaux publics de moyens et équipements adéquats et au besoin, réquisitionner les structures hospitalières privés, le gouvernement encourage le privé à exploiter la détresse des gens en leur faisant payer le prix fort pour un scanner, un test PCR, un test rapide… En attendant, l’activité ordinaire des hôpitaux est suspendue, poussant les malades à recourir au privé. Parallèlement, des campagnes de collectes d’argent sont chaque jour organisées par des associations pour faire bénéficier des malades de prise en charge médicale à l’étranger (Turquie, Tunisie, etc.).
L’avènement de la pandémie et la gestion bureaucratique et répressive qui l’a caractérisée ont gravement dégradé la situation sociale. Le couvre-feu qui a été décrété et reconduit depuis le mois de mars, l’arrêt brutal imposé à des centaines de milliers d’établissements, de commerce, aux transports, etc. a paralysé l’activité économique et commerciale du pays, engendrant des centaines de milliers de pertes d’emploi et de revenus. En l’absence de statistiques, le chiffre de 500 000 emplois perdus avancé par le gouvernement en décembre dernier est largement en deçà de la réalité. Des centaines de milliers de journaliers et d’artisans exerçant dans l’informel ne sont pas décomptés.
La pandémie a été aussi une aubaine pour un secteur privé prédateur pour piétiner le Code du travail, licencier les travailleurs et augmenter la cadence du travail au sein des entreprises, y compris dans des secteurs non touchés par la pandémie, comme l’agroalimentaire. Pour contourner les dispositions du décret exécutif enjoignant aux entreprises de mettre 50 % de leurs personnels en congé exceptionnel rémunéré, les patrons ont tous simplement fermé les entreprises et ont procédé aux licenciements abusifs de centaines de milliers de travailleurs. Dans le secteur de l’industrie automobile créé dans le cadre 51/49 [NOTE : Loi qui limite la participation de capitaux étrangers dans une société algérienne à 49%, NDLR.], à Numilog Bejaïa, c’est le lock-out qui est utilisé pour mettre dehors les travailleurs.
Derrière le slogan de nouvelle Algérie, se profile une dictature et une remise en cause de ce qui reste des acquis sociaux et démocratiques. Alors que des entreprises privées licencient à tour de bras, le gouvernement prépare la privatisation des entreprises publiques, sous couvert de partenariat public/privé, miroitant financements frais et meilleurs managements. C’est cette escroquerie politique qui a été suivie au début des années 90 et qui a fini par détruire un million d’emplois et pousser des centaines de travailleurs au suicide. Le secteur privé, qui a bénéficié de l’apologie du gouvernement de l’époque et de l’argent frais du Trésor public, voit aujourd’hui beaucoup de ses représentants en prison pour crime économique. Mais, le gouvernement, qui agit comme un parfait secrétaire de la bourgeoisie, du FMI et de la banque mondiale, nous propose d’aujourd’hui, d’effacer tout et de recommencer. Cela ne peut être accepté, cela ne doit pas être accepté !
Force et faiblesse du Hirak
Le Hirak a révélé un potentiel d’énergie insoupçonné. Tel un torrent, Il a emporté dans son sillage le pouvoir dynastique de Bouteflika et a ébranlé le régime en poussant son noyau dur (l’armée) à assumer publiquement le pouvoir politique. Mais sans la solide colonne vertébrale qu’aurait pu lui offrir la classe ouvrière et sans projet alternatif clair dans ses bagages, il n’a pas pu muer en une force organisée et centralisée, seule capable de venir à bout du régime et inaugurer une période de transition révolutionnaire.
Dès le 26 février, le PST avertissait dans sa déclaration : « Les ultralibéraux de l’opposition espèrent arriver au pouvoir en se hissant sur les épaules des masses populaires mobilisées. Ils demandent aux travailleurs, aux chômeurs, aux jeunes, aux étudiants et lycéens… de mettre entre parenthèses leurs revendications économiques et sociales propres. » Ainsi dès le début, les directions syndicales ont utilisé leur pouvoir d’inertie pour faire en sorte que les travailleurs ne jouent pas un rôle d’avant-garde et dissolvent leur identité de classe dans le mouvement populaire et son rituel de marches du vendredi.
