Publié le Dimanche 24 décembre 2023 à 09h36.

Algérie : l’exercice de la citoyenneté est-elle un crime ?

Dans un régime de libertés démocratiques, la citoyenneté, c’est-à-dire la participation des citoyens à la construction de l’espace public mais aussi sa détermination à défendre ses droits, est le critère essentiel même pour que fonctionne le régime. Dans un régime de dictature, d’autoritarisme, la citoyenneté incarne la subversion, un trouble-fête pour les gouvernants. En est-il ainsi dans notre pays en vue des tracasseries qui s’abattent sur Kamel Aissat dont le procès est programmé pour le 24 décembre ? Il est poursuivi pour des accusations hallucinantes et insensées « d’atteinte à l’intérêt national » et « d’atteinte à l’unité nationale ». Lui le patriote de toutes les patries et des peuples opprimés.

Qu’a-t-il fait ? Aucune infraction, aucun délit, aucun crime. Mieux, il a tenté d’assumer ce que lui dicte son devoir de citoyen, tel que le proclament la constitution du pays et les lois de la république. À la faveur d’un arrêté du wali portant ouverture d’une enquête publique, il a accompagné les citoyens et les associations de sa région auprès des institutions locales pour prendre connaissance et exprimer leurs avis sur l’étude d’impact relative au projet de mine de plomb et zinc de Tala Hamza/Amizour. S’appuyant sur la loi relative à l’environnement, la loi minière et la convention internationale Ramsar ratifiée par notre pays, l’arrêté du wali de Bejaïa n° 13/1066 du 06/05/2013 classant la vallée de la Soummam comme zone humide protégée d’importance internationale, ils ont exprimé leur rejet du projet, considérant que l’étude présentée n’est pas sérieuse, et que les garanties inexistantes, les risques environnementaux et les dangers sur la sante humaines sont immenses.

Mais les pouvoirs publics ne l’entendent pas de cette oreille. Au nom de la raison d’État, ils violent le sacro-saint principe de la volonté du peuple au nom duquel ils gouvernent, ils tournent le dos aux textes de loi de la république, ils décident de passer en force. Ce fait accompli est ressenti par les villageois·es comme une violence de l’État à leur encontre. Indigné·es, ils se sont mis à écrire des pétitions, à sensibiliser leurs concitoyens sur les risques majeurs de ce projet, mais surtout à interpeller les pouvoirs publics pour les rassurer et protéger leur intégrité comme le stipule la constitution. Malheureusement la réponse des pouvoirs publics a été et demeure le harcèlement et la répression. Voilà ce qui est reproché à Kamel Aïssat et qui est qualifié de crime portant atteinte à l’intérêt national.

On ne bâillonne que la bouche qui dit vrai !

Des centaines de citoyens ont exprimé leur rejet de ce projet et ont pétitionné contre, mais seul Kamel Aïssat est inquiété, pourquoi ?

Kamel Aïssat n’est pas un citoyen ordinaire. C’est un vieux militant politique du camp populaire, un militant convaincu de la démocratie et des droits de l’homme, résolument engagé contre les injustices et l’oppression. Syndicaliste aguerri, il a été de tous les luttes des travailleurs. C’est aussi un militant écologique qui a régulièrement communiqué sur la pollution environnementale. En tant qu’universitaire enseignant les sciences de la nature, il a régulièrement prodigué des conseils aux agriculteurs de la région. Il a animé plusieurs émissions sur le sujet à la radio Soummam. En tant qu’expert, il a été missionné par le ministère de l’agriculture dans le cadre du PPDRI pour assurer des formations aux subdivisions de l’agriculture et aux conservations forestières. Aujourd’hui, il est professeur en microbiologie et à ce titre il est désigné comme coordinateur des pays de l’Afrique du nord au sein de l’organisation internationale de lutte biologique. C’est son éclairage scientifique qu’il a mis au service de ses concitoyens, sa capacité à récuser la fiabilité de l’étude d’impact réalisée par de pseudo expert à la solde de Terramin qui dérangent et lui valent d’être harcelé et pris pour cible.

