L’assassinat de Jamal Khashoggi dans le consulat d’Arabie saoudite d’Istanbul le 2 octobre a mis une nouvelle fois au grand jour la brutalité du régime saoudien.
La mort d’un journaliste très connu dans le monde arabe et occidental, travaillant au Washington Post, ne pouvait pas passer inaperçue. La disparition de Khashoggi a fait la « Une » des médias dans le monde, y compris de la presse turque très informée des avancées de l’enquête policière. Une manière peut-être pour Erdogan de se payer le luxe d’apparaître comme un défenseur des libertés, lui qui n’hésite pas à jeter dans les prisons de Turquie les journalistes qui le dérangent…
Régime ultra-répressif
L’affaire prenant de l’ampleur, la monarchie saoudienne a dû, vendredi dernier, reconnaitre la mort du journaliste dans le consulat, prétextant une bagarre. Avec un commando de quinze personnes venues spécialement d’Arabie saoudite pour cette rixe ?
S’ils osent se comporter ainsi avec un journaliste devenu opposant, mais longtemps au service des princes saoudiens, issu d’une grande famille du pays, et connu en Occident, on imagine le traitement réservé aux autres victimes du régime. Un exemple parmi d’autres : Israa al-Ghomgham, une opposante au régime, ayant participé aux manifestations de 2011 contre les discriminations dont sont victimes les Chiites, passe en procès la semaine prochaine et risque une exécution publique, à l’instar de cinq autres détenus. L’Arabie saoudite est un pays dans lequel une simple accusation de vol, surtout lorsque le coupable est un de ces nombreux immigrés venus des pays pauvres de la région pour chercher du boulot, peut entraîner une décapitation. Une accusation d’« insulte » à l’islam peut quant à elle valoir une condamnation à 10 ans de prison et 1 000 coups de fouet.
Une monarchie saoudienne intouchable ?
Peu discrète, l’affaire a suscité une chaîne de réactions et de justifications de la part des dirigeants des grandes puissances, qui pouvaient difficilement, en tout cas en parole, faire comme si de rien n’était.
Macron a préféré d’abord attendre que « toute la lumière » soit faite – ou plutôt, d’attendre de voir si la nouvelle serait enterrée ; il a fini par condamner l’atteinte à la liberté d’expression, avant que les confirmations des Saoudiens ne contraignent Le Drian a déclaré sans plaisanter que « la France condamne ce meurtre ». Trump a aussi joué la girouette, en appelant d’abord à la prudence, puis en se sentant un peu obligé de qualifier l’événement de « très mauvais », avant de finalement affirmer que les « aveux » du royaume était « crédibles » et un « bon premier pas ». Pour ajouter dans la foulée : « Nous avons 450 milliards de dollars [de contrats avec l’Arabie saoudite], dont 110 milliards de commandes militaires. […] Ce n’est pas constructif pour nous d’annuler une commande comme celle-là ».
Complicités occidentales
L’arrestation, à la suite des révélations du régime, de 18 Saoudiens liés à l’affaire, et le limogeage de proches du prince héritier par son père, le roi d’Arabie saoudite, n’est qu’un petit coup de balai sur les marches du palais pour rejeter la faute sur des subalternes. De la démission forcée d’Hariri au Liban, sous la pression du régime de Riyad, à la sanglante guerre au Yémen, qui a déjà fait quelque 10 000 mortEs et plus d’un million de déplacéEs, et désormais cet assassinat en Turquie, la monarchie saoudienne se sent les mains libres. Encore plus avec le choix de Trump de s’appuyer sur elle pour son bras de fer avec l’Iran. Pour Trump, les enjeux sont, en effet, bien plus importants que les seuls juteux contrats d’armement. Il a besoin des Saoudiens pour relayer sa politique au Moyen-Orient et si nécessaire jouer le rôle de gendarme régional. Mais du côté des dirigeants européens, Macron en tête, les déclarations gênées sur un assassinat trop visible cachent mal leur réelle complicité avec la dictature saoudienne. Pétrole et marché d’armes obligent.
Mathilda Nallot