Le Hirak ne s’est pas accompagné par un mouvement de démocratisation des syndicats. La petite révolte bureaucratique qui a secoué l’UGTA au printemps 2019 s’est rapidement résorbée dans un congrès organique qui a enregistré le départ de Sidi Saïd. La nouvelle direction a poursuivi sa traditionnelle mission d’accompagnement du gouvernement dans ses réformes libérales et participe aux campagnes de réorganisation du régime, comme la manifestation organisée le 9 décembre 2019 pour soutenir l’élection présidentielle ainsi que la campagne menée en faveur de la révision constitutionnelle. Son secrétaire général est descendu même à la base pour casser la grève des travailleurs du port de Bejaia qui menaçait aussi bien le gouvernement que le groupe Cevital. Pendant ce temps, les travailleurs à la base (ceux de Numilog Bejaia, Samha Brandt Sétif, Eniem Tizi-Ouzou, Briqueterie de Seddouk, de Renault Algérie, ETRHB Haddad, Sovac, ENIE Belbabbes, etc.) qui sont victimes de licenciements abusifs, de chômage technique unilatéral, d’absence de salaires et de fermeture de leurs entreprises découvrent la faillite politique de sa direction et le vide abyssal qui règne au sein de l’organisation, incapable d’organiser la solidarité ouvrière autour d’eux. Quant aux syndicats autonomes, l’espoir suscité lors de la création de la CSA [NOTE : Confédération des syndicats autonomes, NDLR.] s’est estompé au fil des mois. Cette confédération n’a pas pu impulser une dynamique syndicale combative. Son attitude méfiante envers le Hirak, à l’exception du Satef et Snapa-Cgata de Béjaïa, a mis en évidence le caractère opportuniste des directions qui la composent et leur proximité avec les institutions du régime et les partis libéraux. Leurs incapacités à organiser la défense du personnel du corps médical livré à lui-même en plein Covid, à faire valoir les droits des pré-emploi à l’intégration ou à défendre les fonctionnaires des communes sans salaires pendant des mois montre le caractère bureaucratique et médiatique de la construction de ces syndicats.
C’est l’union qui fait la force !
Aujourd’hui, en raison de la pandémie, le Hirak est démobilisé. Mais avec la crise économique et sociale le foyer de la lutte se déplace de la contestation populaire vers la contestation sociale.
Le cri des travailleurs, des chômeurs et des opprimés raisonne dans les quatre coins du pays. Mais alors que le gouvernement et le patronat agissent de concert, les travailleurs sont divisés, victimes de la vision corporatiste de leurs syndicats qui les condamne à l’impuissance. Ce qui arrive aux travailleurs de Numilog qui ne peuvent pas à faire appliquer les décisions de justice rendues en leur faveur ; ou bien encore l’inspection du travail qui leur demande d’accepter le chantage de l’employeur en échange d’une reprise hypothétique, est la preuve la plus éclatante de la collusion qu’il y a entre le patronat et les institutions de l’État.
Le Hirak a montré que les Algériennes et les algériens ne veulent plus vivre dans les mêmes conditions de misère et d’autoritarisme. Ils aspirent profondément au changement radical du régime et à plus de démocratie et d’égalité sociale. Ils demeurent attachés à la souveraineté populaire, la souveraineté nationale et un contrôle effectif sur leurs richesses. L’exemple de la Tunisie qui replonge dans la contestation au dixième anniversaire de la révolution doit donner à réfléchir au Hirak algérien s’il ne veut pas que le processus révolutionnaire ne s’épuise dans les illusions démocratiques sans lendemain. Revendications politiques et sociales des masses exploitées et dominées doivent se combiner afin que le mouvement devienne plus puissant. Autrement dit, nous devons travailler à donner une unité et une cohérence aux classes populaires, aujourd’hui fragmentées politiquement, désorientées idéologiquement et exploitées économiquement.