Pourquoi les pouvoirs publics tournent-ils le dos aux lois de la république ?

En 2012, le ministre de l’Énergie et des Mines, Youcef Yousfi, en visite à Béjaïa avait indiqué que « l’étude qui a été présentée par terramin n’était pas satisfaisante ». Deux mois plus tard, dans un entretien au Quotidien d’Oran, il déclara à propos de Terramin que « de petites sociétés sont venues pour essayer de faire de bonnes affaires et elles n’ont pas les moyens techniques nécessaires pour développer ces mines d’une façon rationnelle et d’une manière qui puisse assurer la sécurité des populations et protéger l’environnement ». À la suite de quoi le contrat fut rompu. Deux années plus tard une nouvelle loi minière est promulguée « interdisant, dans son article 3, toutes activité minière sur les sites protégés par des conventions internationales et/ou par des textes de loi ».

Mais depuis 2020, la relance de l’exploitation minière est devenue l’un des axes essentiels de la politique économique du pouvoir central pour relancer l’économie en crise. Est-ce parce que le projet est relancé à l’initiative de la présidence de la république qu’il est permis aux autorités intermédiaires de se décharger de leurs responsabilités envers la loi ; de banaliser une catastrophe environnementale éminente, de bâillonner les critiques, de réprimer les oppositions, d’ignorer les lois du pays et d’exposer la vie des milliers de citoyens ? N’est-ce pas que la première mission de l’État est de protéger l’intégrité de ses citoyens ? la constitution ne stipule-t-elle pas que l’État veille à : — protéger les terres agricoles ; — assurer un environnement sain en vue de protéger les personnes ainsi que le développement de leur bien-être ; — assurer une sensibilisation continue aux risques environnementaux ; — l’utilisation rationnelle de l’eau, des énergies fossiles et autres ressources naturelles ; — la protection de l’environnement dans ses dimensions terrestre, maritime et spatiale en prenant les dispositions adéquates pour réprimer les pollueurs (art.21).

La loi relative à l’environnement n’a-t-elle pas pour objectif de prévenir toute forme de pollution ou de nuisance causée à l’environnement en garantissant la sauvegarde de ses composantes, de renforcer l’information, la sensibilisation et la participation du public et des différents intervenants aux mesures de protection de l’environnement ?

La ministre de l'Environnement et des Énergies renouvelables, a affirmé dernièrement que « toutes les mesures ont été prises pour protéger l'environnement des éventuels impacts du projet ». Mais pourquoi, diable, on cache tout à la population et on refuse de répondre à ses sollicitations ? La loi sur l’environnement ne stipule-t-elle pas que « toute personne a le droit d’être informée de l’état de l’environnement et de participer aux procédures préalables à la prise de décisions susceptibles d’avoir des effets préjudiciables à l’environnement » ?

L’article 7 de la même loi stipule que : « Toute personne physique ou morale qui en fait la demande, reçoit des institutions concernées les informations relatives à l’état de l’environnement. Ces informations peuvent avoir trait à toute donnée disponible sous toute forme portant sur l’état de l’environnement ainsi que sur les règlements, mesures et procédures destinés à assurer et à organiser la protection de l’environnement ». C’est ce que Kamel Aïssat et les citoyens de la région n’ont cessé de réclamer en vain.

Dans le contexte actuel, tenant compte de l’état de conscience écologique de la société, il n’est pas évident que le combat de Aïssat bénéficie de l’attention qu’il mérite. C’est dans les années à venir, lorsque le mal aura été fait, qu’on mesurera peut-être notre responsabilité collective dans la dégradation irrémédiable qu’on a fait subir à la nature.  En attendant, seuls quelques lanceurs d’alerte rameront contre vents et marées.  Les gens bien sont comme des bougies, ils se brulent eux-mêmes pour donner la lumière aux autres. Solidarité avec Kamel AÏSSAT !